Cour d’appel de Paris, le 11 septembre 2025, n°24/01586

Un salarié, licencié pour motif économique en septembre 2016, contestait la rupture de son contrat de travail et sollicitait des dommages et intérêts. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 11 septembre 2025, statuant sur renvoi après cassation, se prononce sur l’indemnisation d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse dans une entreprise de moins de onze salariés.

Les faits de l’espèce sont les suivants. Un salarié a été engagé par contrat à durée indéterminée le 15 octobre 2014 en qualité de responsable commercial, statut cadre, moyennant une rémunération mensuelle brute de 5 000 euros. L’employeur, société française filiale d’une société américaine, avait pour activité la conception d’un réseau social destiné aux associations. Le 18 septembre 2016, le salarié a fait l’objet d’un licenciement pour motif économique.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 11 janvier 2017, formant diverses demandes dont celle de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par jugement du 16 novembre 2018, le conseil de prud’hommes l’a débouté de l’intégralité de ses demandes, considérant le contrat de travail comme fictif. Entre-temps, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’encontre de l’employeur le 22 mars 2017, clôturée pour insuffisance d’actif le 7 mai 2019.

Le salarié a interjeté appel. Par arrêt du 8 décembre 2021, la cour d’appel de Paris a infirmé partiellement le jugement, fixant une créance de rappels de salaires au passif de la liquidation judiciaire. Elle a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse faute de motivation économique suffisante dans la lettre de licenciement, mais a rejeté la demande de dommages et intérêts à ce titre. Le salarié a formé un pourvoi.

La Cour de cassation, par arrêt du 6 décembre 2023, a cassé partiellement l’arrêt d’appel, mais seulement en ce qu’il avait débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive. L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel de Paris autrement composée.

Devant la cour de renvoi, le salarié sollicitait la somme de 120 000 euros bruts au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit vingt-quatre mois de salaire. L’AGS demandait la confirmation du jugement initial ou, subsidiairement, la fixation de la créance dans les limites légales de sa garantie.

La question posée à la cour était de déterminer le quantum des dommages et intérêts dus au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, dans une entreprise employant moins de onze salariés, au regard du préjudice effectivement subi.

La cour d’appel de Paris infirme le jugement et fixe la créance du salarié au passif de la société à la somme de 10 000 euros bruts au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle juge que l’AGS devra garantir cette créance dans les limites légales.

L’intérêt de cet arrêt réside dans l’application du régime d’indemnisation antérieur au barème Macron et dans l’appréciation souveraine du préjudice par les juges du fond. Il convient d’examiner le régime juridique applicable à l’indemnisation du licenciement injustifié dans les petites entreprises (I), avant d’analyser l’appréciation judiciaire du préjudice en l’espèce (II).

I. Le régime d’indemnisation du licenciement injustifié dans les entreprises de moins de onze salariés

La cour rappelle le cadre légal applicable ratione temporis et en tire les conséquences sur les modalités d’évaluation du préjudice.

A. L’inapplicabilité du plancher légal de six mois de salaire

Le salarié fondait sa demande sur l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017. Ce texte prévoyait qu’en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité « qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ». Le salarié en déduisait un droit à une indemnisation minimale substantielle.

La cour écarte cette prétention par une motivation limpide. Elle relève qu’« il est établi et non contesté par l’appelant que la société n’employait qu’un seul salarié, en tout état de cause moins de onze salariés ». Cette constatation factuelle commande l’application d’un régime dérogatoire.

L’article L. 1235-5 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, excluait les entreprises de moins de onze salariés du bénéfice du plancher de six mois prévu à l’article L. 1235-3. Ce texte instaurait une différence de traitement selon l’effectif de l’employeur, justifiée par le souci de ne pas grever excessivement les petites structures. Le salarié d’une entreprise modeste ne pouvait donc se prévaloir d’un minimum légal d’indemnisation.

