Cour d’appel de Paris, le 11 septembre 2025, n°22/01496

Rendue par la Cour d’appel de Paris le 11 septembre 2025, la décision tranche un contentieux prud’homal relatif au paiement du salaire pendant une absence prolongée et à la résiliation judiciaire. Le salarié, embauché en 2018, a connu un arrêt de travail jusqu’au 26 février 2020, puis n’a pas repris son poste et s’est rendu à l’étranger, invoquant le décès d’un proche et les restrictions liées à la pandémie. Il est revenu en France fin juillet 2020 avant d’être de nouveau en arrêt, puis déclaré apte lors de visites médicales en 2021.

La juridiction de première instance a rejeté les demandes indemnitaires et résolutoires. En appel, le salarié sollicitait un rappel de salaire pour congé exceptionnel de mars 2020, la rémunération jusqu’à fin juillet 2020, des dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi, ainsi que la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur. L’employeur opposait l’absence injustifiée depuis le 27 février 2020, la non-mise à disposition du salarié, l’existence d’un plan de continuité par télétravail et la diligence apportée aux transmissions destinées à la CPAM.

La question posée portait d’abord sur les conditions du maintien de la rémunération en cas d’absence non justifiée et d’indisponibilité effective du salarié, dans un contexte de crise sanitaire et de contraintes de déplacement. Elle portait ensuite sur la gravité de manquements allégués pour justifier une résiliation judiciaire, au regard de la poursuite du contrat. La cour confirme le jugement et précise, au soutien de la solution, que « Il appartient au salarié absent de son poste de travail de justifier du motif de son absence » et que « Par ailleurs, lorsqu’un salarié n’est pas en mesure de fournir la prestation inhérente à son contrat de travail, l’employeur ne peut être tenu de lui verser un salaire que si une disposition légale, conventionnelle ou contractuelle lui en fait obligation ». La demande de résiliation est écartée, faute de preuve de manquements empêchant la poursuite du contrat.

I. Le sens de la décision: absence injustifiée, indisponibilité et principe de non-paiement

A. La justification de l’absence et le congé pour événement familial

La cour retient une absence injustifiée dès le 27 février 2020, faute d’éléments probants sur le départ à l’étranger, l’information donnée à l’employeur et la demande d’autorisations d’absence. Elle relève que « le salarié ne justifie pas de son absence à son poste de travail à compter du 27 février 2020 », ce qui conditionne la rémunération. Le droit à congé exceptionnel en cas de deuil ne se déclenche pas spontanément sans démarche du salarié ni indication des dates. La formation précise, avec netteté, qu’« en outre, contrairement à ce qu’il affirme, la société ne devait pas lui verser « dès connaissance du décès de son père » les trois jours de salaire prévus par la loi » et qu’« il appartenait au contraire au salarié de solliciter une autorisation d’absence exceptionnelle en justifiant du motif invoqué et en précisant les dates ».

Ce rappel ordonne les règles: le congé pour événement familial demeure un droit encadré, déclenché par une demande et des justificatifs, et non par la seule connaissance par l’employeur des circonstances familiales. La conséquence est implacable sur le terrain salarial. La cour constate qu’« ainsi, à compter du 27 février 2020, le salarié était en absence injustifiée » et que la demande de rappel de salaire se heurte à la carence de preuve des conditions d’ouverture du droit. Cette approche ne paraphrase pas la règle; elle en restreint l’effet aux hypothèses correctement formalisées et documentées par le salarié.

B. La mise à disposition en confinement et l’impossibilité d’exécuter la prestation

La formation écarte tout automatisme de rémunération pendant le confinement, rappelant que l’entreprise n’a pas recouru à l’activité partielle et que l’activité s’est poursuivie en télétravail. Elle souligne expressément qu’« elle a pu mettre en place un plan de continuité de l’activité, en recourant massivement au télétravail ». L’argument central demeure celui de l’indisponibilité matérielle du salarié, qui a reconnu ne pas disposer de ses outils professionnels, ni de moyens de communication sécurisés.

