Cour d’appel de Paris, le 18 juin 2025, n°21/06014

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Rendue par la Cour d’appel de Paris le 18 juin 2025, la décision confirme la mise à pied disciplinaire de deux mois infligée à un agent de production pour des comportements à caractère sexuel intervenus sur le lieu de travail. Elle statue aussi sur l’allégation d’exécution déloyale du contrat de travail, en lien avec une mutation intervenue au cours de la procédure interne, et ordonne la réintégration du salarié, sous astreinte. L’affaire oppose un salarié, titularisé après un premier engagement à durée déterminée, à son employeur, dans un établissement industriel du courrier comptant plus de onze salariés.

Les faits utiles tiennent à des échanges intimes intervenus entre deux collègues, d’abord sur un chantier, puis en salle de pause, que le salarié a admis en soutenant leur caractère consensuel. Une mise à pied conservatoire, avec maintien du salaire, a été décidée, avant convocation à entretien préalable et saisine d’une commission consultative paritaire. Une mise à pied disciplinaire sans solde de deux mois a ensuite été notifiée. Le salarié saisit la juridiction prud’homale pour contester la sanction et demander des rappels de salaires, des dommages-intérêts, sa réaffectation sur le site initial, ainsi qu’une communication interne.

Le jugement de première instance l’a débouté. En appel, le salarié sollicite l’annulation de la sanction, des indemnités, le rétablissement de son affectation d’origine et des frais. L’employeur requiert la confirmation du jugement. Le débat cristallise deux thèses. D’un côté, l’employeur justifie la sanction par la décence au travail et le respect des personnes. De l’autre, le salarié invoque la vie privée, l’absence de trouble caractérisé et la disproportion de la sanction, et dénonce une mutation imposée.

La question de droit porte, en premier lieu, sur la possibilité de sanctionner des échanges intimes, même consentis, lorsqu’ils surviennent sur le lieu et au temps du travail, au regard des obligations disciplinaires et de déontologie internes. En second lieu, elle vise l’exécution loyale du contrat, s’agissant d’une mutation présentée comme volontaire mais potentiellement instillée par l’employeur en marge de la procédure disciplinaire. La cour confirme la sanction disciplinaire et retient la déloyauté contractuelle, ordonnant la réintégration sous astreinte et allouant une indemnité.

I. La confirmation du bien-fondé disciplinaire des comportements intimes sur le lieu de travail

A. Le rappel de la frontière entre vie personnelle et lieu de travail

La cour écarte toute qualification de harcèlement, non visée par la sanction, et concentre son contrôle sur la matérialité d’échanges intimes sur le site professionnel. Elle relève que le salarié a reconnu des baisers et caresses échangés dans l’enceinte de l’établissement, d’abord sur le chantier, puis en salle de pause. Elle en déduit que la seule sphère privée ne fait pas obstacle à la règle de conduite au travail.

Le cœur du raisonnement est cristallisé par l’affirmation selon laquelle « De tels faits qui relèvent de la sphère privée n’ont pas à se produire sur le lieu de travail, ni au temps de travail , ni même pendant le temps de pause dès lors que le salarié se trouve dans l’enceinte de l’établissement. » La cour ancre ainsi sa solution dans la localisation et le temps de l’activité, et non dans la seule qualification pénale ou l’absence de plainte. L’exigence de respect des personnes et du collectif prévaut, indépendamment de la confidentialité attendue d’une pause.

La cour rattache ces exigences aux normes internes de déontologie et au respect dû à l’ensemble des collaborateurs. Sans exiger une preuve d’un trouble caractérisé, elle retient la contrariété intrinsèque entre des comportements intimes visibles, même partiellement, et la décence professionnelle. L’équilibre entre vie personnelle et lieu de travail est tranché en faveur d’une police interne de la conduite, proportionnée à l’objectif de bon fonctionnement.

B. Le critère décisif du consentement et l’appréciation de proportionnalité

Le salarié soutenait le caractère librement consenti des échanges avec sa collègue, estimant que cette circonstance excluait la faute. La cour écarte cet argument en des termes clairs: « Dès lors la sanction est justifiée que la salariée ait été ou non consentante. » Le consentement, pertinent pour d’autres qualifications, demeure indifférent à l’égard de l’atteinte aux règles de conduite dans l’entreprise. La faute découle de l’inadéquation du comportement au lieu et au temps de travail.

La proportionnalité de la mise à pied est appréciée au regard de la nature des faits et de leur réitération sur site, l’autorité disciplinaire n’ayant pas rompu le contrat. La cour souligne l’atteinte au respect des personnes et au collectif, critère suffisant pour une sanction lourde mais non extrême. Le maintien de la rémunération durant la phase conservatoire et la tenue d’une procédure interne formalisée confortent l’idée d’un exercice mesuré du pouvoir disciplinaire.

Ainsi, la solution s’inscrit dans une jurisprudence qui réserve strictement le périmètre de la vie personnelle lorsqu’elle s’exprime dans l’enceinte professionnelle et pendant le temps de présence. Elle ferme la voie à une défense fondée sur la seule intimité, lorsque la décence au travail et le respect d’autrui sont engagés.

II. La caractérisation d’une exécution déloyale et ses conséquences sur l’affectation

A. La bonne foi contractuelle comme norme de contrôle de la mutation

Au-delà de la sanction, la cour contrôle la loyauté d’une mutation intervenue dans la séquence disciplinaire. Elle rappelle d’abord la règle générale: « Aux termes des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. » Elle ajoute: « Cette dernière disposition est d’ordre public. » Cette base textuelle légitime un contrôle substantiel de l’instigation de la demande de mobilité.

La preuve retient une sollicitation interne précédant la réunion de l’instance paritaire et un courrier de demande de nomination envoyé dans la foulée. L’absence de mention antérieure d’un souhait de départ, conjuguée à la proximité temporelle avec la procédure disciplinaire, révèle une impulsion déterminante de l’employeur. La cour en déduit une exécution déloyale, cause d’un préjudice distinct, indemnisé de manière mesurée au regard des éléments du dossier.

Les développements écartent par ailleurs la force obligatoire d’un certificat médical non confirmé par le médecin du travail. La décision rappelle la hiérarchie des avis médicaux en droit du travail et la compétence du service de santé au travail pour formuler des restrictions opposables, renforçant la cohérence de l’analyse en loyauté contractuelle.

B. La sanction du détournement disciplinaire et l’ordonnance de réintégration

La mutation, bien que formellement demandée, reçoit la qualification de mesure à caractère disciplinaire indirect, en lien étroit avec la procédure en cours. L’exécution déloyale entraîne alors une double conséquence. D’une part, l’allocation d’une indemnité réparant le manquement de loyauté, calibrée à hauteur d’un montant forfaitaire. D’autre part, l’ordonnance de réintégration sur le site d’origine, sous astreinte, faute pour l’employeur de présenter un motif dirimant justifiant le maintien de la nouvelle affectation.

La réintégration sous astreinte consacre l’effectivité du contrôle du juge, qui neutralise une mesure de mobilité instrumentalisée. Elle préserve aussi l’équilibre entre le pouvoir d’organisation et les droits du salarié, en rétablissant la situation antérieure lorsque la loyauté fait défaut. Le rejet de la demande de communication interne s’explique par l’absence d’arguments autonomes, la restauration de l’affectation et l’indemnisation suffisant à rétablir l’équilibre sans publicité supplémentaire.

Au total, la décision confirme une ligne nette. Elle valide la sanction d’un comportement intime déplacé dans l’enceinte professionnelle et réprime, par la loyauté contractuelle, l’usage détourné de la mobilité en marge du pouvoir disciplinaire. Elle le fait avec mesure, par des motifs précis et des remèdes proportionnés.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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