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La question du périmètre de la contestation ouverte à l’employeur en matière d’accident du travail a fait l’objet de nombreuses précisions jurisprudentielles. La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 11 juillet 2025, apporte un éclairage significatif sur les limites dans lesquelles l’employeur peut contester la prise en charge des soins et arrêts de travail sans remettre en cause la matérialité même de l’accident.
Un salarié exerçant les fonctions d’agent de sécurité a ressenti de fortes douleurs au dos et à la jambe droite le 9 janvier 2020 alors qu’il effectuait une surveillance sur son lieu de travail. L’employeur a établi une déclaration d’accident du travail le lendemain et a émis des réserves le 13 janvier 2020. Un certificat médical initial, daté du jour de l’accident, a constaté une lombalgie d’effort et prescrit un arrêt de travail. La caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge l’accident par décision du 22 décembre 2020 après instruction.
L’employeur a saisi la commission de recours amiable puis le tribunal judiciaire de Créteil pour contester l’opposabilité des soins et arrêts de travail prescrits. Il soutenait que la caisse ne justifiait pas d’une continuité de symptômes et de soins. Le tribunal, par jugement du 26 novembre 2021, a accueilli cette demande et déclaré inopposable la décision de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident. La caisse a interjeté appel.
La question posée à la Cour d’appel de Paris était de déterminer si un employeur, qui n’a pas contesté la matérialité de l’accident du travail devant la commission de recours amiable ni devant le premier juge, peut ultérieurement remettre en cause le certificat médical initial pour contester l’imputabilité des soins et arrêts au fait accidentel.
La cour infirme le jugement et déclare opposables à l’employeur l’ensemble des soins et arrêts pris en charge au titre de l’accident. Elle juge que « la demande de la société […] est irrecevable en ce qu’elle méconnaît les limites de la contestation ouverte à l’employeur lorsqu’il ne conteste pas formellement la matérialité de l’accident du travail en cause » et précise que « la société ne peut pas contester le certificat médical initial, même comme étant un duplicata, sans contester l’accident lui-même ».
Cette décision invite à examiner les frontières de la contestation de l’employeur face à la présomption d’imputabilité (I), avant d’analyser les conditions d’application de cette présomption aux soins et arrêts successifs (II).
I. Les frontières de la contestation de l’employeur face à la présomption d’imputabilité
La cour d’appel délimite avec précision le périmètre de la contestation recevable de l’employeur (A), avant de sanctionner le dépassement de ces limites par le premier juge (B).
A. La délimitation du périmètre de contestation recevable
L’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale instaure une présomption d’imputabilité selon laquelle constitue un accident du travail tout événement survenu à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail dont il est résulté une lésion corporelle. Cette présomption établit, comme le rappelle la cour, « un double lien de causalité : d’une part, le lien entre la lésion et l’accident et, d’autre part, le lien entre la lésion et le travail ».
La cour procède à une analyse minutieuse de la procédure antérieure. Elle relève que devant la commission de recours amiable, l’employeur demandait de « prononcer […] l’inopposabilité de la décision de prise en charge des arrêts de travail successifs et des soins médicaux consécutifs à l’accident du travail ». Devant le premier juge, la société limitait pareillement sa contestation à l’imputabilité des soins et arrêts. La cour note que « sur interrogation », l’employeur « a confirmé à l’audience que, jusqu’en appel, [il] ne contestait pas la matérialité de l’accident mais seulement l’opposabilité des arrêts de travail et des soins prescrits ».
Cette délimitation procédurale produit des effets juridiques déterminants. Dès lors que l’employeur n’a pas contesté la prise en charge initiale, « la lésion déclarée dans le certificat médical initial […] est la lésion qui résulte du fait accidentel et, de ce fait, son caractère professionnel et son imputabilité à l’accident du travail ne peuvent plus être remis en cause ». La cour consacre ainsi une forme de cristallisation du litige autour des seuls éléments expressément contestés.
