Cour d’appel de Paris, le 11 septembre 2025, n°24/10324

La protection du consommateur dans le contentieux du crédit trouve une illustration significative dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 11 septembre 2025. Une société de financement avait consenti un crédit personnel de 12 000 euros remboursable en 72 mensualités. Après défaillance de l’emprunteur, une ordonnance d’injonction de payer fut rendue le 26 janvier 2016, signifiée selon procès-verbal de recherches infructueuses. Une saisie-attribution pratiquée en septembre 2022 déclencha l’opposition du débiteur.

Les faits révèlent qu’un contrat de crédit fut conclu le 7 mai 2013 pour un montant de 12 000 euros au taux nominal de 7,410 %. Le premier incident de paiement non régularisé remontait au 30 septembre 2014. L’ordonnance d’injonction de payer fut signifiée le 24 février 2016 selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile puis à étude le 14 décembre 2016 pour la version exécutoire.

Le juge des contentieux de la protection déclara l’opposition recevable mais l’action forclose. La société créancière interjeta appel en contestant tant la recevabilité de l’opposition que la forclusion retenue. L’emprunteur ne constitua pas avocat devant la Cour.

La question posée à la juridiction d’appel était triple. Il s’agissait de déterminer si l’opposition formée par lettre recommandée était recevable, si l’action en paiement était forclose et si le prêteur devait être déchu de son droit aux intérêts pour manquement à ses obligations précontractuelles.

La Cour confirme la recevabilité de l’opposition, infirme le jugement sur la forclusion et prononce la déchéance du droit aux intérêts. Elle condamne l’emprunteur au paiement de 8 858,06 euros correspondant au capital restant dû après déduction des sommes versées.

Cette décision illustre la confrontation entre les exigences processuelles de la procédure d’injonction de payer et la protection substantielle du consommateur de crédit. L’examen portera sur les conditions de recevabilité de l’opposition à injonction de payer (I) avant d’analyser les conséquences du manquement du prêteur à ses obligations précontractuelles (II).

I. La détermination des conditions de recevabilité de l’opposition

L’arrêt précise les modalités de computation du délai d’opposition (A) et tranche la question de la forclusion de l’action en paiement (B).

A. Le point de départ du délai d’opposition en l’absence de signification à personne

L’article 1416 du code de procédure civile prévoit que l’opposition est formée dans le mois suivant la signification de l’ordonnance. Toutefois, « si la signification n’a pas été faite à personne, l’opposition est recevable jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant le premier acte signifié à personne, ou, à défaut, suivant la première mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur ».

La Cour relève que l’ordonnance « n’a pas été signifiée à la personne de M. [W] mais selon procès-verbal de recherches infructueuses le 24 février 2016 et à étude pour ce qui est de l’ordonnance exécutoire signifiée le 14 décembre 2016 ». Cette circonstance justifie le report du point de départ du délai d’opposition.

La jurisprudence admet que « lorsque la mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponible les biens du débiteur est une saisie-attribution, le point de départ de l’opposition à une ordonnance portant injonction de payer qui n’a pas été signifiée à personne est reporté à la date de la dénonciation de cette mesure d’exécution au débiteur quel que soit ce mode de dénonciation ». Cette solution garantit l’effectivité du droit d’opposition du débiteur qui n’a pas eu connaissance personnelle de la procédure engagée contre lui.

La société créancière contestait la régularité de l’opposition en soutenant que le courrier recommandé adressé au greffe ne comportait pas de références suffisantes et que seul le feuillet retour pouvait justifier de l’envoi. La Cour écarte cette argumentation en constatant que le suivi postal atteste de la distribution au tribunal le 22 septembre 2022, soit dans le délai d’un mois suivant la dénonciation de la saisie intervenue le 7 septembre 2022.

Cette solution s’inscrit dans une conception libérale des modalités de l’opposition, le formalisme procédural ne devant pas faire obstacle à l’exercice effectif des droits du débiteur. La Cour admet également que rien n’empêchait l’intéressé de réitérer son opposition par formulaire Cerfa postérieurement à sa lettre initiale.

B. L’effet interruptif de la signification de l’ordonnance sur le délai de forclusion

L’article L. 311-52 du code de la consommation dans sa rédaction applicable dispose que « les actions en paiement à l’occasion de la défaillance de l’emprunteur dans le cadre d’un crédit à la consommation, doivent être engagées devant le tribunal dans les deux ans de l’événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion ».

Le premier juge avait retenu la forclusion au motif que « la signification de l’ordonnance d’injonction de payer avait été réalisée le 14 décembre 2016 soit plus de deux années après le premier incident de paiement non régularisé remontant au 30 septembre 2014 ». Cette analyse méconnaissait l’existence d’une signification antérieure.

