Cour d’appel de Paris, le 16 juin 2025, n°25/01333

Now using node v22.15.1 (npm v10.8.2)
Utilisation de Node.js v20.19.4 et npm 10.8.2
Codex est déjà installé.
Lancement de Codex…
Rendue par la Cour d’appel de Paris le 16 juin 2025, la décision commentée statue, sur déféré, sur la caducité d’une déclaration d’appel encourue en application de l’article 908 du code de procédure civile. L’enjeu porte sur la possibilité d’écarter cette sanction à raison d’un cas de force majeure affectant la capacité d’exercice de l’avocat de l’appelant, établi par certificat médical, et sur la portée d’une régularisation ultérieure des écritures au regard de l’article 954.

Les faits tiennent à un litige prud’homal relatif à des rappels de salaire. Le conseil de prud’hommes de Bobigny a rejeté les demandes du salarié. L’appel a été formé le 22 octobre 2023. Invité le 26 janvier 2024 à s’expliquer sur une possible caducité pour non‑remise de conclusions dans le délai de trois mois, l’appelant a transmis ce jour-là des conclusions de première instance, puis a déposé des conclusions d’appel le 2 avril 2024.

Devant la juridiction de la mise en état, l’intimée a sollicité la caducité et, subsidiairement, l’irrecevabilité, en contestant la valeur d’un certificat médical, l’absence d’arrêt de travail, la disponibilité d’une délégation d’urgence et la non‑conformité aux prescriptions de l’article 954. L’appelant a invoqué la force majeure, l’erreur matérielle dans un contexte de santé altérée, et la nécessaire proportionnalité des sanctions procédurales, au besoin éclairée par le contrôle opéré par la Cour européenne.

La question de droit tient à la définition et aux critères de la force majeure procédurale de l’article 910-3, à l’admissibilité probatoire d’un certificat médical du conseil et à la possibilité de régulariser une confusion matérielle au regard de l’article 954 lorsque le délai de l’article 908 a été frappé par un empêchement insurmontable. La cour confirme l’ordonnance déférée, retient l’existence de la force majeure, juge le certificat probant et écarte la caducité, tout en admettant la régularisation de l’erreur matérielle. Elle souligne qu’une application rigoureuse de la sanction “porterait une atteinte disproportionnée au droit d’accès à un tribunal de l’appelant”.

I. La force majeure procédurale retenue

A. Les critères jurisprudentiels mobilisés

La Cour de cassation a défini la force majeure procédurale comme “la circonstance non imputable au fait de la partie et qui revêt un caractère insurmontable” (Civ. 2e, 25 mars 2021, n°20‑10.654). La décision commentée s’inscrit dans cette ligne, en vérifiant le double caractère d’extériorité et d’irrésistibilité au regard de l’état de santé du conseil, précisément localisé dans le temps par le certificat produit.

La Haute juridiction a déjà approuvé l’écartement d’une caducité lorsque le conseil avait justifié d’une impossibilité d’exercer couvrant le délai expiré. Elle a relevé que “l’avocat avait remis un certificat médical établissant qu’il s’était trouvé dans l’incapacité d’exercer sa profession entre le 15 février et le 15 avril 2021, soit pendant la période au cours de laquelle le délai de dépôt du mémoire avait expiré” (Civ. 2e, 17 mai 2023, n°21‑21361). Cet extrait, reproduit par la cour, sert de point d’appui pour calibrer, in concreto, l’intensité de l’empêchement requis.

La cour de renvoi a, de son côté, admis qu’un certificat médical unique pouvait suffire à caractériser l’insurmontabilité de l’empêchement, sans exiger une hospitalisation ni un arrêt de travail, dès lors que l’incapacité professionnelle couvrait l’échéance du délai (CA Versailles, 26 avril 2024, n°23/01726). La décision parisienne adopte la même économie probatoire, en rappelant que la valeur du certificat relève de l’appréciation souveraine, et qu’aucun texte ne conditionne la force majeure à la production d’un arrêt de travail.

B. L’application concrète aux éléments de preuve

L’argument tiré de l’absence d’hospitalisation ou d’arrêt de travail est écarté, au motif que le certificat, précis quant à la nature du repos prescrit et à sa durée, atteste une incapacité d’exercice coïncidant avec l’échéance. La cour note que le praticien concluait à la “nécessité” d’un repos strict, ce qui qualifie l’irrésistibilité exigée par le standard jurisprudentiel. L’objection relative à la date de création du fichier informatique n’altère pas cette démonstration.

La possibilité d’une délégation d’urgence ne neutralise pas non plus la force majeure. L’exigence d’une substitution organisée ex ante ne peut devenir une condition de la recevabilité des écritures, surtout en présence d’une dégradation soudaine. La cour refuse d’ériger en manquement procédural l’absence de délégation, dès lors que l’empêchement répond aux critères d’extériorité et d’irrésistibilité dans la période déterminante.

II. La régularisation et la proportionnalité des sanctions

A. L’articulation entre l’article 954 et l’empêchement

La transmission, pendant l’empêchement, de conclusions de première instance à la place des écritures d’appel caractérise une erreur purement matérielle. La cour retient que cette confusion a été rapidement régularisée, une fois l’avocat rétabli, par des conclusions d’appel conformes à l’article 954. Le régime des sanctions ne prévoit pas, pour cette irrégularité, d’automaticité d’irrecevabilité lorsque le délai de l’article 908 est, par hypothèse, neutralisé par la force majeure.

La solution rejoint la finalité d’orientation des articles 908 et 954. La première norme discipline le calendrier, la seconde la structuration des prétentions et moyens. Quand la première a été neutralisée par un empêchement insurmontable, il serait artificiel de figer la seconde en sanction automatique, en l’absence de désinvolture ou de stratégie dilatoire. La cour souligne l’absence d’atteinte à la bonne administration de la justice.

B. Le contrôle de proportionnalité et la portée pratique

Le contrôle de proportionnalité irrigue la motivation. En présence d’un empêchement qualifié et d’une régularisation diligente, la caducité “porterait une atteinte disproportionnée au droit d’accès à un tribunal”. Cette appréciation s’accorde avec la jurisprudence européenne invitant à une mise en balance des exigences de célérité et des droits procéduraux, sous un contrôle in concreto et mesuré.

La portée de l’arrêt est nette pour la pratique contentieuse. Un certificat médical précis, situant l’incapacité dans l’intervalle critique, peut suffire à renverser la caducité de l’article 908. La démonstration doit établir l’imprévisibilité et l’irrésistibilité, au-delà de la simple gêne organisationnelle. La régularisation d’une erreur matérielle, intervenue promptement après l’empêchement, demeure recevable, en l’absence de grief pour l’adversaire.

Cette orientation ne consacre pas une indulgence générale. Elle trace un seuil probatoire exigeant, fondé sur des pièces médicales circonstanciées et une diligence procédurale effective. Elle confirme, enfin, une tendance à tempérer l’automaticité des sanctions calendaires lorsque l’accès au juge se trouve menacé par des circonstances extérieures, dûment caractérisées et strictement circonscrites dans le temps.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture