Cour d’appel de Paris, le 11 septembre 2025, n°25/00061

La Cour d’appel de Paris, 11 septembre 2025, statue en référé sur les suites d’un licenciement économique d’un salarié protégé, intervenu après autorisation administrative ultérieurement annulée par le juge administratif. L’affaire oppose un employeur qui a cessé son activité à un ancien salarié investi d’un mandat représentatif sollicitant réintégration et provisions. Le débat porte sur l’existence d’un trouble manifestement illicite justifiant la réintégration, et sur l’octroi de provisions fondées sur les articles L. 2422-4 et L. 1235-3-1 du code du travail, malgré un pourvoi administratif pendant.

Les faits utiles sont les suivants. L’entreprise a mis fin à son activité à la fin de l’année 2020, après information du CSE et mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Le salarié, protégé au titre d’un mandat de représentant de section syndicale, a été licencié en mars 2021 après autorisation de l’inspection du travail. Le tribunal administratif a annulé cette autorisation en mai 2023, annulation confirmée en appel administratif en mars 2024. Un pourvoi a été formé, toujours pendant lors de la saisine en référé prud’homal intervenue au printemps 2024. Le juge des référés de première instance a refusé la réintégration mais accordé une provision. En appel, l’employeur soutenait l’impossibilité de toute réintégration en raison de la cessation d’activité et l’existence de contestations sérieuses sur les demandes pécuniaires. Le salarié invoquait un trouble manifestement illicite et réclamait une provision sur salaires et sur réparation minimale.

La question de droit est double. D’abord, le refus de réintégrer un salarié protégé, après annulation de l’autorisation de licenciement, caractérise-t-il un trouble manifestement illicite lorsque l’entreprise a cessé son activité et qu’aucune unité économique et sociale n’a été reconnue avec d’autres entités du groupe. Ensuite, une provision peut-elle être allouée en référé sur le fondement de l’article L. 2422-4, en l’absence de décision administrative devenue définitive, et sur le fondement de l’article L. 1235-3-1, alors que le licenciement a été autorisé avant d’être annulé pour un motif de légalité externe.

La Cour confirme le refus de réintégration, faute de trouble manifestement illicite, en présence d’une cessation d’activité avérée et en l’absence d’UES. Elle infirme la provision allouée, retenant l’existence d’une contestation sérieuse sur les demandes indemnitaires tant au titre de l’article L. 2422-4, en raison du pourvoi encore pendant, qu’au titre de l’article L. 1235-3-1, inapplicable au licenciement d’un salarié protégé initialement autorisé puis annulé pour un motif externe. L’analyse conduit à préciser, d’une part, l’office du juge des référés en matière de réintégration d’un salarié protégé et, d’autre part, les critères d’allocation d’une provision au regard des textes invoqués.

I. Le trouble manifestement illicite et la réintégration

A. Critère temporel et cadre du référé

La Cour rappelle d’abord le cadre textuel gouvernant l’office du juge des référés. Elle cite que « La formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ». Elle en déduit la grille d’analyse temporaliste, en relevant que « Le trouble manifestement illicite est apprécié à la date à laquelle le juge statue ». L’angle retenu est classique. Le juge ne préjuge pas du fond, mais réprime la violation évidente d’une norme obligatoire.

La Cour souligne ensuite que l’annulation par le juge administratif de l’autorisation de licenciement ouvre un droit à réintégration sans attendre le caractère définitif. Elle affirme que « Le droit à réintégration reconnu à un salarié à la suite de l’annulation d’une décision autorisant son licenciement n’est pas subordonné au caractère définitif de cette annulation ». La solution s’accorde avec la jurisprudence constante sur la nature immédiatement opératoire du droit à réintégration, lequel naît de l’annulation, indépendamment des recours non suspensifs. L’office du juge des référés est donc ouvert, sous réserve d’une impossibilité objective.

Cette première série de principes situe l’examen à un double niveau. L’existence du droit est acquise en cas d’annulation. L’effectivité de la réintégration dépend toutefois des réalités économiques et de l’organisation juridique préexistante.

B. Impossibilité de réintégration et périmètre de l’UES

La Cour fixe ensuite les bornes du périmètre de réintégration. Elle retient que « le périmètre de réintégration d’un salarié protégé […] s’étend uniquement à l’entreprise et à l’unité économique et sociale reconnue entre cette entité et d’autres personnes juridiques ». Elle en déduit une conséquence nette: « Ainsi, la réintégration du salarié est impossible lorsqu’il est constaté que la société employeur a cessé toute activité puis a été mise en liquidation amiable, et qu’elle ne dépend pas d’une unité économique et sociale préalablement reconnue. » La Cour consolide ce diagnostic par une appréciation factuelle circonstanciée, s’appuyant sur l’arrêt de l’activité, l’absence de chiffre d’affaires, les licenciements collectifs et la liquidation amiable intervenue.