B. Le principe de la réparation intégrale du préjudice subi

En l’absence de plancher légal, la cour applique le régime de droit commun résultant de l’article L. 1235-5. Elle énonce que « la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue ». Cette formulation consacre le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Le régime ainsi applicable repose sur le principe de la réparation intégrale du préjudice, ni plus ni moins. Le juge n’est lié par aucun barème, qu’il s’agisse d’un plancher ou d’un plafond. Il doit évaluer concrètement le dommage subi par le salarié du fait de la rupture injustifiée de son contrat. Cette liberté d’appréciation s’accompagne nécessairement d’une obligation de motivation sur les éléments retenus pour fixer le quantum.

Ce régime, supprimé depuis par l’ordonnance du 22 septembre 2017 instaurant le barème dit Macron, demeure applicable aux licenciements prononcés avant son entrée en vigueur. L’arrêt illustre ainsi la persistance du contentieux relatif aux ruptures anciennes, soumises à un droit plus favorable au pouvoir d’appréciation judiciaire.

II. L’appréciation souveraine du préjudice par la cour de renvoi

La cour procède à une analyse circonstanciée des éléments de préjudice invoqués, dont elle retient certains et écarte d’autres.

A. Le rejet du lien de causalité entre le licenciement et la dégradation de l’état de santé

Le salarié soutenait que « la perte de son emploi au sein de la société a constitué le déclencheur d’une dégradation brutale et durable de sa situation de santé ». Il produisait des certificats médicaux datés des 30 novembre 2018 et 7 décembre 2023, ainsi que des décisions administratives reconnaissant sa qualité de travailleur handicapé et lui attribuant l’allocation aux adultes handicapés.

La cour rejette catégoriquement cet argument. Elle relève que « ces pièces, postérieures de plusieurs années au licenciement notifié le 18 septembre 2016, n’établissent pas de lien entre la dégradation de la santé et la rupture de son contrat ». L’écart temporel entre le licenciement et les premiers éléments médicaux produits, supérieur à deux ans, prive le salarié de toute possibilité d’établir un lien de causalité.

Cette exigence probatoire est conforme aux principes gouvernant la responsabilité civile. Le préjudice indemnisable doit être direct et certain, c’est-à-dire découler de manière suffisamment établie du fait générateur. Des difficultés de santé survenues longtemps après le licenciement peuvent avoir des causes multiples. Le salarié ne peut se contenter d’une simple concomitance temporelle approximative.

B. La prise en compte limitée des difficultés professionnelles et financières

Le salarié invoquait également son âge au moment du licenciement, cinquante-trois ans, et son incapacité à retrouver un emploi depuis lors. Il faisait état d’une inscription à Pôle emploi, d’une procédure de divorce et d’une situation financière critique.

La cour constate des lacunes probatoires significatives. Le salarié « produit sur sa situation financière un justificatif d’inscription auprès de Pôle emploi du 28 novembre 2016, sa déclaration fiscale sur les revenus 2022 et le rejet par France travail de sa demande d’allocation le 29 février 2024 ». Mais « aucune pièce n’est produite pour les années 2017 à 2021 ». Cette carence documentaire sur une période de cinq ans affaiblit considérablement la démonstration du préjudice.

La cour retient néanmoins certains éléments favorables au salarié. Elle prend en considération « son ancienneté et son âge lors de la rupture du contrat », ainsi que « la rémunération qui lui était versée ». Ces critères classiques d’évaluation du préjudice lié à la perte d’emploi justifient l’octroi d’une indemnité. Toutefois, eu égard aux insuffisances probatoires relevées, la cour fixe cette indemnité à 10 000 euros, soit deux mois de salaire, montant très inférieur aux vingt-quatre mois sollicités.

Cette décision illustre l’importance de la charge de la preuve en matière d’indemnisation. Le salarié qui entend obtenir une réparation substantielle doit documenter précisément l’évolution de sa situation professionnelle et financière après le licenciement. Une demande insuffisamment étayée s’expose à une réduction drastique des prétentions, le juge ne pouvant suppléer les carences probatoires des parties.

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Hassan KOHEN
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