B. La sanction du dépassement des limites de la contestation
L’employeur développait en appel trois branches de critique. Il contestait la valeur probante du certificat médical initial portant la mention « duplicata rectificatif ». Il soutenait l’impossibilité que la lésion initiale fût une lombalgie d’effort au regard des circonstances de l’accident. Il invoquait enfin les déclarations du salarié faisant état de problèmes de dos depuis 2002.
La cour rejette ces arguments en considérant que « sous couvert de contester l’imputabilité de soins et arrêts à l’accident […] depuis le premier jour, au motif que le ‘véritable’ premier certificat médical initial serait inconnu », l’employeur « conteste en réalité la matérialité même de l’accident ». Elle en déduit que « la société ne peut pas contester le certificat médical initial, même comme étant un duplicata, sans contester l’accident lui-même ».
Le tribunal avait pourtant accueilli la demande de l’employeur. La cour censure cette décision en relevant qu’il avait « méconnu les termes du litige et statué ultra petita en poursuivant la logique de la société au-delà des seuls termes apparents de ses demandes ». Cette qualification d’ultra petita présente une particularité. Le tribunal avait formellement répondu aux moyens soulevés. Toutefois, en déclarant inopposable la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident alors que seule l’opposabilité des soins et arrêts successifs était contestée, il avait statué au-delà des prétentions.
II. Les conditions d’application de la présomption d’imputabilité aux soins et arrêts successifs
La cour précise le mécanisme de la présomption d’imputabilité (A) et examine les modalités de la preuve contraire incombant à l’employeur (B).
A. Le mécanisme de la présomption d’imputabilité
La cour rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle « la présomption d’imputabilité des lésions apparues à la suite d’un accident du travail […], dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d’accident du travail est assorti d’un arrêt de travail, s’étend pendant toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète soit la consolidation de l’état de la victime ».
Elle opère ensuite une extension notable de cette présomption. Elle juge que « dans la mesure où l’arrêt de travail n’est qu’une modalité des soins que le médecin peut prescrire […] et où la prise en charge au titre du risque professionnel de l’accident n’est pas subordonnée à la prescription d’un arrêt de travail mais de soins au sens générique, il convient de considérer que la présomption d’imputabilité s’applique également, dès lors que le certificat médical initial prescrit un soin, sur toute la période courant du certificat médical initial à la date de consolidation ou de guérison ».
Cette analyse élargit le champ d’application de la présomption. En l’espèce, le certificat médical initial prescrivait des soins et un arrêt dès le 9 janvier 2020. La cour en déduit que « les conditions sont réunies pour faire jouer la présomption d’imputabilité à l’accident du travail des soins et arrêts prescrits jusqu’à la date de consolidation ou de guérison ».
B. La charge de la preuve contraire
Il appartient à l’employeur contestant la présomption d’apporter la preuve contraire. La cour précise le contenu de cette preuve. Elle doit établir « que les soins et arrêts sont exclusivement justifiés par une cause totalement étrangère au travail ».
L’employeur invoquait un état pathologique antérieur du salarié. Il citait les déclarations de celui-ci indiquant que « ce n’est pas la première fois qu’il se blesse au dos », que ces douleurs seraient dues à « une accumulation de nombreuses années de travail » et que ses problèmes de dos « persistaient depuis 2002 ». La cour écarte cet argument en relevant que « ces propos, à les supposer exacts, imprécis sont donc inopérants pour établir une cause totalement étrangère au travail ».
La cour ajoute une précision importante. Elle rappelle « qu’un état antérieur peut être dolorisé, aggravé ou révélé par un accident du travail, l’antériorité d’une lésion ne la rendant pas ipso facto totalement étrangère à l’accident et au travail ». Cette formulation confirme que la preuve exigée de l’employeur est particulièrement exigeante. Il ne suffit pas de démontrer l’existence d’un état antérieur. Il faut établir que cet état constitue la cause exclusive des soins et arrêts contestés.
Au surplus, la caisse produisait l’ensemble des certificats médicaux de prolongation démontrant « la continuité des symptômes, soins et arrêts entre le 9 janvier 2020 et le 1er décembre 2021 ». Cette continuité documentée rendait la contestation de l’employeur d’autant plus difficile à prospérer.