- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Par un arrêt du 10 septembre 2025, la Cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 3) a tranché un litige relatif à la résiliation judiciaire d’un contrat de travail à la suite d’une inaptitude avec impossibilité de reclassement et d’une absence de reprise du salaire dans le délai légal. Engagée en 2006, la salariée a été déclarée inapte le 1er septembre 2020. L’employeur a contesté l’avis médical et n’a pas repris le paiement du salaire à l’expiration du délai d’un mois. Un paiement est intervenu ultérieurement après une mesure de référé, puis un licenciement pour inaptitude a été notifié le 11 février 2021.
Par jugement du 7 décembre 2021, le conseil de prud’hommes d’Auxerre a rejeté la demande de résiliation judiciaire, tout en allouant un complément d’indemnité légale. Appel a été relevé sur ce seul chef, l’employeur n’ayant pas conclu devant la cour. L’appelante a sollicité la résiliation aux torts de l’employeur, l’indemnité de préavis, les congés afférents et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre une demande nouvelle d’indemnisation de l’exécution déloyale et du défaut de reprise du salaire. La question de droit portait sur la gravité du manquement consistant à ne pas reprendre le salaire dans le délai d’un mois prévu à l’article L. 1226-4 du code du travail, malgré une contestation de l’inaptitude et un paiement tardif contraint. Elle impliquait, corrélativement, l’examen de la recevabilité et du bien-fondé d’une prétention indemnitaire distincte fondée sur les mêmes faits.
La cour infirme le jugement sur la résiliation, retient des manquements suffisamment graves et en fixe les effets à la date du licenciement. Elle juge que la résiliation produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, accorde l’indemnité de préavis, les congés payés afférents et 8 000 euros de dommages-intérêts, tout en rejetant la demande nouvelle pour absence de préjudice distinct. Plusieurs motifs guidant la décision méritent d’être cités et commentés, notamment lorsque la cour constate que « Il n’est pas contesté que l’employeur n’a pas repris le paiement des salaires à l’expiration du délai d’un mois après l’avis d’inaptitude », qu’elle relève que « Le texte précité laisse à l’employeur comme seules alternatives la reprise du paiement des salaires ou le licenciement », et qu’elle en déduit que « Les manquements constatés sont donc suffisamment graves pour justifier qu’il soit mis fin au contrat de travail, aux torts de l’employeur, à effet au 11 février 2021 ». La portée de cette solution se comprend d’abord à l’aune du sens de la règle appliquée, puis s’apprécie au regard de sa valeur et de ses conséquences pratiques.
I. Le sens de la décision: gravité du manquement et effets de la résiliation
A. L’exigence impérative de reprise du salaire après l’inaptitude
La cour rappelle la structure de l’obligation légale issue de l’article L. 1226-4. Passé un mois après l’avis d’inaptitude, l’employeur doit reprendre le salaire si la rupture n’est pas intervenue. La motivation insiste sur l’absence d’alternative dilatoire: « Le texte précité laisse à l’employeur comme seules alternatives la reprise du paiement des salaires ou le licenciement ». Cette formule, claire, situe la marge de manœuvre à son exact périmètre. La contestation de l’inaptitude ou l’attente d’une expertise n’ont pas d’effet suspensif sur l’obligation de paiement.
Le cœur du manquement est caractérisé sans équivoque. La cour énonce: « Il n’est pas contesté que l’employeur n’a pas repris le paiement des salaires à l’expiration du délai d’un mois après l’avis d’inaptitude », ce qui touche « au moyen de subsistance de la salariée ». La décision souligne, faits à l’appui, le caractère concret du préjudice, en retenant un prêt de trésorerie et une hospitalisation. Cette contextualisation ne transforme pas l’obligation en responsabilité objective, mais elle atteste de l’atteinte substantielle aux intérêts protégés par la loi.
La tentative de purge postérieure ne modifie pas l’analyse. La cour affirme avec netteté: « Le fait que l’employeur ait fini par régler les salaires le 12 janvier 2021, soit le lendemain du licenciement, n’ôte pas à ses manquements la gravité justifiant la résiliation ». L’argument tient à la fois à la temporalité et au motif du paiement, effectué « en exécution d’une ordonnance de référé exécutoire par provision ». La régularisation contrainte confirme, plutôt qu’elle n’infirme, la carence initiale. La cohérence avec l’économie du texte est ainsi préservée.
