Cour d’appel de Paris, le 18 juin 2025, n°21/08758

Par un arrêt du 4 juin 2025, Pôle 6, chambre 4, la Cour d’appel de Paris a statué sur un litige prud’homal portant à la fois sur l’existence d’un harcèlement moral et sur la validité d’un licenciement motivé par des griefs de comportement. La salariée avait dénoncé une dégradation de ses conditions de travail, une alerte avait été relayée en interne et une enquête avait été diligentée. Elle fut licenciée pour faute à l’issue de ce processus. Le conseil de prud’hommes l’avait déboutée. La cour d’appel infirme, écarte la qualification de harcèlement au fond mais prononce la nullité du licenciement comme mesure de rétorsion, refuse la réintégration et alloue des dommages et intérêts.

Les faits utiles tiennent à une mutation, des difficultés d’habilitation, des tensions relationnelles rapidement apparues, plusieurs arrêts de travail et une saisine du comité compétent en matière de santé, sécurité et conditions de travail. L’enquête interne a consisté à entendre de nombreux collaborateurs et a abouti à des conclusions défavorables à la salariée. La procédure a conduit à un licenciement disciplinaire quelques semaines après l’alerte. En appel, la salariée soutenait le harcèlement et la nullité de la rupture à titre principal, subsidiairement l’absence de cause réelle et sérieuse. L’employeur sollicitait la confirmation du jugement.

La question tranchée portait d’abord sur l’appréciation des éléments de fait susceptibles de faire présumer un harcèlement au sens des articles L.1152-1 et L.1152-4 du code du travail. Elle portait ensuite sur l’articulation entre la protection attachée à la dénonciation d’agissements de harcèlement et la validité d’un licenciement intervenu dans le sillage d’une alerte interne.

I – Le sens de la décision et la technique de contrôle

A – Le faisceau d’indices et l’exigence probatoire en matière de harcèlement moral

La cour rappelle sans détour le cadre légal et la règle de l’aménagement de la preuve. Elle souligne que « Il importe peu que le salarié n’ait pas qualifié les faits qu’il dénonce de harcèlement moral. » Elle vérifie ensuite la consistance des éléments matériellement établis, appréciés dans leur globalité et non de manière parcellaire.

Au terme de cet examen, la cour retient qu’un isolement matériel est avéré, tandis que d’autres griefs demeurent non corroborés. Elle énonce alors que « En conséquence, force est de constater que ne sont pas matériellement établis des faits qui pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’agissements répétés constitutifs de harcèlement moral. » Le contrôle opéré est classique : sélection des faits utiles, mise à l’écart des seules impressions, vérification de la chronologie et de la densité des éléments.

Cette approche confirme que la présomption ne se confond pas avec une simple suspicion. La cour exige des faits précis et concordants, sans exiger la preuve parfaite, mais en refusant que des ressentis ou des difficultés initiales d’organisation emportent, à eux seuls, la qualification.

B – La protection contre les mesures de rétorsion et l’inopérance d’une enquête interne défaillante

La seconde branche du raisonnement porte sur la lettre de rupture et le lien causal avec la dénonciation. La cour note d’abord que « Au cas particulier, la lettre de licenciement ne vise pas à proprement parler la dénonciation de harcèlement moral. » Elle n’en déduit pas l’absence de protection, rappelant un principe décisif : « Il n’est pas nécessaire que les faits de harcèlement dénoncés soient avérés pour jouer leur rôle protecteur. »

Le contrôle se concentre alors sur la fiabilité du support probatoire de la rupture. La juridiction constate que « La cour relève qu’en l’état des données du débat, les modalités selon lesquelles les auditions de 14 collaborateurs ont été effectuées ne sont pas précisées, ni même la teneur des déclarations des employés, et qu’ainsi tant la pertinence que l’exactitude du contenu de ce document sont invérifiables. » Cette carence objective prive l’enquête de portée probante, d’autant qu’elle a été nourrie par la diffusion préalable de l’alerte.

La conclusion s’impose en droit positif de la protection contre la rétorsion: « En l’absence de toute valeur probante du rapport d’enquête sur lequel l’employeur s’est fondé pour prononcer le licenciement pour faute, la cour retient que la salariée a bien été licenciée en raison de sa dénonciation de faits de harcèlement moral. » La nullité est ainsi prononcée, sans qu’il soit requis d’établir le harcèlement litigieux ni une mauvaise foi, laquelle suppose la connaissance de la fausseté des faits dénoncés.

II – Valeur et portée de la solution retenue

A – Une application cohérente du régime protecteur de la dénonciation de harcèlement

La décision s’inscrit dans une lecture ferme des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail. La cour reprend la formule de référence: « Le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut en conséquence être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce. » La protection joue indépendamment de la qualification retenue au fond, ce qui évite de neutraliser l’alerte par un renvoi systématique à l’issue du débat probatoire principal.

La cohérence apparaît nette. Refuser la qualification de harcèlement, faute de faisceau suffisant, ne fait pas obstacle à la nullité de la rupture si l’employeur n’établit pas l’autonomie de la cause tirée d’une faute distincte et si l’on constate, dans le fil de l’alerte, une mesure qui s’y rattache. Le rappel selon lequel « Il n’est pas nécessaire que les faits de harcèlement dénoncés soient avérés pour jouer leur rôle protecteur » consolide cette articulation.

Cette solution valorise le rôle d’alerte et sécurise la parole au travail, tout en maintenant l’exigence de preuves objectives lorsqu’est recherché le harcèlement lui-même. L’équilibre est équilibré: la sanction de la rétorsion ne préjuge pas du bien-fondé de l’allégation initiale, mais sanctionne la réaction prohibée à son égard.

B – Les enseignements pratiques sur les enquêtes internes et la réintégration

L’arrêt délivre un signal de vigilance sur la conduite des enquêtes internes. L’absence de traçabilité des auditions, de cadrage des questions, ou de restitution fidèle des déclarations, affaiblit profondément la force probante de l’ensemble. Une investigation conçue comme un instrument de validation d’un grief pressenti se révèle impropre à dissiper le soupçon de rétorsion. La mise en cause d’un collectif entier, sans vérification individualisée des faits dénoncés, justifie l’écartement du document.

Sur les suites de la nullité, la cour refuse la réintégration, en relevant le pouvoir d’organisation de l’entreprise et l’impasse pratique signalée par les interlocuteurs internes. La formule retenue est nette: « Toutefois, ainsi que l’employeur le souligne, les modes d’organisation du travail relèvent de son seul pouvoir de direction. » La solution confirme que la nullité n’ouvre pas un droit automatique à la poursuite du contrat lorsque l’impossibilité est caractérisée. Elle conduit alors à une indemnisation intégrale du préjudice d’éviction dans la limite légale, ici appréciée in concreto au regard de l’âge, de l’ancienneté et du retour à l’emploi.

L’arrêt éclaire enfin la charge pesant sur l’employeur lorsqu’il licencie dans le sillage d’une alerte. Il doit démontrer, par des éléments objectifs, l’absence de lien, ou l’existence d’une cause autonome. À défaut, la rupture encourt la nullité, même si le harcèlement n’est pas retenu au fond. Cette portée incite à des méthodes d’enquête rigoureuses, contradictoires et documentées, seules à même de résister au contrôle juridictionnel.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture