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Cour d’appel de Paris, 19 juin 2025. Un coursier à vélo, lié par un contrat de prestation à une plateforme de livraison, sollicitait la requalification en contrat de travail et l’indemnisation corrélative. Le litige portait sur l’existence d’un lien de subordination, le régime du temps de travail et les effets de la rupture, incluant le travail dissimulé.
Les faits tiennent à une activité de livraison exécutée sur créneaux choisis via une application, avec directives opérationnelles et suivi par l’outil. La relation a cessé à l’été 2018. Saisi, le conseil de prud’hommes de Paris, le 1er avril 2022, a retenu l’existence d’un contrat à durée indéterminée, constaté un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et alloué diverses sommes. L’appelante contestait la compétence prud’homale et l’existence du lien de subordination, subsidiairement le quantum. L’intimé soutenait la subordination, réclamait un salaire de référence plus élevé, des rappels d’heures supplémentaires, de repos compensateurs, et l’indemnité de travail dissimulé.
La question de droit portait sur la qualification de la relation, au regard des indices de direction, de contrôle et de sanction, puis sur la détermination des bases de calcul des rappels de salaires et des indemnités. La cour confirme la requalification, fixe plusieurs rappels sur le minimum conventionnel, reconnaît le dépassement du contingent d’heures, retient le travail dissimulé et indemnise la rupture. Elle s’appuie sur la règle selon laquelle « Il en résulte que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles auraient donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité de celui qui se prétend salarié. »
I. La reconnaissance du lien de subordination
A. Les indices d’intégration et de direction du travail
La cour rappelle la présomption simple d’indépendance lorsque l’intéressé est immatriculé, mais exige la démonstration des conditions de fait. Elle vérifie successivement l’existence d’instructions précises, l’organisation unilatérale du service et la stabilité des modalités d’exécution. Le raisonnement s’inscrit dans la lignée de Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079, sur les indices combinés de géolocalisation, obligations procédurales et encadrement opérationnel.
Les pièces versées attestent d’un corpus de consignes détaillées quant à la présentation, la récupération et la livraison, ainsi que l’anticipation de connexion, la réponse téléphonique et le suivi des itinéraires. La cour retient un service organisé, la plateforme déterminant les conditions d’exécution et la présence d’un encadrement intermédiaire animé par des responsables dédiés. Ainsi, « C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes a requalifié la relation contractuelle en contrat de travail ».
Le critère pédagogique demeure celui d’une subordination manifestée par des ordres, un contrôle et la possibilité de sanction. La direction effective du travail, appuyée par des plannings et un suivi opérationnel, suffit à faire prévaloir la qualification salariale. L’évocation d’un courriel de résiliation mentionnant un « contrat de travail » corrobore, sans la fonder, la requalification opérée.
B. Le pouvoir de contrôle et de sanction caractérisé
La matérialité du contrôle est soutenue par les échanges et la surveillance opérationnelle permise par l’outil, à laquelle s’ajoutent des conséquences disciplinaires graduées. La cour cite un document interne prévoyant qu’« A partir de 4 dérapages : désactivation du compte et désinscription des shifts réservés. » Le système de « dérapages » comporte des effets punitifs intermédiaires, telle « Les conséquences sont les suivantes : perte de bonus ».
Cette gradation révèle un pouvoir de sanction, complétant la direction et le contrôle, et réalise le faisceau d’indices de la subordination. La motivation rejoint la méthode antérieurement approuvée par la jurisprudence sociale, qui prend en compte la combinaison d’indices plutôt que la seule présence d’un élément isolé. L’existence d’un uniforme imposé et d’objectifs animés par des responsables d’équipe renforce l’idée d’une organisation hiérarchisée.
Reste alors à tirer les conséquences salariales et indemnitaires de la requalification, sur le terrain du temps de travail, des repos, du licenciement et du travail dissimulé.
