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L’appréciation par le juge de l’insuffisance professionnelle et des griefs disciplinaires invoqués à l’appui d’un licenciement constitue un terrain contentieux où l’employeur doit établir la réalité et le sérieux de chacun des motifs avancés. La décision rendue par la cour d’appel de Paris le 17 juin 2025 illustre cette exigence probatoire en matière de rupture du contrat de travail.
Une salariée engagée en décembre 1988 en qualité d’ingénieur technico-commercial occupait, en dernier lieu, le poste de chef de produits senior. En avril 2017, elle fut informée de sa réaffectation sur une nouvelle gamme de produits. Elle fut placée en arrêt maladie du 3 mai 2017 au 12 novembre 2017, puis reprit son activité à temps partiel thérapeutique avant un retour à temps plein le 23 avril 2018. Par lettre du 27 juillet 2018, elle fut licenciée pour insuffisance professionnelle et pour faute. Elle avait, entre-temps, saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire dont elle fut déboutée par jugement confirmé en appel. Elle contesta ensuite son licenciement devant le conseil de prud’hommes de Longjumeau qui, par jugement du 7 avril 2022, considéra le licenciement justifié tout en lui accordant un rappel de prime et un rappel de salaire.
La salariée interjeta appel, sollicitant l’infirmation du jugement et la reconnaissance du caractère injustifié de son licenciement. La société intimée soulevait l’irrecevabilité de certains moyens et demandait la confirmation de la décision.
La question posée à la cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si les moyens tirés de la modification du contrat de travail étaient irrecevables du fait de l’autorité de la chose jugée attachée à la décision antérieure. Il convenait ensuite d’apprécier si l’insuffisance professionnelle et les manquements disciplinaires invoqués par l’employeur justifiaient le licenciement.
La cour d’appel de Paris rejeta l’exception d’irrecevabilité et jugea le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle condamna l’employeur à verser 110 000 euros de dommages et intérêts, un rappel de primes variables et ordonna le remboursement des indemnités de chômage.
Cette décision appelle un examen de la distinction entre irrecevabilité et appréciation au fond des moyens soulevés (I), puis de l’exigence probatoire pesant sur l’employeur en matière de licenciement mixte (II).
I. La distinction entre irrecevabilité et moyen de fond
La société soutenait que les arguments relatifs à la modification du contrat de travail ne pouvaient être invoqués dès lors qu’ils avaient déjà été tranchés dans une procédure antérieure. La cour devait donc statuer sur la portée de l’autorité de la chose jugée (A), avant de préciser la nature juridique des éléments invoqués par la salariée (B).
A. Le rejet de l’autorité de la chose jugée
L’employeur invoquait l’irrecevabilité des moyens de la salariée au motif qu’ils auraient fait l’objet d’une décision définitive. La cour rappela que « la première procédure intentée par la salariée concernait une demande de résiliation judiciaire dont elle a été déboutée et qu’elle était en droit de saisir à nouveau le conseil de prud’hommes afin de contester son licenciement, le principe de l’unicité de l’instance ayant été supprimé ».
La suppression du principe d’unicité de l’instance prud’homale par le décret du 20 mai 2016 a profondément modifié le contentieux du travail. Une salariée peut désormais engager une action en résiliation judiciaire puis, distinctement, contester son licenciement sans se heurter à une fin de non-recevoir. L’autorité de la chose jugée attachée au rejet de la demande de résiliation ne s’étend pas à la contestation de la rupture ultérieurement prononcée par l’employeur. Les deux actions ont des objets différents et ne portent pas sur les mêmes faits juridiques générateurs.
B. La qualification de moyen et non de prétention
La cour précisa qu’« en évoquant la modification de son contrat de travail, l’appelante ne formule aucune prétention mais présente un moyen qui ne saurait être déclaré irrecevable mais dont il appartiendra à la cour le cas échéant d’apprécier la portée ». Cette distinction est essentielle en procédure civile.