L’arrêt retient que le salarié « ne se trouvait pas à la disposition de son employeur », relevant ses propres déclarations d’indisponibilité, et précise que « la société répond à juste titre qu’elle doit s’assurer d’échanges d’informations et de documents professionnels dans des conditions de réseau informatique sécurisé ». La conséquence juridique s’ensuit, directe et sobre: « Il découle de ces éléments que le salarié ne justifie pas de son absence à son poste à compter du 27 février 2020 et qu’il ne s’est pas tenu à la disposition de son employeur lorsqu’il était au Cameroun ». La cour en infère la solution, lapidaire et décisive: « Aucun rappel de salaire n’est donc dû sur la période du 12 mars 2020 au 26 juillet 2020 ».

II. Valeur et portée: contrôle de la gravité des manquements et enseignements pratiques

A. L’exigence de manquements graves actuels pour la résiliation judiciaire

La décision apprécie la résiliation judiciaire à l’aune de l’article 1224 du code civil et d’une jurisprudence constante sur la gravité et l’actualité des manquements. Elle considère, dans une formule qui fixe la mesure, que « à les supposer établis, les manquements reprochés datant de plusieurs années, il ne peut être considéré qu’ils ont empêché la poursuite du contrat ». Le contrat s’est poursuivi après la reprise, sans difficulté caractérisée, ce qui affaiblit la thèse d’une rupture imputable.

Le contrôle probatoire est rigoureux et renseigne la valeur de la solution. La formation décide que « Il en découle que faute pour le salarié de rapporter la preuve d’un manquement de la société empêchant la poursuite du contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire est rejetée ». Cette exigence d’un empêchement avéré, et non d’une simple critique rétrospective, confirme la ligne: la résiliation n’est pas la sanction de désaccords anciens mais la réponse à des défaillances actuelles, graves et persistantes.

La même exigence traverse l’exécution de bonne foi et le grief relatif à la CPAM. La cour note, sans détour, que « force est de constater que le salarié […] ne justifie ni d’une demande de remboursement de la CPAM, ni d’une faute de son employeur ». Elle ajoute que les télédéclarations et attestations ont été effectuées avec diligence pendant l’été, neutralisant l’allégation d’un préjudice direct imputable à l’employeur.

B. Les enseignements opérationnels: intercontrat, sécurité des échanges et crises sanitaires

La portée de l’arrêt se lit d’abord dans l’articulation entre « intercontrat » et mise à disposition. L’intercontrat ne crée pas un droit autonome à rémunération si le salarié, par son fait, n’est pas en mesure d’exécuter la prestation, faute d’accès à ses outils et d’inscription dans le cadre de sécurité informatique. La cour insiste, dans une formule significative, sur la nécessité d’« échanges d’informations et de documents professionnels dans des conditions de réseau informatique sécurisé ». Le principe de non-paiement hors prestation ne cède que devant un texte, ce que rappelle la clause directrice: « l’employeur ne peut être tenu de lui verser un salaire que si une disposition légale, conventionnelle ou contractuelle lui en fait obligation ».

Ensuite, la décision livre un enseignement mesuré sur la pandémie et les restrictions de déplacement. Les obstacles liés aux frontières ne suffisent pas, à eux seuls, à caractériser un cas ouvrant droit au salaire, en l’absence d’une impossibilité objectivement indépassable pour rejoindre le lieu de résidence, dûment établie. La formation relève l’existence de retours possibles pour les personnes résidentes et l’insuffisance des justificatifs produits à ce titre. La démonstration probatoire de l’impossibilité, et non l’affirmation, demeure déterminante.

Enfin, l’arrêt réaffirme la temporalité de la résiliation judiciaire. Des dysfonctionnements anciens, suivis d’une reprise apaisée du contrat, ne permettent pas de conclure à un empêchement actuel. La formule selon laquelle « le jugement est confirmé en ce sens » clôt une motivation cohérente, qui privilégie la continuité du lien contractuel lorsque les manquements ne répondent plus au critère de gravité contemporaine et de persistance. Cette ligne directrice, d’une grande stabilité, encadre utilement les contentieux nés des épisodes exceptionnels, sans dénaturer les principes ordinaires du droit du travail.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture