Cour d’appel de Paris, le 19 juin 2025, n°24/06975

Par un arrêt du 19 juin 2025, la Cour d’appel de Paris (pôle 4, chambre 9 A) statue sur un crédit à la consommation souscrit en 2018, réaménagé en 2019, suivi d’impayés ayant entraîné une déchéance du terme. Par jugement du 11 décembre 2023, le juge des contentieux de la protection a prononcé la déchéance totale du droit aux intérêts, fixé le solde dû à 8 325,74 euros, écarté la capitalisation et retenu l’intérêt légal non majoré.

L’appel interjeté par le prêteur critiquait la déchéance des intérêts. Il invoquait la prescription des griefs formels, soutenait avoir vérifié la solvabilité, justifiait la consultation du FICP par un support interne durable, contestait toute exigence de justificatifs au titre de l’article L. 312-17, et réclamait intérêts conventionnels, ou à tout le moins légaux majorés, avec anatocisme. L’emprunteur n’a pas constitué avocat.

La question centrale portait sur l’étendue et la preuve des obligations précontractuelles du prêteur, spécialement la remise de la fiche d’informations précontractuelles normalisées (FIPEN), la vérification de la solvabilité et la consultation du FICP, ainsi que sur les conséquences financières de la déchéance. La Cour confirme la recevabilité et la déchéance totale des intérêts pour défaut de preuve de remise de la FIPEN, valide la preuve de la consultation FICP et celle de la solvabilité, confirme la déchéance du terme et le quantum, écarte l’anatocisme et refuse la majoration de l’intérêt légal, en retenant ce dernier à compter du 11 juillet 2022.

I. Le sens de l’arrêt: charges de preuve et périmètre des obligations

A. La remise de la FIPEN: un fardeau probatoire renforcé

La Cour retient un standard probatoire exigeant. Elle rappelle d’abord que «A cet égard, la clause type, figurant au contrat de prêt, selon laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu la fiche d’informations précontractuelles normalisées européennes, n’est qu’un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.» La formule refuse toute automaticité attachée à la clause de reconnaissance.

Surtout, l’arrêt s’inscrit dans le sillage d’une jurisprudence récente en précisant: «Il a toutefois été jugé qu’un document qui émane du seul prêteur ne peut utilement corroborer les mentions de cette clause type de l’offre de prêt pour apporter la preuve de l’effectivité de la remise (Cass. civ. 1, 7 juin 2023, n° 22-15.552).» Le document préformaté, non signé par l’emprunteur, ne suffit donc pas. La Cour en déduit que l’absence de justificatif probant de remise effective de la FIPEN entraîne la déchéance totale du droit aux intérêts, conformément aux articles L. 312-12 et L. 341-1.

La solution se combine à un rappel de procédure utile. La Cour énonce que le moyen de déchéance «constitue une défense au fond et n’est donc pas soumis à la prescription», ce qui neutralise l’argument tiré d’une prétendue forclusion du grief formel. La cohérence interne du raisonnement tient ici à la nature défensive de l’exception, ordonnée à la seule contestation de la créance.

B. Solvabilité et FICP: distinction des régimes et preuve adaptée

L’arrêt circonscrit d’abord l’article L. 312-17 à ses hypothèses propres, en jugeant inapplicables les exigences de justificatifs renforcés aux contrats conclus en agence. En conséquence, le prêteur n’était tenu ni d’un justificatif de domicile ni de pièces relatives aux charges au titre de ce texte. La Cour contrôle néanmoins la vérification de solvabilité par l’article L. 312-16 et retient qu’elle a été accomplie au vu de la fiche de dialogue et des bulletins de salaire, corroborés par le contrat de travail.

S’agissant du FICP, la Cour consacre une preuve «sur support durable» conforme à l’arrêté du 26 octobre 2010. Elle affirme sans équivoque: «Aucun formalisme n’est exigé quant à la justification de la consultation du fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers par les organismes prêteurs, l’article 13 de l’arrêté du 26 octobre 2010 […] prévoit […] conserver des preuves de cette consultation, de son motif et de son résultat, sur un support durable.» Le résultat interne retraçant date, motif et issue de la consultation, antérieure au déblocage, est tenu suffisant.

II. Valeur et portée: équilibre des protections et effets pratiques

A. Cohérence normative et articulation des sources

La solution relative à la FIPEN confirme l’inflexion probatoire initiée par la jurisprudence de 2023. Elle fait prévaloir l’effectivité de l’information sur les commodités documentaires du prêteur. L’exigence d’un élément de corroboration extérieur au prêteur, idéalement émanant de l’emprunteur, sécurise la preuve d’une remise personnalisée et contextualisée. Elle renforce la portée du texte sanctionnateur, en réservant la déchéance totale aux manquements à l’information précontractuelle.

La distinction nette entre L. 312-17 et L. 312-16 mérite approbation. Elle évite d’étendre, hors de leur périmètre, des exigences spécifiquement prévues pour les contrats conclus à distance ou sur lieu de vente. La Cour préserve ainsi la cohérence du dispositif, tout en contrôlant, au fond, la réalité des vérifications opérées. Cette méthode garantit une protection proportionnée de l’emprunteur, sans méconnaître la liberté de preuve encadrée par l’arrêté sur le FICP.

B. Conséquences pratiques: réglage des intérêts et discipline documentaire

L’arrêt affine le régime des intérêts dus après déchéance. Il retient l’intérêt légal, sans majoration, pour ne pas neutraliser la sanction par un rendement équivalent au taux conventionnel. La Cour précise que «les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur au titre des intérêts au taux légal sont significativement inférieurs à ce taux conventionnel», et situe le point de départ au 11 juillet 2022, date de la mise en demeure préalable. Le refus de l’anatocisme, hors crédits renouvelables, confirme l’exclusivité des postes légalement énumérés.

La portée pratique est claire. Les prêteurs doivent tracer la remise de la FIPEN par un élément probatoire robuste, distinct de leurs propres productions, idéalement signé ou équivalent fonctionnel sur support durable. Le standard admis pour le FICP, plus souple, demeure: un enregistrement interne complet suffit, pourvu qu’il soit antérieur au déblocage et fidèle à l’arrêté. La déchéance du terme régulièrement acquise n’emporte pas réintroduction d’intérêts conventionnels ni de clause pénale, le quantum restant borné au capital net de ce qui a été payé.

En définitive, l’arrêt opère un arbitrage lucide entre effectivité de la sanction d’information et pragmatisme probatoire pour la solvabilité et le FICP. Il confirme la condamnation à 8 325,74 euros, intérêts au taux légal non majoré à compter du 11 juillet 2022, rejette l’anatocisme, et maintient la charge des dépens d’appel au prêteur.

I. Le sens de l’arrêt: charges de preuve et périmètre des obligations
A. La remise de la FIPEN: un fardeau probatoire renforcé
B. Solvabilité et FICP: distinction des régimes et preuve adaptée

II. Valeur et portée: équilibre des protections et effets pratiques
A. Cohérence normative et articulation des sources
B. Conséquences pratiques: réglage des intérêts et discipline documentaire

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Hassan KOHEN
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