La Cour rectifie cette erreur en relevant que « l’historique de compte communiqué en pièce 8 atteste d’un premier incident de paiement non régularisé au 30 septembre 2014 de sorte que le délai de forclusion biennale, expirait au 30 septembre 2016 ». Or « la signification d’une ordonnance d’injonction de payer étant assimilée à une action en paiement au sens de ce texte, et ayant été réalisée le 24 février 2016, soit moins de 2 ans après le premier impayé non régularisé, la demande n’est pas forclose ».

La Cour ajoute qu’« aucun nouveau délai de forclusion ne renaît après la demande en justice sauf caducité, laquelle n’est pas intervenue ». Cette précision revêt une importance pratique considérable dans les contentieux où plusieurs années s’écoulent entre la signification initiale et l’exécution effective.

La distinction opérée par la Cour entre la signification du 24 février 2016 et celle du 14 décembre 2016 démontre l’importance d’une analyse chronologique rigoureuse des actes de procédure. L’erreur du premier juge résultait d’une confusion entre ces deux significations aux fonctions distinctes.

II. Les conséquences du manquement aux obligations précontractuelles d’information

La Cour prononce la déchéance du droit aux intérêts pour défaut de preuve de la remise de la fiche d’informations précontractuelles (A) et en tire les conséquences sur le montant de la créance et les intérêts légaux (B).

A. L’exigence de preuve de la remise effective de la fiche d’informations précontractuelles

L’article L. 311-6 du code de la consommation impose au prêteur de donner à l’emprunteur « par écrit ou sur un autre support durable, les informations nécessaires à la comparaison de différentes offres et permettant à l’emprunteur, compte tenu de ses préférences, d’appréhender clairement l’étendue de son engagement ». Cette obligation est sanctionnée par la déchéance totale du droit aux intérêts.

La Cour rappelle les exigences probatoires issues de la jurisprudence récente : « la clause type, figurant au contrat de prêt, selon laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu la fiche d’informations précontractuelles normalisées européennes, n’est qu’un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires ». Elle précise qu’« un document qui émane du seul prêteur ne peut utilement corroborer les mentions de cette clause type de l’offre de prêt pour apporter la preuve de l’effectivité de la remise ».

En l’espèce, « le contrat contient une clause de reconnaissance mais le prêteur ne produit pas la FIPEN et ne corrobore la clause par aucun autre élément de sorte qu’il encourt la déchéance du droit aux intérêts ». La Cour relève également que le prêteur « ne justifie pas avoir consulté le FICP avant déblocage des fonds », ajoutant un second motif de déchéance.

Cette solution illustre le renforcement des exigences probatoires pesant sur les établissements de crédit. La reconnaissance contractuelle, longtemps considérée comme suffisante, ne constitue plus qu’un indice devant être corroboré. Cette évolution jurisprudentielle contraint les prêteurs à conserver l’ensemble des documents précontractuels et à démontrer leur remise effective.

B. Le régime des intérêts applicable après déchéance du droit aux intérêts conventionnels

L’article L. 311-48 du code de la consommation prévoit que « lorsque le prêteur est déchu du droit aux intérêts, l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu ». La Cour procède au calcul en déduisant « de la totalité des sommes empruntées soit 12 000 euros la totalité des sommes payées soit 3 141,94 euros ». L’emprunteur est ainsi condamné au paiement de 8 858,06 euros.

La Cour rejette les demandes accessoires en relevant que « la limitation légale de la créance du prêteur exclut qu’il puisse prétendre au paiement de toute autre somme et notamment de la clause pénale ». Les frais accessoires non justifiés sont également écartés.

La question des intérêts au taux légal appelle une analyse plus nuancée. La Cour reconnaît que « le prêteur, bien que déchu de son droit aux intérêts, demeure fondé à solliciter le paiement des intérêts au taux légal ». Toutefois, elle rappelle l’exigence européenne selon laquelle « ces dispositions légales doivent cependant être écartées s’il en résulte pour le prêteur la perception de montants équivalents ou proches de ceux qu’il aurait perçus si la déchéance du droit aux intérêts n’avait pas été prononcée, sauf à faire perdre à cette sanction ses caractères de dissuasion et d’efficacité ».

La Cour procède à une comparaison entre le taux conventionnel de 7,410 % et le taux légal. Elle constate que « les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur au titre des intérêts au taux légal seraient significativement inférieurs à ce taux conventionnel mais ne le seraient plus en cas de majoration de 2 points ». Elle accorde donc les intérêts au taux légal mais écarte l’application de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier prévoyant la majoration automatique.

Cette solution manifeste la réception du principe d’effectivité du droit de l’Union européenne dans le contentieux du crédit à la consommation. Le juge national doit veiller à ce que la sanction conserve son caractère dissuasif, ce qui implique un contrôle concret des montants susceptibles d’être perçus par le prêteur défaillant. L’exclusion de la majoration de cinq points prévue par le code monétaire et financier traduit cette exigence d’effectivité dans l’application des sanctions consuméristes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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