Cour d’appel de Paris, le 11 septembre 2025, n°22/02176

Par un arrêt de la Cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 7) du 11 septembre 2025, un licenciement disciplinaire est réexaminé à l’aune des exigences probatoires applicables. Un agent de service, engagé en 2007 puis transféré en 2012, avait reçu deux avertissements en 2016 et 2017, avant une procédure de licenciement pour faute grave en octobre 2018, notifiée en novembre. Le Conseil de prud’hommes de Bobigny, le 27 décembre 2021, a requalifié la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, allouant diverses sommes, décision frappée d’appel par l’employeur. Devant la juridiction d’appel, l’employeur recherchait la reconnaissance de la faute grave, subsidiairement d’une faute simple, tandis que le salarié sollicitait la confirmation intégrale et l’intervenant le remboursement des allocations chômage. La question posée tenait à la suffisance des éléments produits pour établir des manquements imputables en 2018, malgré des sanctions antérieures, au regard de l’office du juge prud’homal et des règles de preuve. La cour confirme l’absence de cause réelle et sérieuse, maintient les indemnités de rupture, ajuste l’indemnité pour licenciement sans cause à 10 000 euros et ordonne le remboursement des prestations chômage à l’organisme compétent.

I. L’appréciation des manquements et de la preuve

A. Le cadre juridique et l’office du juge

La juridiction rappelle d’abord le périmètre du litige et le standard probatoire gouvernant la rupture disciplinaire. Il est énoncé que « La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement. » Le contrôle exercé porte donc sur les griefs articulés et prouvés, appréciés au regard des éléments versés contradictoirement au débat, avec pouvoir d’instruction du juge.

Elle réaffirme ensuite les définitions cardinales. D’une part, « La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. » D’autre part, « La charge de la preuve de la faute grave pèse sur l’employeur. » Ce rappel s’articule avec la règle favorable au salarié, essentielle lorsque la matérialité ou l’imputabilité restent discutées : « Si un doute subsiste, il profite au salarié. » Enfin, la motivation insiste sur le principe d’unicité de la sanction, pertinent lorsque des manquements anciens ressurgissent sous couvert de griefs nouveaux : « Aucun fait fautif ne peut donner lieu à une double sanction disciplinaire. »

Ce cadre normatif implique, en pratique, une démonstration circonstanciée, datée, et directement rattachée au salarié visé, spécialement lorsque l’organisation du travail suppose des interventions multiples sur un même site. À défaut, l’impossibilité de maintien exigée par la faute grave ne saurait être retenue sans dénaturer l’exigence probatoire.

B. L’insuffisance des pièces produites et l’écueil de la réitération disciplinaire

L’employeur versait plusieurs fiches de contrôle et une attestation hiérarchique. Les fiches antérieures à 2018 correspondaient aux prestations déjà sanctionnées par les avertissements de 2016 et 2017. Leur invocation ne pouvait donc refonder la rupture, au risque de heurter l’interdiction de la double sanction. L’analyse distingue ensuite les pièces relatives à l’année 2018, seules décisives pour apprécier la persistance des manquements et leur gravité.

La juridiction relève l’absence de signature de l’employeur et du client sur les trois fiches de 2018, alors même qu’un emplacement y était réservé, et l’impossibilité d’y rattacher avec certitude les prestations du salarié, le site n’étant pas exclusivement confié à un seul intervenant. L’attestation hiérarchique mentionnait des rappels oraux et des consignes, mais elle ne datait pas les faits rapportés ni n’établissait la réalisation personnelle des manquements postérieurement aux avertissements. La cour en déduit, sans équivoque, que « Par suite, ces documents ne sont pas suffisamment précis et circonstanciés pour établir la matérialité des faits mentionnés dans la lettre de licenciement. »

L’argumentation se referme par une appréciation nette de l’imputabilité et de la matérialité des griefs en 2018, à la lumière d’attestations contraires des gardiens satisfaits des prestations du salarié. « Par suite, aucun manquement ne peut être reproché au salarié. » La conséquence s’impose alors, emportant l’ensemble du contentieux principal de la rupture : « Dès lors, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. »

II. Les effets indemnitaires et accessoires de l’absence de cause réelle et sérieuse

A. Les indemnités de rupture et l’indemnisation encadrée par le barème

La confirmation de l’absence de faute grave rétablit le droit au préavis et aux congés payés afférents, selon les articles L.1234-1 et L.1234-5 du code du travail, compte tenu de l’ancienneté acquise. L’indemnité légale de licenciement est également confirmée, conformément aux articles L.1234-9 et R.1234-2, le salaire de référence étant déterminé selon la formule la plus favorable posée par l’article R.1234-4. La juridiction précise en outre que l’entreprise employait au moins onze salariés lors de la rupture, critère pertinent pour l’application de l’indemnisation encadrée.

S’agissant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt mobilise le barème de l’article L.1235-3. La motivation retient de manière explicite l’amplitude applicable au regard de l’ancienneté constatée : « Compte tenu d’une ancienneté de onze ans, le salarié peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 3 et 10,5 mois de salaire. » Après appréciation des circonstances personnelles et professionnelles – âge, indemnisation chômage jusqu’en juillet 2021, liquidation d’une pension de retraite à compter de septembre 2021 –, la cour calibre l’indemnité à un niveau intermédiaire. Elle statue en ces termes : « il lui sera alloué la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. »

La solution illustre une application raisonnée du barème, prenant en compte l’effectivité du préjudice et sa durée, à la lumière de la situation post-rupture. La réduction par rapport au quantum de première instance s’explique par l’articulation entre l’ancienneté, l’indemnisation antérieure perçue et la proximité de la retraite, sans dénaturer la fonction réparatrice de l’indemnité dans les bornes légales.

B. Le remboursement des prestations chômage et la portée pratique de la décision

La confirmation du caractère injustifié du licenciement déclenche l’obligation accessoire de remboursement à l’opérateur public de l’emploi des allocations versées, sur le fondement de l’article L.1235-4 du code du travail. La cour ordonne le remboursement des prestations versées sur la période identifiée, le tout en cohérence avec la nature de la rupture requalifiée et l’étendue des paiements démontrés par l’attestation produite. L’accessoire suit le principal, sans qu’il soit besoin d’ajouter d’autres considérations, dès lors que la condition légale est réunie.

Au-delà du cas d’espèce, la décision a une portée pédagogique notable pour les secteurs fonctionnant par sites multipartenaires et interventions croisées. Elle exige des preuves traçables, signées, datées, et clairement imputables au salarié, spécialement lorsque des griefs tiennent à la qualité perçue par un client. Des fiches de contrôle non signées et des attestations générales, non situées dans le temps de la rupture, ne suffisent pas. L’arrêt rappelle aussi l’impossibilité de reprocher à nouveau des faits antérieurement sanctionnés, sauf élément nouveau précisément établi, et réaffirme l’économie probatoire du droit du licenciement, où la règle « Si un doute subsiste, il profite au salarié » demeure structurante.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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