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La Cour d’appel de Paris, Pôle 6 – Chambre 6, 10 septembre 2025, se prononce sur une prise d’acte adossée à des heures supplémentaires, un harcèlement moral et une clause de dédit-formation. Le litige naît d’une activité de diagnostiqueur conduite au-delà des horaires contractuels, de l’envoi de rapports en dehors du temps de travail, et de l’utilisation contestée d’une certification pour des missions non réalisées. Le Conseil de prud’hommes de Créteil, 20 mai 2021, a accordé des rappels d’heures et requalifié la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce que l’appel remet en discussion, notamment au regard de la preuve des horaires, de la prévention des risques et de la validité de la clause de dédit-formation.
Le débat procédural oppose des prétentions contraires sur l’existence d’heures supplémentaires, la caractérisation du harcèlement, et les effets de la prise d’acte, tandis que sont discutées des demandes reconventionnelles relatives au préavis, à la dédit-formation et à un prétendu détournement de matériel. L’enjeu principal tient à l’articulation de la preuve en matière de durée du travail, à la charge probatoire spécifique en cas d’allégation de harcèlement, et aux conséquences normatives d’une clause imputant au salarié des frais légalement imposés.
I. La preuve des heures supplémentaires et le contrôle du temps de travail
A. Le cadre probatoire retenu
La cour rappelle la méthode désormais classique en matière de durée du travail. Elle énonce que, « En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. » Cette exigence équilibrée place l’employeur au centre du contrôle, tout en requérant du salarié un faisceau d’indices circonstanciés.
Le rappel méthodologique s’accompagne de la règle d’appréciation souveraine. La cour souligne que, « Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail. » Elle s’attache alors aux pièces produites et constate la défaillance de l’outil de suivi. Elle retient ainsi que, « Il ne résulte pas de ces éléments que l’employeur ait mis en place un système objectif et fiable permettant de contrôler la durée du travail du salarié, étant relevé que le décompte des journées travaillées et les autres pièces produites par la société ne justifient pas par qui et dans quelles conditions ce décompte a été renseigné. »
Cette approche confirme une ligne ferme: l’absence d’un dispositif fiable pèse lourdement dans la balance probatoire, et conforte les éléments circonstanciés fournis par le salarié, sans exiger une preuve impossible.
B. L’évaluation souveraine des heures et l’exclusion du travail dissimulé
La cour opère ensuite une pondération des éléments concrets, en réduisant l’ampleur des heures retenues par rapport aux prétentions. Elle précise, de manière éclairante, que « il reste que l’envoi de rapports à des heures matinales ou tardives ne signifie pas pour autant que le salarié a travaillé durant la totalité du temps comprise entre les heures d’envoi des mails et de début ou de fin des horaires de travail. » L’affirmation borne utilement la portée probatoire d’horodatages isolés, et recentre l’analyse sur le travail effectivement accompli.
Dans le même mouvement, l’infraction de travail dissimulé est écartée faute d’élément intentionnel, malgré un élément matériel lié aux heures omises sur les bulletins. La cour tranche avec netteté: « En revanche, l’élément intentionnel également requis par ces dispositions n’est pas caractérisé… » La solution s’inscrit dans le droit positif, qui requiert un dol distinct, que ne suffit pas à déduire un simple manquement de paye.
Cette première série de motifs prépare l’examen du harcèlement, où l’intensité et la répétition des dépassements, ajoutées à d’autres agissements, prennent une portée qualitative décisive.
II. La qualification des manquements et leurs effets
A. Le harcèlement moral et l’obligation de sécurité
La cour agrège plusieurs éléments convergents pour franchir le seuil probatoire du harcèlement. Elle retient d’abord l’atteinte au repos et la persistance d’heures non rémunérées, en affirmant: « Sont établis la réalisation d’heures supplémentaires au delà des horaires de travail qui n’ont pas été rémunérées et le non-respect du droit au repos du salarié. » Elle étend l’analyse aux usages irréguliers autour de la certification, intégrés dans l’appréciation globale des faits matériellement prouvés.
La grille de l’article L.1154-1 du code du travail est appliquée avec rigueur. La cour constate que « Les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral, peu important l’absence d’alerte préalable du salarié et d’élément médical versé aux débats. » Elle vérifie ensuite le renversement de la charge, et conclut que « L’employeur ne prouve pas que ses agissements à ces titres ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. » La violation de l’obligation de prévention est également actée, l’employeur n’ayant pas pris les mesures nécessaires.
L’ensemble lie étroitement gestion du temps de travail, respect du repos et intégrité des procédures internes, pour caractériser une dégradation des conditions de travail imputable à l’employeur.
B. Les effets de la nullité et la clause de dédit-formation
La gravité des manquements commande la sanction la plus lourde en cas de prise d’acte. La cour retient que « Ces manquements étaient d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail… » et décide, en conséquence, que « La prise d’acte étant notamment liée aux agissements de harcèlement moral subis par lui, elle produit les effets d’un licienciement nul… » L’indemnisation suit le cadre légal propre à la nullité, la cour rappelant qu’ « En application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, celle-ci ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. »
La décision tranche également une question fréquente en pratique: la licéité et l’opposabilité d’une clause de dédit-formation lorsque les formations portent sur des obligations légales. Après avoir rappelé que « Les clauses de dédit-formation sont licites dans la mesure où elles constituent la contrepartie d’un engagement pris par l’employeur d’assurer une formation entraînant des frais réels au-delà des dépenses imposées par la loi ou la convention collective, que le montant de l’indemnité de dédit soit proportionné aux frais de formation engagés et qu’elles n’ont pas pour effet de priver le salarié de la faculté de démissionner », la cour précise le régime particulier de la profession concernée: « L’exercice de la profession de diagnostiqueur est, en application des articles L. 271-6 et R. 271-1 du code de la construction et de l’habitation, soumis à la possession de certifications. » La conséquence est nette et pédagogique: « Les frais de formations et des examens de certification destinés à acquérir les attestations nécessaires à l’exercice de ces fonctions correspondent donc à des dépenses imposées par la loi de sorte que la clause portant sur de tels frais est illicite et doit être annulée… » La nullité de la clause s’ajoute à son inopposabilité en cas de rupture imputable à l’employeur.
L’arrêt articule ainsi, de façon cohérente, un office probatoire maîtrisé, une qualification circonstanciée du harcèlement et une sanction adaptée de la rupture, tout en fixant une ligne claire pour les clauses de dédit-formation adossées à des obligations légales.