B. La qualification de gravité et la fixation des effets de la rupture
S’agissant du standard de gravité, la cour se réfère à un attendu de principe bien établi: « La résiliation judiciaire du contrat de travail à l’initiative du salarié et aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ». Le contrôle s’exerce au jour où le juge statue, en appréciant l’ensemble des griefs. La solution est fondée sur un manquement unique mais décisif, intrinsèquement insusceptible de mesure compensatoire efficace hors exécution spontanée.
La date d’effet obéit à la logique des ruptures concomitantes. La cour rappelle que « La date d’effet de la résiliation doit être fixée à la date de la décision judiciaire la prononçant dès lors que le contrat n’a pas été rompu avant cette date ». Ici, le licenciement est intervenu antérieurement au prononcé, de sorte que la résiliation produit ses effets au 11 février 2021, en stricte cohérence avec le dispositif. La cohérence interne se lit encore dans cette formule: « Aussi, les manquements constatés, qui consistent à ne pas reprendre paiement des salaires et à ne pas licencier, justifie que la salariée prenne l’initiative de la rupture ». La résiliation judiciaire retrouve ainsi sa fonction normative: mettre fin à une relation que l’employeur a indûment prolongée sans contrepartie salariale.
La conséquence indemnitaire suit. L’indemnité de préavis est allouée, en raison des effets du licenciement sans cause réelle et sérieuse, tout comme les congés payés afférents. Pour l’indemnité principale, la cour précise que l’évaluation se fait « en application des dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail ». La référence inscrit le montant dans le cadre légal, en tenant compte de l’ancienneté, du salaire et de la situation personnelle décrits dans les motifs.
II. La valeur de la solution: articulation des demandes et maîtrise des réparations
A. La conformité aux principes gouvernant la résiliation et l’évaluation du préjudice
La solution s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante imposant une exécution loyale du contrat et une diligence particulière en matière d’inaptitude. La nécessité de reprendre le salaire, ou à défaut de rompre, découle de la finalité protectrice de l’article L. 1226-4. En retenant que le paiement tardif « n’ôte pas à ses manquements la gravité justifiant la résiliation », la cour marque l’inopérance d’une régularisation postérieure à l’échéance impérative, surtout lorsqu’elle intervient sous la contrainte d’une décision de référé.
La mesure du préjudice, pour sa part, s’insère dans le barème légal. La motivation explicite les critères retenus: ancienneté, âge, niveau de salaire, état de santé, éléments d’employabilité. La fixation à 8 000 euros respecte la borne légale issue de l’article L. 1235-3, en adéquation avec la taille de l’entreprise et la durée de la relation de travail. Cette démarche atteste d’une volonté de sécuriser les montants par référence à la loi, sans ignorer les particularités de l’espèce.
B. La recevabilité des prétentions nouvelles et l’exigence d’un préjudice distinct
La cour traite la demande d’indemnisation additionnelle fondée sur l’exécution déloyale et le défaut de reprise de salaire. Sur le terrain procédural, elle admet la recevabilité en constatant que la prétention « est recevable dans la mesure où elle tend aux même fins » que la résiliation, au sens des articles 564 et 565 du code de procédure civile. Cette appréciation, fidèle à l’économie du double degré, évite de priver l’appelante d’un débat utile quand la cause et l’objet se rejoignent quant à la sanction des mêmes manquements.
Sur le fond, la décision refuse le cumul sans préjudice distinct. Elle énonce: « la salariée ne se prévaut d’aucun préjudice distinct de celui découlant de la résiliation, fondée sur les mêmes faits fautifs, et n’en justifie pas ». La conclusion s’impose alors: « Aussi, la demande nouvelle sera rejetée ». Cette motivation répond à une exigence de bonne administration de la justice et de juste indemnisation. Elle prévient la duplication des réparations lorsque la rupture, qualifiée d’abusive, absorbe les conséquences dommageables des manquements allégués.
L’articulation entre ces deux volets est maîtrisée. En admettant la recevabilité puis en examinant la preuve du préjudice distinct, la cour ménage un équilibre entre ouverture du prétoire et discipline indemnitaire. L’économie globale de la solution se trouve ainsi renforcée par un usage efficace des outils procéduraux, sans entraver la protection substantielle attachée au paiement du salaire.
Au total, la décision affirme avec constance la rigueur de l’article L. 1226-4 et la finalité de la résiliation judiciaire comme remède à des manquements graves. Elle consacre une lecture exigeante de la loyauté d’exécution, tout en maintenant une cohérence indemnitiare qui évite le cumul injustifié et se réfère au cadre légal applicable. Par ces motifs, elle fixe une balise utile pour les situations d’inaptitude où l’employeur temporise au-delà des bornes légales.