Cour d’appel de Paris, le 12 septembre 2025, n°21/05086

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Rendue par la Cour d’appel de Paris le 12 septembre 2025, la décision commentée porte sur l’opposabilité des arrêts de travail et soins prescrits à la suite d’un accident du travail déclaré par un salarié. Les faits utiles tiennent à une douleur apparue lors d’une manutention, suivie d’un certificat initial constatant une lombosciatalgie et d’arrêts successifs jusqu’à la consolidation. L’employeur, contestant l’imputabilité sur l’ensemble de la période, sollicitait une expertise judiciaire, invoquant un état antérieur, l’hétérogénéité des symptômes et la longueur des arrêts.

La procédure révèle un jugement de rejet confirmé en appel. En première instance, la juridiction a retenu la présomption d’imputabilité et écarté l’expertise, faute de commencement de preuve. Devant la Cour, l’employeur réitérait ses contestations, tandis que l’organisme social défendait la présomption jusqu’à la consolidation. Deux thèses s’affrontaient clairement, autour de la charge probatoire et du recours à la mesure d’instruction, avec pour pivot l’étendue de la présomption légale.

La question tranchée tenait d’abord au périmètre temporel et matériel de la présomption d’imputabilité attachée à l’accident, puis à la preuve exigée pour la renverser. La Cour confirme l’opposabilité des prestations jusqu’à la consolidation, et refuse une expertise jugée supplétive de preuve. Le raisonnement adopté éclaire, d’une part, la rigueur de la présomption, d’autre part, le contrôle de proportionnalité du refus d’instruction.

I. La présomption d’imputabilité: portée étendue et charge probatoire renforcée

A. L’assise temporelle et matérielle de la présomption jusqu’à la consolidation

Le principe retenu par la Cour s’inscrit dans une jurisprudence constante et articulée. Elle rappelle que la présomption attachée à l’accident « s’étend à toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation » (2e Civ., 12 mai 2022, n° 20-20.655). Cette extension couvre la période continue ou discontinue des arrêts, dès lors que l’arrêt initial a été prescrit avec le certificat médical.

La Cour précise encore que la présomption vise les lésions initiales, leurs complications, un état antérieur aggravé et « les lésions nouvelles apparues dans les suites de l’accident » (2e Civ., 24 juin 2021, n° 19-24.945). Elle neutralise ainsi les variations de topographie algique relevées dans les certificats de prolongation, qui n’ont pas d’incidence autonome sur le lien causal présumé.

La durée des arrêts, fût-elle élevée, ne suffit pas. La Cour cite la formule décisive selon laquelle « la seule disproportion entre la durée des arrêts de travail et la bénignité des lésions initiales est insuffisante » pour écarter la présomption (Soc., 8 mars 1989, n° 87-17.498). L’argument tiré de la supposée bénignité initiale et de la longueur des soins se heurte donc à un écran probatoire solide.

B. La preuve contraire et la prohibition de l’inversion de la charge

L’employeur devait établir une cause « totalement étrangère » au travail, ou un état antérieur évoluant pour son « propre compte », exclusif des suites de l’accident. En l’absence de tels éléments, la Cour, suivant le rappel opéré, juge qu’« elle ne peut, sans inverser la charge de la preuve, demander à la caisse de produire les motifs médicaux ayant justifié de la continuité des soins » (2e Civ., 10 nov. 2022, n° 21-14.508). Il s’agit d’une clé probatoire décisive dans le contentieux des suites d’accident.

La note médicale produite par l’employeur mettait en avant une discordance initiale, des symptômes variables, l’absence de documentation complète des soins et l’absence de séquelles indemnisables. La Cour écarte successivement ces griefs, au motif qu’ils ne démontrent ni une cause extrinsèque exclusive, ni l’autonomie évolutive d’un état antérieur. Un faisceau d’hypothèses non étayées ne constitue pas un commencement de preuve propre à renverser la présomption.

La solution s’impose alors: l’opposabilité des prestations est maintenue jusqu’à la consolidation, la critique portant sur la continuité des symptômes ou la densité des justificatifs médicaux internes au dossier demeurant inopérante. La charge probatoire, inchangée, n’a pas été satisfaite.

II. Le refus d’expertise judiciaire: office du juge et équilibre procédural

A. Le cadre normatif et la maîtrise des mesures d’instruction

Le pouvoir d’ordonner une mesure d’instruction est encadré par un double filtre légal. D’une part, « la juridiction peut ordonner toute mesure d’instruction » utile, notamment une consultation sur pièces, dans le respect des conditions posées (R. 142-16, code de la sécurité sociale). D’autre part, « une mesure d’instruction ne peut être ordonnée […] si la partie […] ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas […] pour suppléer la carence » (art. 146, code de procédure civile).

La Cour de cassation admet, en outre, que « une cour d’appel peut, sans porter atteinte au droit à un procès équitable, estimer […] qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner une mesure d’instruction » (2e Civ., 11 janv. 2024, n° 22-15.939). Ce rappel consacre le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, sous l’angle de l’égalité des armes et de la nécessité probatoire.

Dans ce cadre, l’expertise demeure un instrument de vérification, non un substitut à la démonstration exigée pour renverser une présomption légale. L’outil probatoire n’a pas vocation à construire la preuve déficiente, mais à l’éclairer quand un désaccord médical sérieux se dessine.

B. L’application in concreto: absence de différend médical utile et refus justifié

La Cour constate que la pièce médicale produite par l’employeur n’établit ni cause étrangère, ni autonomie évolutive d’un état antérieur, et n’identifie aucun point technique précis susceptible de trancher un désaccord médical réel. L’hétérogénéité des plaintes, ou une documentation jugée lacunaire, ne suffisent pas à caractériser un différend sur l’étiologie des lésions, pertinent au sens de l’instruction.

Dans ces conditions, la mesure sollicitée aurait pour seul effet de suppléer une carence probatoire, ce que prohibe le texte précité. Le refus d’expertise ne rompt pas l’égalité des armes, dès lors que la présomption détermine la charge et que la partie tenue à preuve n’a pas atteint le seuil du commencement de preuve.

La cohérence d’ensemble apparaît pleinement assumée. La Cour conforte l’économie du régime protecteur en rappelant ses exigences probatoires, tout en préservant l’office de l’expertise, cantonné aux hypothèses de véritable controverse médicale, utile et nécessaire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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