Le juge d’appel clôt l’argumentation par une formule de portée pratique: « Dans ces conditions, au constat que la société employeur a cessé toute activité puis a été mise en liquidation amiable, et qu’elle ne dépend pas d’une unité économique et sociale préalablement reconnue, il n’est pas justifié d’un trouble manifestement illicite. » Il s’agit d’une application orthodoxe de la distinction entre la naissance du droit et la possibilité matérielle de le mettre en œuvre, encadrée par le périmètre strict de l’entreprise ou de l’UES reconnue. L’appartenance à un groupe, à elle seule, demeure indifférente.

Le raisonnement présente une cohérence d’ensemble. Il préserve le droit à réintégration comme principe, tout en cantonnant sa mise en œuvre aux seules hypothèses où l’activité subsiste dans le périmètre juridiquement pertinent. La transition vers le terrain indemnitaire s’opère alors naturellement.

II. La provision prud’homale et l’indemnisation

A. Exigence de l’annulation définitive au titre de l’article L. 2422-4

La Cour se réfère aux conditions spécifiques de l’indemnité prévue par l’article L. 2422-4. Elle énonce que « Selon l’article L 2422-4 du Code du travail, contrairement au droit à réintégration qui est ouvert dès la notification de la décision administrative, du jugement ou de l’arrêt, le droit à indemnisation ne peut être exercé que lorsque l’annulation de la décision d’autorisation est devenue définitive. » L’exigence de définitivité structure le régime de l’indemnisation et distingue nettement le plan des mesures de remise en état de celui de la réparation pécuniaire.

La Cour précise toutefois la singularité des salaires dus postérieurement à la demande de réintégration, lorsque celle-ci est juridiquement possible. Elle admet que « Par conséquent, l’obligation de l’employeur de payer au salarié protégé, licencié en vertu d’une autorisation administrative annulée et qui demande sa réintégration, les salaires dus depuis cette demande n’est pas sérieusement contestable et le juge des référés peut allouer une provision à ce titre. » La portée pratique est claire. La provision peut couvrir les salaires post-demande, à condition que la réintégration soit réalisable.

En l’espèce, l’existence d’un pourvoi administratif pendant et, surtout, l’impossibilité matérielle de la réintégration font obstacle à l’allocation d’une provision fondée sur L. 2422-4. La Cour conclut que « Dans cette mesure, la créance indemnitaire relative à l’indemnisation sollicitée par le salarié protégé se heurte à une contestation sérieuse ». L’analyse est convaincante. Elle distingue les salaires d’éviction liés à une réintégration effectivement envisageable et la réparation intégrale subordonnée à la définitivité de l’annulation.

B. Portée de l’article L. 1235-3-1 et contestation sérieuse

Le second fondement sollicité par le salarié appelle une réponse de principe. La Cour rappelle d’abord l’économie de la nullité ouvrant droit au plancher de six mois. Elle constate que « l’indemnisation prévue à hauteur de six mois minimums de salaires ne peut être cumulée avec une demande de réintégration ou lorsque la réintégration est impossible. » L’articulation avec la demande de poursuite du contrat demeure exclusive. Le plancher s’active seulement en cas de nullité dans les hypothèses prévues par le texte, hors réintégration.

La Cour précise ensuite le champ du 5° en matière de statut protecteur. Elle énonce que « En outre, s’agissant du 5° de l’article L. 1235-3-1, l’indemnité est due au salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-2 et n’est donc pas prévue pour les licenciements des salariés protégés dont l’autorisation administrative a été annulée. » La distinction centrale est rappelée avec pédagogie. Est visée la nullité pour violation du statut protecteur, c’est-à-dire licenciement sans autorisation ou malgré un refus. N’est pas visée l’hypothèse d’un licenciement initialement autorisé puis annulé pour un motif de légalité externe.

La Cour en déduit une exigence d’examen du fond en cas d’annulation externe. Elle indique que « l’octroi d’une réparation au titre de la rupture abusive du contrat de travail est subordonnée à l’absence de cause réelle et sérieuse qu’il appartient au juge de rechercher et qui ne résulte nullement du seul constat de l’annulation ». L’allocation d’une provision se heurte alors à la nécessité d’une appréciation au fond des motifs économiques et du respect des critères d’ordre, ce qui excède l’office du référé face à une contestation sérieuse.

La solution procédurale s’impose. La Cour conclut que « Dans cette mesure, la demande ainsi fondée se heurte nécessairement à une contestation sérieuse et doit être écarté en l’état de référé en application des dispositions de l’article R. 1455-7 du code du travail. » La voie reste donc ouverte devant le juge du fond, seul à même de trancher l’existence d’une cause réelle et sérieuse et, le cas échéant, d’évaluer les préjudices.

L’arrêt présente une cohérence d’ensemble, utile à la lisibilité du contentieux des salariés protégés. Il sécurise le droit à réintégration en cas d’annulation, sans l’étendre au-delà du périmètre de l’entreprise ou de l’UES reconnue, et réserve l’indemnisation L. 2422-4 à la phase postérieure à la définitivité. Il circonscrit enfin l’article L. 1235-3-1 à sa fonction propre de sanction des nullités caractérisées, en écartant son application aux annulations pour légalité externe, ce qui maintient la distinction entre violation du statut protecteur et remise en cause de l’autorisation par le juge administratif.

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Hassan KOHEN
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