Cour d’appel de Paris, le 2 juillet 2025, n°20/01781

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Rendue par la Cour d’appel de Paris le 2 juillet 2025, l’affaire concerne la cession en 2011 d’un site industriel avec transfert des contrats, suivie d’une liquidation en 2015 et de licenciements économiques. Le salarié sollicite des dommages et intérêts en invoquant une cession frauduleuse, l’absence d’entité économique autonome au sens de l’article L 1224-1, une situation de co‑emploi, ainsi qu’un manquement à l’obligation de reclassement. Le Conseil de prud’hommes de Meaux, le 11 décembre 2019, a rejeté l’ensemble des demandes et mis hors de cause l’ancien employeur. Devant la juridiction d’appel, se posaient d’abord des questions de recevabilité, notamment le rejet d’écritures tardives et l’irrecevabilité d’une condamnation in solidum contre une entité en liquidation, puis le moyen de prescription. Au fond, la cour devait dire si la fraude était établie, si un transfert régulier d’une entité économique autonome avait eu lieu, si le co‑emploi pouvait être retenu et si l’obligation de reclassement avait été correctement exécutée par le mandataire liquidateur. La cour écarte la prescription, rejette la demande in solidum, refuse les écritures tardives, nie la fraude, confirme l’existence d’une entité autonome, exclut le co‑emploi et juge l’obligation de reclassement respectée, confirmant l’essentiel du jugement de première instance.

I – Les bornes procédurales et la confirmation d’un transfert régulier

A – Recevabilité des prétentions et office de la cour

La cour écarte les dernières écritures de l’appelant, déposées trois jours avant l’audience malgré le report de la clôture, en raison d’atteintes caractérisées au contradictoire. Elle rappelle que le juge d’appel doit « faire respecter le principe de la contradiction en toutes circonstances ». Elle déclare aussi irrecevable la demande de condamnation in solidum visant une société en liquidation, sans priver d’objet la fixation des créances au passif. Le moyen de prescription est rejeté. La cour précise, à propos de l’action indemnitaire liée à la rupture, que « La nature de cette demande commande de faire application des dispositions de l’article L 1471-1 deuxième alinéa du code du travail ». Le licenciement ayant été notifié en mars 2015, la saisine intervenant en août 2015 demeure dans le délai légal, ce qui confirme la recevabilité des demandes, hors in solidum.

Cette séquence procédurale circonscrit le débat à l’appréciation au fond des griefs articulés. Elle met en évidence un contrôle ferme du respect du contradictoire et une articulation claire entre l’irrecevabilité partielle et la continuation utile du litige.

B – Cession non frauduleuse et entité économique autonome

L’allégation de fraude est appréciée au moment de l’opération de cession. La cour rappelle avec netteté que « Il est constant que la fraude ne se présume pas et doit être prouvée par celui qui l’invoque ». Elle relève une dépendance économique du cessionnaire envers l’ancien employeur, documentée par les expertises sociales, sans que cela suffise à établir une intention frauduleuse dès l’origine. Le choix de céder plutôt que fermer, avec accompagnement contractuel et garantie d’emploi, ne caractérise pas un dessein de se soustraire aux règles du licenciement économique. L’argument de dissimulation d’identité du repreneur, au demeurant discuté, ne renverse pas cette appréciation. En conséquence, « le moyen ne peut aboutir ».

La cour confirme ensuite l’existence d’un transfert au sens de l’article L 1224‑1. Elle énonce le principe selon lequel, « En application des dispositions de l’article L 1224-1 du code du travail […] tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ». L’analyse des actifs corporels et incorporels transférés convainc qu’une unité de moyens suffisante a été reprise. La cour conclut que « Il ressort de cette liste qu’ont été cédés un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels et incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuivait un objectif propre ». L’argument tiré d’une clientèle initialement concentrée ne contredit pas la possibilité, explicitement ouverte, de développer une clientèle nouvelle. Dès lors, « Le moyen ne peut davantage prospérer ».

II – Dépendance économique et responsabilités sociales : valeur et portée de la solution

A – Standard du co‑emploi et distinction domination/immixtion

La cour adopte le standard classique, particulièrement exigeant, de qualification du co‑emploi. Elle rappelle que « Hors l’existence d’un lien de subordination, une société ne peut être qualifiée de coemployeur […] que s’il existe […] une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière ». Les conventions de prestations, la concentration des flux, ou des avances consenties dans un contexte de conciliation, établissent une dépendance économique, mais non une direction de fait. Les pièces ne démontrent pas une dépossession des organes sociaux du pouvoir de décision. La formule est nette et opportune pour dissiper l’amalgame entre puissance de marché et pouvoir d’employeur : « la domination ne se confond pas avec limmixtion ».

Cette affirmation, désormais bien ancrée, conforte un équilibre. Elle protège les salariés contre des montages véritablement intégrateurs dissimulés, tout en sécurisant les schémas d’accompagnement commerciaux, fréquents lors de reprises industrielles, dès lors qu’ils ne franchissent pas le seuil d’une direction sociale de fait.

B – Reclassement en contexte de liquidation et périmètre pertinent

La critique visant l’obligation de reclassement se heurte ici à un périmètre objectivement limité. Le liquidateur devait explorer les possibilités au sein des entités relevant effectivement de l’employeur, puis solliciter des pistes externes pertinentes. La cour constate que les structures économiquement liées mais dépourvues d’activité ou de salariés ne pouvaient utilement offrir de postes. Les démarches à l’étranger n’ont pas révélé de filiales employeurs identifiables dans le même secteur. Dans ces conditions, l’absence d’appartenance à un véritable groupe d’intégration rendait infondée l’extension postulée du périmètre de reclassement. L’argumentation échoue, et « Le moyen ne peut non plus sur ce point prospérer ».

La portée est concrète. Le juge social exige des diligences réelles et adaptées, sans étendre fictivement le périmètre à des holdings sans personnels ou à des partenaires commerciaux extérieurs. La décision confirme qu’en liquidation, le respect de l’obligation se mesure à l’aune des entités pertinentes et opérationnelles, ce qui maintient une exigence effective, mais proportionnée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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