Cour d’appel de Paris, le 19 juin 2025, n°24/06761

Par un arrêt rendu le 19 juin 2025, la Cour d’appel de Paris, statuant en matière d’exécution, a confirmé le rejet d’une requête en omission de statuer et en retranchement formée par deux avocats qui contestaient un jugement ayant prononcé la caducité d’une saisie conservatoire pratiquée sur les comptes bancaires de leur cliente débitrice d’honoraires.

Deux avocats ont obtenu, par ordonnance du 22 juin 2022, l’autorisation de pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes ouverts dans les livres d’un établissement bancaire aux noms de leur cliente et de sa société, pour un montant de 88 980 euros correspondant à des factures d’honoraires impayées. La saisie, fructueuse, a été réalisée le 30 juin 2022 et dénoncée le 7 juillet suivant. Les avocats ont parallèlement saisi le bâtonnier d’une demande de fixation d’honoraires. Ils ont ensuite notifié à la banque un acquiescement notarié à la saisie prétendument signé par leur cliente, puis un protocole transactionnel notarié. La banque a refusé le paiement au motif que la cliente contestait sa signature.

Par jugement du 14 juin 2023, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris a dit caduque la saisie conservatoire, en a ordonné la mainlevée et a rejeté les demandes formées contre la banque. Les appels successivement formés contre cette décision ont été déclarés irrecevable puis caduc. Les avocats ont alors déposé une requête en réparation d’omission de statuer et en retranchement. Par jugement du 13 mars 2024, le juge de l’exécution a rejeté ces requêtes et condamné les avocats à des dommages-intérêts pour résistance abusive. Les avocats ont interjeté appel de cette décision.

Les appelants soutenaient que le prononcé de la caducité n’avait été demandé par aucune partie au dispositif des conclusions et que le jugement avait omis de statuer sur leurs demandes de condamnation de la banque au paiement des sommes saisies.

La question posée à la cour était double. Il s’agissait de déterminer si le juge de l’exécution avait statué ultra petita en prononçant la caducité de la saisie conservatoire sans que cette prétention figure au dispositif des conclusions, et si le rejet des demandes formées contre le tiers saisi constituait une omission de statuer.

La Cour d’appel de Paris confirme le jugement. Elle retient que « la caducité s’impos[e] aux parties comme au juge, sans qu’il soit pour autant nécessaire de formuler cette prétention, dès lors que la caducité était le moyen principal soulevé par la banque à l’appui de sa demande de mainlevée ». Elle ajoute que la caducité entraînait « nécessairement la mainlevée de la saisie conservatoire et le rejet de la demande de condamnation du tiers saisi ».

Cet arrêt mérite attention en ce qu’il précise le régime de la caducité des mesures conservatoires et ses conséquences procédurales. Il convient d’examiner le caractère automatique de la caducité de la saisie conservatoire (I) avant d’analyser les conséquences de cette caducité sur les demandes accessoires (II).

I. Le caractère automatique de la caducité de la saisie conservatoire

La cour affirme avec clarté la nature de la caducité des mesures conservatoires (A) et en tire les conséquences sur l’office du juge (B).

A. La caducité comme sanction légale s’imposant au juge

L’article R.511-8 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que le défaut d’accomplissement des diligences requises par l’article R.511-7 entraîne la caducité de la mesure conservatoire. La cour en déduit que « cette caducité s’impos[e] aux parties comme au juge ».

Cette affirmation revêt une portée considérable. La caducité prévue par ce texte n’est pas une sanction facultative laissée à l’appréciation du juge. Elle opère de plein droit dès lors que les conditions légales sont réunies. Le juge qui la constate ne fait qu’en tirer les conséquences juridiques nécessaires. Cette analyse s’inscrit dans la conception classique de la caducité comme cause d’extinction automatique d’un acte juridique, distincte de la nullité qui suppose une appréciation judiciaire.

La solution retenue présente l’intérêt de sécuriser le régime des mesures conservatoires. Le créancier saisissant sait qu’il doit impérativement respecter les délais légaux sous peine de voir sa mesure privée d’effet, sans pouvoir espérer une quelconque clémence du juge.

B. L’absence d’ultra petita dans le prononcé de la caducité

Les appelants arguaient que le prononcé de la caducité constituait un ultra petita dès lors qu’aucune partie n’avait formulé cette prétention au dispositif de ses conclusions. La cour rejette ce moyen en relevant que « les écritures de la banque comportaient de longs développements sur la caducité » et que celle-ci constituait « le moyen principal soulevé par la banque à l’appui de sa demande de mainlevée ».

Cette motivation appelle deux observations. La cour distingue la prétention, qui doit figurer au dispositif des conclusions conformément à l’article 954 du code de procédure civile, du moyen qui la soutient et qui peut figurer dans le corps des écritures. La demande de mainlevée constituait la prétention ; la caducité en était le moyen juridique.

La cour ajoute implicitement que le juge qui accueille une demande peut retenir un fondement juridique différent de celui invoqué par les parties, dès lors que ce fondement a été débattu contradictoirement. Les développements consacrés à la caducité dans les conclusions de la banque avaient permis ce débat.

II. Les conséquences de la caducité sur les demandes accessoires

La caducité prononcée emporte des effets mécaniques sur les demandes de condamnation du tiers saisi (A) et justifie la sanction de la résistance abusive (B).

A. Le rejet nécessaire des demandes formées contre le tiers saisi

Les appelants reprochaient au jugement du 14 juin 2023 de n’avoir pas examiné leurs demandes tendant à obtenir la condamnation de la banque au paiement des sommes saisies. La cour répond que « la caducité de la mesure […] entraînait nécessairement la mainlevée de la saisie conservatoire et le rejet de la demande de condamnation du tiers saisi ».

Ce raisonnement procède d’une logique imparable. La saisie conservatoire crée une indisponibilité des sommes entre les mains du tiers saisi. Cette indisponibilité constitue le fondement de l’obligation de consignation ou de paiement du tiers saisi. Lorsque la mesure devient caduque, l’indisponibilité disparaît rétroactivement. Le tiers saisi recouvre la libre disposition des fonds. Il ne saurait dès lors être condamné à payer des sommes qu’il ne détient plus pour le compte du saisissant.

La cour écarte ainsi le grief d’omission de statuer. Le juge n’avait pas à examiner au fond des demandes devenues sans objet du fait de la caducité qu’il avait préalablement constatée. Le rejet de ces demandes découlait mécaniquement de cette constatation.

B. La caractérisation de la résistance abusive

La cour confirme la condamnation des avocats appelants à des dommages-intérêts pour résistance abusive sur le fondement de l’article L.121-3 du code des procédures civiles d’exécution. Elle retient que « nonobstant le jugement du 14 juin 2023, revêtu de l’autorité de chose jugée dès son prononcé, ceux-ci n’avaient pas donné mainlevée de la saisie conservatoire ».

Les appelants invoquaient l’existence d’une procédure pendante devant le premier président aux fins de suspension de l’exécution provisoire. La cour relève que cette procédure avait fait l’objet d’une radiation pour défaut de diligences le 24 janvier 2024, soit antérieurement à l’audience de plaidoiries du 7 février 2024. Les avocats ne pouvaient donc se prévaloir d’une instance en cours pour justifier leur inaction.

Cette solution rappelle que l’autorité de chose jugée s’attache au jugement dès son prononcé, indépendamment de l’exercice des voies de recours. Seule une décision ordonnant la suspension de l’exécution provisoire aurait pu légitimer le refus de donner mainlevée. La simple introduction d’une demande en ce sens, a fortiori radiée pour défaut de diligences, ne saurait justifier une résistance à l’exécution. La cour sanctionne ainsi un comportement dilatoire de professionnels du droit qui ne pouvaient ignorer la portée de leurs obligations.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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