Cour d’appel de Paris, le 10 septembre 2025, n°23/01262

Par un arrêt du 10 septembre 2025, Cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 4), la juridiction statue sur un incident de péremption d’instance en matière prud’homale. Le litige remonte à une saisine en 2006 portant sur l’exécution et la rupture du contrat de travail. En 2008, le conseil a accordé diverses indemnités au salarié, jugement frappé d’appel. Par un arrêt du 6 janvier 2021, la juridiction d’appel a prononcé la radiation, en subordonnant le réenrôlement au dépôt des écritures au fond du salarié, avec bordereau de pièces. Le salarié est décédé en février 2022. Son ayant droit a sollicité le réenrôlement et a déposé conclusions et pièces le 5 janvier 2023. L’appelante a ensuite demandé de voir constater la péremption, en soutenant qu’aucune diligence n’avait été accomplie entre décembre 2020 et janvier 2023.

L’appelante invoquait les articles 386 et 392 du code de procédure civile et la neutralité de la radiation sur le délai. L’intimée se prévalait de l’article R. 1452-8 du code du travail, dans sa rédaction applicable aux instances introduites avant le 1er août 2016, pour faire courir la péremption seulement à compter de la notification d’une décision mettant des diligences à la charge des parties. La question posée était celle du point de départ et du régime de la péremption en appel prud’homal ancien droit, articulé avec la radiation et l’interruption pour décès. La Cour retient que « le délai de péremption ne court que lorsque les parties ont reçu notification de la décision juridictionnelle mettant à leur charge des diligences » et juge que « le point de départ du délai de péremption a débuté à compter de la notification aux parties de l’arrêt du 6 janvier 2021 ». Elle en déduit qu’« en formulant sa demande de réintroduction le 5 janvier 2023 […], la péremption n’est pas acquise ». Elle rappelle, en outre, que « le décès d’une partie n’interrompt cependant l’instance qu’au profit des ayants droits de cette partie ». L’incident est rejeté, avec condamnation pour procédure abusive et allocation au titre de l’article 700.

I. Le régime applicable et la détermination du point de départ de la péremption

A. Le critère décisif de la notification de la décision imposant des diligences

La Cour cite la règle selon laquelle « l’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans ». Elle articule ensuite ce principe général avec la norme spéciale prud’homale issue de l’article R. 1452-8, en retenant que « ces dispositions demeurent applicables aux instances d’appel dès lors que le conseil de prud’hommes a été saisi avant le 1er août 2016 ». Le raisonnement se construit autour d’un point de départ objectif et prévisible, fixé par la notification de la décision mettant à charge des diligences. En conséquence, la computation part de l’arrêt de radiation du 6 janvier 2021, lequel précisait la diligence exigée pour le réenrôlement. La Cour énonce ainsi, de manière nette, que « le point de départ du délai de péremption a débuté à compter de la notification aux parties de l’arrêt du 6 janvier 2021 ». Cette lecture protège la partie tenue à agir contre une sanction attachée à une période d’incertitude antérieure à l’injonction juridictionnelle.

B. L’articulation avec la radiation, la suspension et l’interruption pour décès

La juridiction rappelle que « l’interruption de l’instance emporte celle du délai de péremption ». Elle précise encore que le délai « continue à courir en cas de suspension de l’instance sauf si celle-ci n’a lieu que pour un temps ou jusqu’à la survenance d’un événement déterminé ». La radiation, assortie d’une condition de réenrôlement, s’analyse comme une suspension finalisée par la réalisation d’un événement précis. Le cadre ainsi posé laisse intacte la règle spéciale de départ du délai en prud’homal. La Cour mentionne en outre, à propos du décès, qu’« à compter de la notification qui en est faite à l’autre partie, l’instance est interrompue par le décès d’une partie ». Elle en déduit, dans l’espèce, que l’interruption « n’interrompt cependant l’instance qu’au profit des ayants droits de cette partie », ce qui sécurise la reprise par l’ayant droit sans modifier le point de départ déjà retenu.

II. Valeur normative et portée pratique de la solution retenue

A. Conformité aux textes et exigence de sécurité procédurale

La solution concilie la lettre des articles 386, 392 et 370 du code de procédure civile avec la spécificité prud’homale issue de l’article R. 1452-8. Elle évite une péremption fondée sur une période antérieure à la notification d’une obligation claire, ce qui renforce la sécurité du justiciable. La rigueur formelle n’est pas relâchée pour autant, puisque la Cour conditionne le calcul à un acte objectif et aisément datable. L’issue est logiquement consacrée par l’affirmation que « en formulant sa demande de réintroduction le 5 janvier 2023 […], la péremption n’est pas acquise ». Le cadre dégagé prévient les confusions entre radiation, suspension et interruption, et ordonne la chronologie autour d’un marqueur de procédure non équivoque.

B. Incidences pratiques et encadrement des comportements dilatoires

La décision trace une ligne directrice utile pour les contentieux anciens toujours pendants en appel. Elle commande une vigilance accrue dès la notification d’une décision mettant des diligences à charge, sans faire peser de sanction avant cette étape. L’allocation de dommages-intérêts pour procédure abusive, fondée sur le code civil, souligne que l’incident de péremption ne peut servir de vecteur dilatoire lorsque l’affaire est en état d’être plaidée. Le rappel selon lequel « le décès d’une partie n’interrompt cependant l’instance qu’au profit des ayants droits de cette partie » protège la continuité de l’instance, tout en évitant une remise à zéro opportuniste du délai. L’ensemble favorise une économie processuelle équilibrée, ordonnée par la notification et dissuasive des manœuvres inopportunes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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