- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La Cour d’appel de Paris, 11 septembre 2025, se prononce sur l’opposabilité d’un forfait-jours, la charge de la preuve des heures supplémentaires et des repos, la qualification de harcèlement moral, ainsi que les effets d’une résiliation judiciaire. La décision articule minutieusement contrôle des garanties légales, méthode probatoire et cohérence des sanctions.
Une salariée, engagée comme assistante de direction sous forfait-jours, invoquait une charge de travail excessive, une disponibilité permanente imposée, et des tâches sans lien avec ses fonctions. Elle sollicitait la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur, divers rappels salariaux, ainsi que l’indemnisation d’un harcèlement moral. L’employeur opposait la validité du forfait-jours, des relevés de présence dans les locaux, et contestait les dépassements horaires allégués.
Le conseil de prud’hommes avait accueilli l’essentiel des demandes. Saisie par l’employeur, la cour confirme la résiliation judiciaire, retient l’inopposabilité du forfait-jours, reconnaît des heures supplémentaires significatives et des repos compensateurs, constate un harcèlement moral et en déduit la nullité de la rupture, tout en ajustant certains montants. L’arrêt examine successivement la validité du forfait-jours et le régime probatoire des heures, puis apprécie la gravité des manquements et leur portée indemnitaire.
I. Forfait-jours inopposable et contrôle du temps de travail
A. Les exigences impératives des articles L.3121-64 et L.3121-65 et la défaillance des garanties
La cour rappelle d’abord l’architecture légale du forfait-jours, centrée sur l’évaluation et le suivi réguliers de la charge, des entretiens périodiques et du droit à la déconnexion. Les stipulations conventionnelles applicables imposaient un autocontrôle par le salarié, sans réelle structuration des diligences de l’employeur. La formule est expresse: «Ces dispositions, qui font reposer sur le salarié la charge de contrôler son propre temps de travail, ne sont pas conformes aux dispositions précitées de l’article L.3121-64». Dès lors, «Il convient donc de déterminer si celles de l’article L.3121-65 ont été respectées.»
Au titre du contrôle subsidiaire, l’employeur produisait des relevés d’accès aux locaux et invoquait des échanges informels liés à la petite taille de la structure. La cour juge ces éléments impropres à satisfaire les garanties légales: «Ces éléments ne suffisent pas à respecter les dispositions précitées de l’article L.3121-65 du code du travail.» La conclusion s’impose, nette et autonome: «La clause de forfait est donc privée d’effet». Cette solution s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante exigeant des mécanismes effectifs et vérifiables, adaptés aux risques de surcharge et aux repos. Elle converge avec l’exigence européenne selon laquelle «il incombe à l’employeur, l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.» L’arrêt unifie ainsi les standards internes et européens, sans sophistications inutiles.
L’inopposabilité du forfait ramène mécaniquement au droit commun du décompte, et renforce la vigilance sur la documentation temporelle. La suite de l’arrêt en déduit les conséquences probatoires et indemnitaires.
B. La méthode probatoire des heures et l’évaluation raisonnable des repos
La cour rappelle la répartition de la charge en cas de litige, et la suffisance d’éléments précis du salarié pour permettre à l’employeur de répondre utilement. Elle retient le principe directeur, classique et utilement cité: «Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord de l’employeur, soit s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.» Les relevés de présence ne reflétaient pas le travail effectué hors site, alors établi par des pièces concordantes. La cour fixe, dans une appréciation souveraine, une durée hebdomadaire de cinquante heures, soit quinze heures supplémentaires par semaine sur la période non prescrite.
La même méthode gouverne le respect des durées maximales et du repos. L’arrêt souligne que «la durée hebdomadaire de travail ne peut pas dépasser 48 heures sur une semaine donnée et 44 heures en moyenne sur 12 semaines consécutives», et constate des violations répétées des repos quotidiens et hebdomadaires. Il en résulte des majorations, une contrepartie obligatoire en repos au-delà du contingent, ainsi que des dommages-intérêts spécifiques. Cette quantification, sobre et proportionnée, démontre une construction probatoire rigoureuse, respectueuse des textes et de la réalité opérationnelle.
II. Gravité des manquements, harcèlement moral et portée indemnitaire
A. Harcèlement moral et résiliation judiciaire produisant la nullité
Le cadre normatif est d’abord rappelé, dans ses termes mêmes: «Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral…» et «Conformément aux dispositions de l’article L.1154-1 du même code, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement…» Les éléments versés établissent une disponibilité imposée, des sollicitations multiples y compris aux périodes de repos, des messages pressants et contradictoires, et des réactions disciplinaires inadaptées en contexte d’alerte. La cour tranche sobrement: «Ces faits, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.»
La résiliation judiciaire était dès lors inévitable, les manquements étant «d’une gravité telle qu’ils empêchaient la poursuite du contrat de travail». La conséquence statutaire s’ensuit lorsque la rupture découle du harcèlement: elle «doit produire les effets d’un licenciement nul». Le quantum indemnitaire retient l’ancienneté, la rémunération reconstituée incluant les heures, et la période de retour à l’emploi. La motivation, ordonnée et factuelle, sanctionne le déséquilibre structurel du travail et réaffirme la fonction protectrice du droit des relations de travail.
B. Travail dissimulé, repos et effets pratiques de l’arrêt
Le constat d’heures substantielles non déclarées ouvre la voie à l’indemnité forfaitaire prévue par les articles L.8221-5 et L.8223-1. La cour retient le caractère intentionnel, en raison de bulletins minorant le temps réellement accompli et d’indices concordants lors d’une période d’activité partielle. La formule, incisive et mesurée, conclut: «Ces éléments établissent la réalité d’une intention frauduleuse de dissimulation.» L’arrêt précise en outre la logique de remise des documents rectifiés, assortie d’une astreinte proportionnée à l’exécution diligente.
La portée pratique est double. Elle consolide d’abord la jurisprudence exigeant, pour les forfaits-jours, des garanties effectives et traçables, et non un autocontrôle vidé de substance. Elle renforce ensuite l’orthodoxie probatoire en matière d’heures, en reconnaissant une évaluation raisonnable lorsque les pièces d’entreprise demeurent partielles. L’ensemble s’articule avec la contrepartie obligatoire en repos, la sanction du harcèlement et l’indemnité pour travail dissimulé, dessinant une grille cohérente de prévention et de réparation. L’arrêt, enfin, rappelle aux employeurs l’exigence d’un outillage temporel fiable et d’un management respectueux des repos, sans quoi l’ensemble des risques juridiques se cumule rapidement.