Cour d’appel de Paris, le 11 septembre 2025, n°22/05263

Cour d’appel de Paris, 11 septembre 2025. Le litige porte sur la validité d’un licenciement pour faute grave d’une directrice, à la suite d’échanges électroniques jugés irrespectueux et d’une mise à pied antérieure. Engagée depuis 2007 et promue à des fonctions de direction, la salariée a été licenciée en janvier 2020 après une mise à pied disciplinaire prononcée en novembre 2019. Saisie le 9 décembre 2020, le Conseil de prud’hommes de Paris a débouté la salariée par jugement du 13 avril 2022. Appel a été interjeté le 9 mai 2022. Devant la cour, la salariée sollicite l’indemnisation d’un licenciement sans cause, tandis que l’employeur maintient la faute grave en invoquant l’insubordination et un ton ironique persistant. La question de droit tient à la caractérisation d’une faute grave ou, à tout le moins, d’une cause réelle et sérieuse en présence de critiques internes, à propos de tâches urgentes, au sein d’un cercle dirigeant restreint. La cour infirme pour l’essentiel, retenant l’absence de cause réelle et sérieuse, et alloue des indemnités de rupture et de licenciement, tout en refusant le caractère vexatoire et le remboursement à l’assurance chômage.

I. Le sens de la décision

A. Le cadre normatif et probatoire retenu par la juridiction d’appel

La cour rappelle les standards substantiels et procéduraux applicables, qui structurent le contrôle de la qualification. Elle énonce d’abord que « Il résulte des dispositions de l’article L.1234-1 du code du travail que la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle nécessite le départ immédiat du salarié, sans indemnité. » Cette définition impose un degré d’intensité élevé, justifiant l’éviction immédiate.

La charge de la preuve incombe à l’employeur, principe réaffirmé sans détour par la cour : « La preuve de la faute grave incombe à l’employeur, conformément aux dispositions des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile. » Le contrôle porte ensuite sur l’existence d’une cause, fût-elle non grave, en application de la méthode probatoire bilatérale. La juridiction rappelle ainsi que « Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié. » Le périmètre du litige est borné par l’écrit de rupture, la cour visant expressément que « la lettre de licenciement du 14 janvier 2020, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l’article L.1232-6 du code du travail, » détermine les griefs exploités.

B. L’appréciation des griefs au regard de la liberté d’expression et du principe de non-cumul des sanctions

Le premier grief relatif à une réunion budgétaire n’est pas établi, faute de pièces probantes. Le courriel du 2 décembre, réplique à une sanction contestée, ne dépasse pas les limites admissibles de l’expression professionnelle. La cour apprécie surtout les messages du 12 décembre, envoyés dans un contexte d’instructions pressantes adressées en copie aux organes dirigeants. Elle retient que « elles n’ont été adressées que dans le cercle restreint des instances dirigeantes de l’association, ne manifestent pas un refus d’accomplir les tâches demandées et ne dépassent pas les limites de la liberté d’expression acceptables de la part d’un cadre. » L’ironie et la vivacité ne suffisent donc pas, dans ce cercle, à caractériser une insubordination fautive.

La conclusion s’impose alors en termes de qualification : « Aucun des griefs ainsi énoncés au soutien du licenciement ne justifient donc celui-ci, que ce soit pour faute grave ou même pour cause réelle et sérieuse. » La cour en tire une conséquence procédurale immédiate, s’agissant des faits déjà sanctionnés, en rappelant que « Dans ces conditions, les autres faits énoncés par la lettre de licenciement ayant déjà été sanctionnés par la mise à pied disciplinaire notifiée le 21 novembre 2019, qui ne peuvent être sanctionnés une seconde fois, ne peuvent d’avantage être appréciés comme cause aggravante de griefs infondés. » Ce raisonnement, fondé à la fois sur la preuve, les limites de l’écrit de rupture et la liberté d’expression en entreprise, commande d’apprécier maintenant sa valeur et sa portée.

II. Valeur et portée de la solution

A. Une méthode rigoureuse conciliant exigence probatoire et liberté d’expression du cadre

La décision présente une cohérence solide. En rappelant les critères d’intensité de la faute grave et la charge probatoire, la cour offre un contrôle substantiel et méthodologique lisible. L’application circonstanciée au support électronique interne, couplée à la prise en compte du « cercle restreint » et de l’absence de refus d’exécuter, opère une distinction nette entre critique professionnelle et insubordination. L’équilibre est renforcé par la règle protectrice selon laquelle, « si un doute persiste, il profite au salarié. » Le non-cumul des sanctions évite en outre que des faits déjà réprimés servent de marchepied à une rupture ultérieure, ce qui maintient la cohérence disciplinaire.

La solution sur les demandes accessoires confirme la rigueur d’ensemble. La cour refuse la qualification vexatoire au vu d’un envoi électronique postérieur à l’expédition, motifant que « Cependant, ce fait n’est pas de nature à conférer au licenciement un caractère vexatoire. » Le quantum alloué au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause est fixé après prise en compte de l’expérience, de l’âge et du marché du travail, la cour énonçant qu’« il convient d’évaluer son préjudice à 55 000 euros. » L’indemnité de préavis est justement réduite à deux mois, en l’absence d’assise conventionnelle pour trois mois. L’ensemble préserve la hiérarchie des normes et la prévisibilité des effets.

B. Incidences pratiques et lignes de conduite pour les acteurs de la relation de travail

La portée pratique est nette. Pour l’employeur, l’exigence probatoire commande de verser les pièces démontrant les retards allégués, les absences ou le refus d’exécuter, et d’argumenter sur la perturbation du service au-delà du ton employé. La rédaction de la lettre de rupture demeure déterminante, puisqu’elle borne les griefs exploitables, ce que la juridiction rappelle fermement. L’attention au contexte d’émission des messages et au périmètre de diffusion s’impose, un « cercle restreint » de gouvernance atténuant la gravité des propos.

Pour le salarié cadre, la décision confirme que la critique vive, lorsqu’elle demeure interne et s’accompagne d’un travail effectivement accompli, ne caractérise pas une insubordination. La détermination d’un quantum dans l’intervalle légal repose sur une appréciation concrète et mesurée de l’employabilité. Enfin, l’incidence de la taille de la structure est rappelée, la cour précisant que « L’association employant moins de 11 salariés, il résulte des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, que l’obligation de condamner l’employeur à rembourser les indemnités de chômage ne s’applique pas. » La grille posée favorise la prévisibilité, tout en imposant une discipline de preuve et de rédaction conforme aux exigences du contentieux prud’homal.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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