Une prétention constitue ce que demande une partie au juge, tandis qu’un moyen est l’argument juridique ou factuel invoqué au soutien de cette prétention. La salariée ne demandait pas à la cour de constater une modification unilatérale de son contrat ni d’en tirer des conséquences autonomes. Elle invoquait le contexte de cette réaffectation pour éclairer l’appréciation des griefs formulés contre elle. Ce faisant, elle usait d’un moyen de défense et non d’une demande nouvelle. L’irrecevabilité ne pouvait donc prospérer.
II. L’exigence probatoire en matière de licenciement mixte
Le licenciement reposait sur deux fondements distincts, l’insuffisance professionnelle et des fautes disciplinaires. La cour examina successivement le défaut de preuve de l’insuffisance de résultats (A), puis l’absence de caractérisation des manquements fautifs (B).
A. Le défaut de preuve de l’insuffisance professionnelle
La cour rappela le principe selon lequel « l’insuffisance de résultats ne peut constituer, en soi, une cause de licenciement » et qu’il appartient au juge de « vérifier si les objectifs fixés au salarié lors de l’accomplissement de sa prestation de travail […] étaient ni excessifs, ni irréalisables, mais au contraire réalistes ».
L’employeur reprochait à la salariée une prospection insuffisante et des résultats médiocres. La cour releva que durant la période de temps partiel thérapeutique, les comparaisons avancées ne tenaient pas compte de la réduction du temps de travail. Elle nota que « la société ne justifie pas des objectifs qui auraient été fixés à la salariée tant en termes de prospects ou de démonstrations que de résultats et qui n’auraient pas été respectés ni en tout état de cause que ceux-ci étaient réalistes et réalisables ».
Pour la période postérieure au retour à temps plein, la cour constata que la procédure de licenciement avait été engagée après seulement 49 jours de travail effectif. Elle jugea qu’« il n’a pas été donné à [la salariée] le temps nécessaire pour s’emparer et s’approprier son nouveau périmètre géographique et pour constituer utilement son porte-feuille de prospects et clients ».
Cette analyse rappelle que l’insuffisance professionnelle suppose des éléments objectifs, précis et imputables au salarié. L’employeur qui repositionne un salarié sur une nouvelle activité doit lui laisser un délai raisonnable d’adaptation avant de tirer les conséquences d’éventuelles difficultés.
B. L’absence de caractérisation des fautes disciplinaires
Les griefs disciplinaires portaient sur une prétendue insubordination et l’établissement d’une fausse déclaration. La cour examina chacun d’eux avec rigueur.
S’agissant de l’insubordination alléguée, la cour retint qu’elle « n’est pas caractérisée tant en ce qui concerne le client [dont] il n’est pas établi qu’il n’a pas été contacté par la salariée alors qu’elle soutient n’avoir jamais refusé de le faire ». Elle ajouta que la salariée « justifie avoir décliné sa compétence pour les clients étrangers ce qui exclut toute persistance de sa part à vouloir s’en occuper au mépris des instructions données ».
Concernant la fausse déclaration relative à une démonstration, la cour admit que « si la mention portée dans le logiciel Salesforce pouvait prêter à confusion, il résulte du dossier que celle-ci pour des raisons pratiques de disponibilité des protagonistes a eu lieu en visio-conférence ». Elle en déduisit qu’il ne pouvait « être déduit une tentative de la salariée de faire croire à une fausse visite et de l’effacer ensuite ».
Cette analyse témoigne de l’exigence de preuve pesant sur l’employeur en matière disciplinaire. Une équivoque dans la rédaction d’un rapport d’activité ne saurait suffire à caractériser une fraude dès lors que l’activité a effectivement été réalisée, fût-ce sous une forme différente de celle habituellement attendue.
La cour en conclut que « la réalité des faits fautifs reprochés à la salariée n’est pas établie » et jugea le licenciement sans cause réelle et sérieuse.