Cour d’appel de Paris, le 10 septembre 2025, n°22/00612

Rendue par la Cour d’appel de Paris, Pôle 6 – Chambre 6, le 10 septembre 2025, la décision tranche un litige né d’un licenciement pour inaptitude consécutive à un accident du travail. L’arrêt intervient à la suite d’un jugement prud’homal du 6 octobre 2021 partiellement favorable à la salariée.

Les faits sont simples et constants. Engagée comme agente à domicile, la salariée a été victime d’un accident du travail le 28 juin 2018, puis a repris dans le cadre d’un temps partiel thérapeutique à 50 %. Le médecin du travail a prescrit des aménagements répétés, notamment l’organisation en journées complètes, la limitation du port de charges à cinq kilogrammes et l’évitement de postures pénibles.

Après de nouvelles restrictions, le médecin du travail a déclaré l’inaptitude avec dispense de reclassement le 29 juillet 2020. L’employeur a notifié un licenciement pour inaptitude le 14 août 2020. La salariée a saisi la juridiction prud’homale, sollicitant notamment l’indemnisation d’un manquement à l’obligation de sécurité et la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le premier juge a accordé des sommes pour attestation Pôle emploi erronée et un reliquat de préavis, rejetant le surplus. En appel, la salariée persiste à invoquer la méconnaissance des préconisations médicales et réclame, comme travailleuse handicapée, le doublement du préavis. L’employeur soutient avoir respecté les mesures de prévention et conteste le bénéfice du doublement en présence de l’indemnité due au titre de l’inaptitude d’origine professionnelle.

Deux questions se dégagent. D’une part, l’étendue de l’obligation de sécurité face aux préconisations médicales relatives au mi-temps thérapeutique et au port de charges. D’autre part, l’articulation du doublement du préavis prévu par l’article L.5213-9 du code du travail avec l’indemnité compensatrice versée en application de l’article L.1226-14 en cas d’inaptitude d’origine professionnelle.

La Cour rappelle que « Toutefois, l’employeur ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention […] et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un manquement à son obligation de sécurité, a pris les mesures immédiates propres à les faire cesser ». Elle constate l’absence de manquement au regard de l’organisation effective du temps partiel thérapeutique et des tâches confiées. S’agissant du préavis, elle énonce d’abord que « Un salarié a donc droit au doublement de l’indemnité compensatrice de préavis même s’il n’a pas révélé à l’employeur sa qualité de travailleur handicapé avant la notification de son licenciement ». Elle juge ensuite que « l’article L.5213-9 du code du travail […] n’est pas applicable à l’indemnité compensatrice prévue à l’article L.1226-14 », ce qui exclut le doublement dans l’espèce.

I. L’obligation de sécurité face aux préconisations médicales: standard préventif et contrôle d’adéquation

A. Le cadre normatif: une obligation de prévention appréciée in concreto

La Cour rappelle les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail et retient une approche finalisée par la prévention. La formule citée consacre un standard d’efforts organisés et réactifs, évalués au regard des risques connus et signalés. La construction jurisprudentielle admet désormais l’exonération lorsque l’employeur démontre des mesures adéquates, planifiées et réévaluées. Cette modulation impose une traçabilité des actions de prévention et une cohérence entre prescriptions médicales et aménagements réels.

Dans cette perspective, la motivation s’inscrit dans une logique de proportionnalité. Le raisonnement confronte les préconisations, la définition du poste et les tâches effectivement réalisées. Il s’attache à l’organisation du temps de travail et à l’effort d’adaptation, plutôt qu’à une recherche abstraite d’un manquement formel. Cette méthode ouvre un espace de preuve aux deux parties, tout en exigeant une vigilance continue de l’employeur.

B. L’application aux aménagements du poste et du temps partiel thérapeutique

La Cour examine d’abord l’architecture du mi-temps thérapeutique. Le médecin du travail avait préconisé une répartition « de préférence sur des journées complètes », avec une alternance possible. L’argument consistant à exiger exclusivement des matinées est écarté, car contraire au texte médical. Le contrôle opéré vérifie la conformité entre l’horaire planifié et la lettre des avis.

Le juge du fond retient ensuite la question du port de charges et du contenu des missions. Les tâches ménagères légères, l’aide à la personne et les courses ponctuelles décrites n’impliquaient pas des charges supérieures à cinq kilogrammes, selon les éléments produits. La solution, centrée sur les preuves de l’organisation et la nature des activités confiées, confirme la cohérence du dispositif de prévention. Elle valide la démarche d’adaptation graduée au regard des limites fixées par la médecine du travail.

II. Le doublement du préavis du travailleur handicapé: principe favorable et exclusion en cas d’indemnité d’inaptitude

A. Le principe de l’article L.5213-9 et l’absence d’exigence d’information préalable

La Cour rappelle sans ambiguïté la portée du texte protecteur. Elle cite que « Un salarié a donc droit au doublement de l’indemnité compensatrice de préavis même s’il n’a pas révélé à l’employeur sa qualité de travailleur handicapé avant la notification de son licenciement ». La solution est constante et vise à assurer l’effectivité du droit, indépendamment d’un formalisme d’information préalable.

Cette affirmation a une utilité contentieuse claire. Elle neutralise un moyen de défense récurrent et garantit l’accès au bénéfice du doublement lorsque le salarié remplit les conditions de fond. Elle invite les praticiens à documenter la qualité de travailleur handicapé à la date pertinente, sans faire dépendre l’issue d’un échange préalable incertain.

B. L’articulation avec l’article L.1226-14: exclusion du doublement en cas d’inaptitude d’origine professionnelle

La Cour opère ensuite la coordination décisive entre deux régimes. Elle retient que « l’article L.5213-9 du code du travail […] n’est pas applicable à l’indemnité compensatrice prévue à l’article L.1226-14 ». Le motif est classique: l’indemnité de l’article L.1226-14 n’est pas un préavis exécuté ou doublé, mais une somme d’égal montant substitutive au préavis, liée à l’impossibilité d’exécution en raison de l’inaptitude.

La solution ménage l’économie du dispositif de l’inaptitude d’origine professionnelle. Elle combine une indemnité compensatrice équivalente au préavis et une indemnité spéciale de licenciement doublée, sans surenchère par le doublement propre aux travailleurs handicapés. La cohérence d’ensemble repose sur la finalité réparatrice spécifique de l’article L.1226-14.

Cette clarification présente une portée pratique immédiate. Les employeurs doivent verser l’indemnité spéciale et l’indemnité compensatrice prévues par l’inaptitude, mais ne doivent pas appliquer le doublement du préavis réservé aux situations où le préavis est la référence applicable. La décision confirme par ailleurs une sanction mesurée d’un manquement documentaire: l’omission d’une mention relative au préavis sur l’attestation destinée à l’assurance chômage justifie une indemnisation de 1 500 euros, appréciée in concreto.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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