II. Les effets de la requalification sur la rémunération et la rupture
A. Rémunération, temps de travail et repos compensateurs
La cour retient le paiement mensuel indépendant de la répartition calendaire et rappelle la rigueur du régime du temps partiel. À défaut d’écrit mentionnant la répartition des horaires, la présomption de temps complet s’applique, l’employeur devant renverser la présomption en démontrant l’absence de mise à disposition permanente. Cette solution, classique, s’articule avec l’exigence probatoire des heures supplémentaires.
Sur la preuve des horaires, le salarié doit fournir des éléments suffisamment circonstanciés. La cour reprend la formule selon laquelle « Il appartient donc au salarié de présenter, au préalable, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies ». Constatant l’absence de contestation utile, elle juge que « Il convient de tenir pour avérés les horaires de travail allégués. » La solution s’aligne sur la directive 2003/88 et la jurisprudence européenne, la cour rappelant qu’il résulte des textes de l’Union que « qu’il incombe à l’employeur, l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur » (v. CJUE, 14 mai 2019, C‑55/18).
Pour autant, la base de calcul des rappels ne transpose pas mécaniquement la rémunération de prestataire. La cour juge, avec constance, qu’« Il convient donc de retenir un salaire horaire brut équivalent au minimum conventionnel applicable à la date des heures supplémentaires sollicitées, soit la somme mensuelle de 1 510 euros brute. » Elle accorde les majorations afférentes et les congés payés y attachés. S’agissant du contingent, la convention collective de branche « fixe ce contingent à 130 heures », justifiant l’octroi d’une contrepartie obligatoire en repos et des congés payés afférents.
Enfin, la demande de rappel à hauteur du minimum conventionnel est admise pour les mois inférieurs au plancher mensuel, traduisant l’effet utile du paiement mensuel et de la requalification. La cohérence d’ensemble repose sur la dissociation entre base conventionnelle minimale et rémunération antérieure comme prestataire, chacune mobilisée selon la nature du droit invoqué.
B. Rupture du contrat, travail dissimulé et réparation
La requalification emporte substitution rétroactive du statut salarié. La cour réaffirme que « La requalification de la relation contractuelle en contrat de travail, qui confère au prestataire le statut de salarié, a pour effet de replacer ce dernier dans la situation qui aurait été la sienne s’il avait été recruté depuis l’origine dans le cadre d’un contrat de travail. » La rupture, dépourvue de lettre conforme, s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit à l’indemnité de préavis, aux congés afférents et à des dommages-intérêts dans le cadre du barème applicable.
La cour opère une distinction mesurée des assiettes. Elle retient le minimum conventionnel pour certains rappels salariaux, mais fonde l’indemnité légale de licenciement et l’évaluation du préjudice sur la rémunération moyenne réellement perçue, au motif que les sommes versées comme prestataire « lui restent acquises ». Cette solution ménage à la fois le plancher conventionnel et la réalité économique des gains antérieurs, limitant les effets de double compte. Elle fixe l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse après appréciation concrète de la situation, et précise sobrement qu’« Il convient d’évaluer son préjudice à 4 000 euros ».
Sur le travail dissimulé, la cour ressort les textes répressifs et constate l’élément intentionnel au regard du montage contractuel et de la direction effective du travail. Elle affirme nettement que « Le caractère intentionnel d’un travail dissimulé est donc établi », allouant l’indemnité forfaitaire de six mois sur la base de référence retenue. La solution s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle exigeant la preuve d’une volonté d’éluder les obligations d’employeur, appréciée à partir des conditions concrètes d’exercice.
L’ensemble est complété par les intérêts, la capitalisation, la remise des documents de fin de contrat et les frais irrépétibles. La cohérence de l’arrêt tient à une articulation stricte des règles probatoires, des normes européennes sur la mesure du temps, et des droits salariaux consécutifs à la requalification, appliquées avec un contrôle étroit des indices de subordination.