Cour d’appel de Paris, le 11 septembre 2025, n°23/06180

Par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 11 septembre 2025, la juridiction se prononce sur les effets d’une prise d’acte, l’existence d’un travail dissimulé et l’application des règles liées au remboursement des allocations chômage. Le litige naît d’une relation commencée en 2017 et marquée par une promotion en 2018, deux grossesses, une mise à l’écart alléguée au retour de congé de maternité, et des prestations accomplies durant des périodes d’activité partielle. Après une demande de résiliation judiciaire en octobre 2021, la salariée a pris acte de la rupture en novembre. Le premier juge a requalifié la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, alloué diverses indemnités, et retenu le travail dissimulé. L’appelant sollicitait l’infirmation, tandis que l’intimée réclamait une indemnisation pour exécution déloyale et une majoration de l’indemnité pour licenciement dépourvu de cause. La question portait sur la gravité des manquements invoqués, l’intention requise pour le travail dissimulé, l’obligation de visite de reprise et l’incidence de l’effectif réduit sur le remboursement des allocations. La cour confirme l’essentiel, retient la gravité des manquements, admet le travail dissimulé, écarte l’exécution déloyale relative à la visite de reprise et refuse le remboursement compte tenu de l’effectif.

I. Le sens de la décision

A. Critères de la prise d’acte et office du juge

La cour rappelle de manière structurée le régime de la prise d’acte. Elle énonce que: « Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul si les manquements invoqués sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d’une démission. Cette prise d’acte de la rupture par le salarié entraîne la cessation immédiate du contrat de travail en sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la demande de résiliation introduite auparavant. » Le principe gouvernant l’office du juge est posé avec précision: « S’il appartient alors au juge de se prononcer sur la seule prise d’acte, il doit fonder sa décision sur les manquements de l’employeur invoqués par le salarié tant à l’appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu’à l’appui de la prise d’acte. » L’arrêt retient une appréciation globale des griefs, confirmée par la formule: « Ainsi, la prise d’acte rend sans objet l’action en résiliation judiciaire mais le juge doit se prononcer en faisant masse des griefs invoqués par le salarié à l’appui de sa demande de résiliation judiciaire, puis de sa prise d’acte. » Enfin, la charge probatoire est clairement assignée: « La charge de la preuve des faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur à l’appui tant de sa demande de résiliation judiciaire que de sa prise d’acte de la rupture pèse sur le salarié. »

Ces rappels ordonnent le contrôle opéré. La cour vérifie la consistance des griefs en articulant pièces, attestations et traces numériques. Elle apprécie la crédibilité des témoignages au regard des liens de subordination et de la précision factuelle. Elle retient une dégradation des conditions de travail, l’éviction des responsabilités au retour de congé de maternité, et la réalisation de prestations en période d’activité partielle. Le raisonnement demeure centré sur la gravité et l’actualité des manquements, appréciées in concreto.

B. Application aux faits et qualification des manquements

L’arrêt constate que la salariée a subi, sur une période étendue, une forte charge de travail non aménagée pendant la grossesse, des remarques injustifiées, et une mise à l’écart au retour de congé, les fonctions antérieurement exercées ayant été réaffectées. La cour affirme la matérialité des manquements en ces termes: « L’analyse des pièces versées par la salariée conduit la cour à constater la matérialité de manquements imputables à l’employeur […] ces manquements ayant persisté durant plusieurs années jusqu’à rendre impossible la reprise du travail par la salariée au regard de la détérioration de son état de santé psychique. » Elle en déduit la gravité requise et la conséquence juridique: « Dans ces conditions, il convient de constater que les manquements de l’employeur rendaient impossible la poursuite du contrat de travail, de sorte que la prise d’acte de sa rupture par la salariée le 9 novembre 2021 produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. »

La solution indemnitaire est cohérente avec le barème légal, la cour rappelant qu’ »en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code de travail, la salariée a en outre droit à une indemnité […] comprise entre un mois et cinq mois de salaire brut » compte tenu de l’ancienneté et de l’effectif. La demande d’exécution déloyale liée à la visite de reprise est rejetée, la cour relevant que l’intéressée n’a, en réalité, jamais repris, en raison d’arrêts successifs.

II. Valeur et portée

A. Conformité au droit positif et équilibre des intérêts

La motivation épouse le cadre légal et jurisprudentiel de la prise d’acte, tant par l’exigence d’une gravité rendant impossible la poursuite que par l’appréciation globale des griefs. La cour mobilise largement la preuve, en intégrant des éléments numériques professionnels et des attestations circonstanciées, et en pesant la dépendance hiérarchique des témoins adverses. Elle tranche avec une motivation précise l’allégation de travail dissimulé. S’agissant de l’activité partielle, la cour souligne: « Les constatations qui précèdent démontrent l’exécution de prestations de travail par la salariée à des périodes au cours de l’année 2020 où elle se trouvait en situation d’activité partielle totale et ce, à la demande de l’employeur et à un rythme soutenu, ce qui exclut toute ‘participation ponctuelle en vue de partager des recettes de cuisine sur les réseaux sociaux’ ‘en toute liberté’. » L’élément intentionnel résulte d’injonctions managériales: « Les directives données à celle-ci par la gérante de la société établissent que l’absence de mention dans les bulletins de paie des heures de travail effectuées pendant ces périodes relève d’un caractère intentionnel. » La qualification opérée protège à la fois la sincérité des dispositifs publics et les droits salariaux.

L’arrêt se montre également mesuré sur l’obligation de visite de reprise. Il énonce, après examen des arrêts successifs, qu’ »il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir organisé de visite de reprise […] celle-ci n’ayant dans les faits jamais repris son poste. » L’équilibre général de la décision tient enfin à la correction du périmètre du remboursement d’allocations, la cour rappelant qu’ »au regard de l’effectif habituel de l’entreprise de moins de onze salariés, les dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail ne sont pas applicables conformément à celles de l’article L. 1235-5. »

B. Incidences pratiques et perspectives

La décision confirme l’ouverture probatoire aux traces de collaboration numérique (messageries, agendas de tâches, visioconférences), désormais centrales dans la démonstration de l’exécution du travail pendant l’activité partielle. Elle invite les employeurs à une stricte étanchéité entre indemnisation publique et prestations réalisées, faute de quoi la qualification de travail dissimulé, avec indemnité forfaitaire, s’impose. Elle rappelle, pour les structures de petite taille, l’inapplicabilité du mécanisme de remboursement des allocations chômage attaché au licenciement injustifié lorsque l’effectif demeure inférieur à onze salariés.

Sur le terrain des retours de congé de maternité, l’arrêt souligne l’exigence d’une restitution effective des fonctions et d’un aménagement des conditions de travail adapté. La mise à l’écart fonctionnelle, même progressive, caractérise un manquement grave dans un contexte de vulnérabilité particulière. À l’inverse, l’obligation de visite de reprise suppose une reprise effective; des arrêts successifs dispensent l’employeur de diligences impossibles. L’économie générale de la décision encourage des pratiques de gestion rigoureuses, documentées, et conformes aux dispositifs protecteurs, tout en consolidant l’articulation des textes sur l’activité partielle avec le droit commun de la preuve et de la rupture.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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