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Par un arrêt du 18 juin 2025, la Cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 3) se prononce sur un licenciement disciplinaire contesté. L’arrêt traite le sursis à statuer fondé sur une plainte pénale, la preuve des griefs, la régularité formelle de la lettre et le caractère vexatoire de la rupture.
Un salarié, recruté le 5 mars 2018 comme directeur des travaux, a été convoqué le 21 septembre 2018 et licencié pour faute lourde le 9 octobre 2018. Il justifiait d’une ancienneté de sept mois et d’une rémunération de 5 667 euros. L’entreprise occupait au moins onze salariés lors de la rupture.
Le conseil de prud’hommes de Bobigny, le 21 juillet 2021, a requalifié la faute lourde en cause réelle et sérieuse, alloué notamment des indemnités de préavis et de procédure, rejeté le sursis, et refusé les dommages-intérêts pour licenciement vexatoire. L’employeur a interjeté appel. Le salarié a soutenu l’absence de cause réelle et sérieuse et demandé réparation complémentaire. L’organisme de garantie des salaires a conclu à la faute lourde, subsidiairement à la faute grave.
La question posée portait, d’abord, sur l’opportunité d’un sursis en présence d’une plainte pénale partiellement liée aux griefs. Elle portait, ensuite, sur la preuve des fautes, l’intention de nuire, la portée d’une lettre non signée et la qualification de vexation lors de la restitution du matériel en présence d’un huissier.
La cour rejette le sursis, écarte toute cause réelle et sérieuse, exclut l’indemnité pour irrégularité, et retient la vexation. Elle affirme que « Aucune pièce du dossier de l’employeur ne permet de faire la preuve de la réalité des griefs invoqués » et « Juge sans cause réelle et sérieuse le licenciement ». Elle alloue des dommages-intérêts au titre de l’article L.1235-3 du code du travail, indemnise la vexation, et déclare l’arrêt opposable à la garantie salariale dans ses limites légales.
I. Sursis à statuer et contrôle probatoire des fautes
A. Le sursis non imposé par l’action pénale
La cour rappelle le principe selon lequel la plainte pénale ne paralyse pas le juge prud’homal. Elle cite que « Selon l’art. 4 alinéa 3 du code de procédure pénale, la mise en mouvement de l’action publique et, a fortiori, le simple dépôt d’une plainte pénale n’imposent pas la suspension du jugement des actions à fin civile autres que celle en réparation du dommage causé par l’infraction, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer une influence sur la solution du procès civil. » La motivation souligne l’ancienneté des plaintes, l’absence d’éléments sur leur suivi et leur recoupement seulement partiel avec les griefs. La cour ajoute que « Attendre l’issue de la procédure pénale n’est pas nécessaire », car la qualification disciplinaire peut être appréciée sans caractériser une infraction pénale. La solution confirme une lecture classique de l’autonomie du juge civil, tempérée par un contrôle d’opportunité ferme et circonstancié.
Cette position convainc, car elle protège la célérité du contentieux du travail et évite de déléguer la solution prud’homale aux aléas de l’enquête pénale. La motivation est précise sur le défaut de concordance des faits dénoncés, ce qui écarte toute dépendance décisive. Elle s’inscrit dans une jurisprudence constante de refus de sursis en l’absence d’éléments déterminants, tout en rappelant l’indépendance des responsabilités pénale et disciplinaire.
B. La lettre comme cadre du litige et l’exigence de preuve des griefs
La cour rappelle la fonction limitative de la lettre de licenciement et cite intégralement les griefs, notamment la supervision défaillante, les engagements non tenus et des mandats de sous-traitants sans ordre écrit. Le courrier conclut ainsi: « Ces faits marquent clairement votre volonté de nuire à la société. Ce licenciement prend effet immédiatement’. » Elle vérifie, ensuite, la preuve de ces allégations. Elle décide que « Aucune pièce du dossier de l’employeur ne permet de faire la preuve de la réalité des griefs invoqués » et précise encore: « Aucune de ces pièces ne permet d’imputer au salarié le rôle que lui prête l’employeur […] et encore moins de déterminer une intention de nuire à la société employeur. »
L’analyse combine l’article L.1232-1 et l’exigence d’une intention de nuire pour la faute lourde. En l’absence d’éléments concordants, la faute lourde s’effondre, et la cause réelle et sérieuse disparaît également. La solution est pédagogique: les documents versés, relatifs à d’autres salariés ou à des tiers, n’établissent ni l’auteur, ni l’imputabilité, ni l’intentionnalité. L’allocation d’une indemnité mesurée au barème de l’article L.1235-3 traduit une mise en œuvre stricte du droit positif, adaptée à la faible ancienneté et au niveau de rémunération.
II. Régularité formelle et atteinte à la dignité
A. L’absence de signature et l’absence de grief indemnisable
La lettre de licenciement mentionnait l’auteur, en qualité, mais n’était pas signée. La cour juge que « Cette irrégularité n’a pu cependant faire grief au salarié qui ne pouvait avoir aucun doute sur l’identité de son signataire et sa volonté de mettre fin au contrat de travail après l’entretien préalable du 4 octobre 2018. » Elle infirme donc l’indemnité allouée au titre de l’irrégularité de procédure.
Cette appréciation, déjà admise par la jurisprudence, dissocie l’exigence d’écrit de celle de signature lorsque l’auteur est identifié et que l’intention de rompre est dépourvue d’ambiguïté. Elle prévient une indemnisation automatique de vices formels sans incidence concrète sur les droits de la défense. Elle invite les employeurs à la rigueur, tout en retenant comme critère décisif l’existence d’un préjudice procédural, seul de nature à ouvrir réparation.
B. L’usage d’un huissier lors de la restitution et la caractérisation d’une vexation
La cour admet le caractère vexatoire des modalités de la restitution en présence d’un huissier. Elle retient que « Le fait de faire appel à un huissier pour la restitution du matériel […] est effectivement vexatoire au sens où cette façon de faire génère une suspicion sur l’honnêteté du salarié. » Elle ajoute que « En outre, il importe peu que l’entreprise ait eu l’intention ou pas d’humilier le salarié dès lors que son acte injustifié et donc fautif a généré un préjudice. »
La solution illustre les critères de la vexation: circonstances humiliantes, publicité interne et soupçon injustifié. L’atteinte à la dignité justifie une réparation autonome, ici fixée à 1 000 euros, proportionnée à l’atteinte et à la brièveté de la relation de travail. La portée pratique est nette: la sécurisation des restitutions ne légitime pas des procédés stigmatisants, sauf raisons précises, contemporaines et objectivées, dont l’absence emporte responsabilité.
Enfin, la cour déclare l’arrêt commun et opposable à la garantie des salaires selon les plafonds légaux, excluant les frais irrépétibles de son champ. Cette précision conforte la sécurité des créances indemnitaires prud’homales lorsqu’une procédure collective intervient, tout en rappelant la stricte délimitation de la garantie légale. L’ensemble compose une décision mesurée, attentive aux exigences probatoires, à la protection de la dignité et à la cohérence des effets financiers.