Cour d’appel de Paris, le 10 septembre 2025, n°21/00659

La Cour d’appel de Paris, 10 septembre 2025, confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Créteil du 26 novembre 2020 relatif à la contestation d’un licenciement pour inaptitude et à des griefs tirés du harcèlement moral et du manquement à l’obligation de sécurité. La salariée, engagée en 2003 comme conseillère, avait été sanctionnée en 2013 d’une mise à pied pour refus de bureau, puis en 2015 d’un avertissement pour attitude inadaptée. Le médecin du travail a déclaré l’intéressée inapte le 15 septembre 2017, en précisant que « tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à la santé », et l’employeur a procédé au licenciement pour inaptitude le 13 octobre 2017, faute de reclassement possible.

En première instance, la contestation de la mise à pied a été jugée irrecevable, les autres demandes rejetées. Devant la Cour, la salariée sollicitait la nullité, à tout le moins l’absence de cause réelle et sérieuse, ainsi que des dommages‑intérêts pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité. L’employeur demandait confirmation et indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Préalablement au fond, la Cour écarte les écritures et pièces déposées le jour de la clôture, au visa du principe de la contradiction, retenant que « ces conclusions et pièces seront écartées des débats ».

La question centrale portait d’abord sur le régime probatoire du harcèlement moral (art. L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail) et, corrélativement, sur l’étendue de l’obligation de sécurité (art. L. 4121-1). Elle soulevait ensuite deux enjeux déterminants, l’un disciplinaire, lié à la prescription biennale de l’action (art. L. 1471-1), l’autre procédural, relatif au traitement des écritures tardives et à leurs incidences sur la contestation du licenciement.

I. Le régime probatoire du harcèlement moral

A. Les éléments de présomption retenus

La Cour rappelle avec netteté le mécanisme probatoire applicable. Après avoir détaillé les faits matériellement établis, elle énonce que « les éléments ci-dessus […] pris dans leur ensemble, sont de nature à faire présumer l’existence d’un harcèlement moral. Il appartient dès lors à l’employeur de justifier que ses décisions étaient étrangères au harcèlement moral ». La motivation retient une pluralité d’indices convergents, incluant des refus de formation et de congés, des conditions matérielles de travail discutées, l’exposition à un public parfois violent, des rappels à l’ordre répétés, des alertes internes et des certificats médicaux.

L’appréciation s’inscrit dans le cadre légal, qui n’exige pas une preuve parfaite du harcèlement au stade initial. La Cour exige cependant un faisceau probant et contextualisé, en vérifiant l’ancrage temporel des faits, leur répétition et leur effet allégué sur la santé au travail. Le rappel de l’avis d’inaptitude contribue à la densité du faisceau, sans valoir présomption déterminante du harcèlement.

B. La justification objective fournie par l’employeur

La Cour juge ensuite que la preuve contraire est rapportée, par des éléments objectifs, précis et matériellement vérifiables. Elle affirme que « il ressort de l’ensemble de ces éléments que l’employeur justifie que ses décisions étaient étrangères au harcèlement moral. La demande doit donc être rejetée par confirmation du jugement ». Sont notamment pris en compte les motifs opérationnels des refus de formation, l’existence de formations effectivement suivies, la politique de gestion des congés, les travaux réalisés dans les locaux et les mesures de prévention des risques.

La solution reflète une ligne constante: la démonstration d’éléments objectifs, explicatifs et non stigmatisants, suffit à neutraliser la présomption. L’enquête interne, les procédures écrites de gestion des tensions et la documentation des choix de gestion pèsent ici d’un poids décisif. L’exigence d’objectivation est élevée, mais demeure accessible lorsqu’une traçabilité sérieuse des décisions managériales et des mesures de prévention est conservée.

II. Obligation de sécurité, procédure et rupture

A. L’appréciation du manquement à la sécurité

La Cour rappelle d’abord le principe selon lequel « tenu à une obligation de sécurité par l’effet des articles L 4121-1 et suivants du code du travail, l’employeur est tenu de prendre toute mesure préventive ou curative pour préserver la santé et la sécurité des salariés ». Elle contrôle ensuite les diligences accomplies: convocations régulières à la médecine du travail, présence d’un intervenant à l’écoute des salariés, formalisation d’une procédure en cas d’agression, travaux et aménagements des locaux, relogement de la salariée pour des raisons de sécurité.

Au terme de ce contrôle, la Cour conclut que « par conséquent, le manquement n’est pas avéré ». Le raisonnement confirme une conception désormais bien établie de l’obligation de sécurité comme obligation de moyens renforcée: l’absence de manquement s’apprécie à l’aune des mesures appropriées et de leur effectivité, non d’un résultat indemne de tout risque. L’avis d’inaptitude, « tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à la santé », n’emporte donc pas, à lui seul, la preuve d’un manquement de l’employeur.

B. Discipline, contradiction et effets sur la rupture

Sur le terrain procédural, la Cour veille au respect des droits de la défense. Elle retient que des écritures nouvelles, accompagnées de pièces communiquées le jour de la clôture, contreviennent au principe de la contradiction et décide que « ces conclusions et pièces seront écartées des débats ». La solution, classique, sécurise le contradictoire en limitant l’introduction de moyens tardifs rendant la discussion utile impossible.

S’agissant du contentieux disciplinaire, la Cour applique la prescription biennale de l’action attachée à l’exécution du contrat. Elle énonce qu’« effectivement, s’agissant d’une demande liée à l’exécution du contrat de travail, la prescription biennale de l’article L 1471-1 du code du travail, en sa version issue de l’article 21 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, a été dépassée ». La demande d’annulation de la mise à pied est donc irrecevable. Cette rigueur temporelle confirme l’exigence de célérité dans la contestation des sanctions, au service de la sécurité juridique.

Ces solutions commandent enfin le sort de la rupture. Faute de harcèlement établi et de manquement à la sécurité, la nullité est écartée puisque « la demande, fondée sur le harcèlement moral, rejeté plus haut, ne peut prospérer ». La cause réelle et sérieuse reste acquise au titre de l’inaptitude et de l’impossibilité de reclassement, la salariée ne développant aucun moyen apte à renverser l’analyse des juges du fond. L’arrêt illustre la cohérence d’ensemble: un contrôle probatoire serré, un contradictoire protégé, et une discipline juridictionnelle des délais, au bénéfice de la stabilité des relations de travail.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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