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La période d’essai constitue une phase probatoire au cours de laquelle chaque partie au contrat de travail peut librement mettre fin à la relation de travail. Cette liberté connaît toutefois des limites, tenant notamment à l’interdiction de l’abus de droit. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 2 juillet 2025 offre une illustration de la mise en œuvre de ces principes dans un contexte singulier, celui de la crise sanitaire de 2020.
Une salariée avait été engagée en qualité de conseillère de vente par contrat à durée indéterminée signé le 9 mars 2020, stipulant une période d’essai de deux mois. L’employeur a mis fin à cette période d’essai le 16 mars 2020, soit une semaine après le début de la relation contractuelle. La salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 27 mai 2020, soutenant que la rupture de sa période d’essai n’était pas inhérente à sa personne et réclamant des dommages-intérêts pour rupture abusive. Elle arguait en particulier que cette rupture était liée à l’annonce du confinement général décidé par le gouvernement et non à ses compétences professionnelles. Elle soutenait également que la période d’essai était nulle dans la mesure où elle avait débuté son travail le 9 mars 2020 alors que le contrat était daté du 10 mars 2020.
L’employeur contestait cette analyse et faisait valoir que la salariée ne disposait pas des compétences requises et ne correspondait pas aux standards de la marque. Il produisait des attestations de responsables de vente ainsi que des justificatifs d’embauches réalisées pendant la période de confinement.
Le conseil de prud’hommes de Paris a rejeté les demandes de la salariée par jugement du 29 avril 2021. Celle-ci a interjeté appel de cette décision.
La Cour d’appel de Paris devait déterminer si la rupture de la période d’essai présentait un caractère abusif en ce qu’elle aurait été motivée par des considérations étrangères aux compétences professionnelles de la salariée.
La cour confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle relève d’abord que le contrat de travail a bien été passé le 9 mars 2020, la salariée l’ayant signé à cette date avec la mention « bon pour accord ». La période d’essai a donc valablement débuté à cette date. Sur le fond, la cour retient que « l’employeur verse aux débats des attestations de responsables des ventes qui affirment que [la salariée] n’avait ni le savoir-faire ni le savoir-vivre utiles à une maison comme la maison Lenôtre, qu’elle n’intégrait pas les consignes malgré les recadrages de la direction, qu’elle a généré des tensions dans l’équipe ». La cour relève également que « l’employeur produit les justificatifs d’embauche de salariés le 1er avril 2020 soit pendant la période de confinement ». Elle en conclut que « l’abus de rupture de la période d’essai n’étant pas justifié, la demande de la salariée ne peut aboutir ».
Cet arrêt invite à examiner successivement les conditions de validité de la période d’essai (I) puis le régime de la preuve de l’abus dans sa rupture (II).
I. La validité de la période d’essai et la question du point de départ
La cour d’appel tranche d’abord une difficulté relative à la date de conclusion du contrat de travail avant d’en tirer les conséquences sur la validité de la période d’essai.
A. La détermination de la date de formation du contrat de travail
La salariée soutenait que la période d’essai était nulle en raison d’une discordance entre la date du contrat et celle de son entrée en fonctions. Le contrat était daté du 10 mars 2020 mais sa signature, précédée de la mention « bon pour accord », portait la date du 9 mars 2020.
La cour écarte ce moyen en retenant que « le contrat de travail a été passé le 9 mars 2020 puisque la salariée l’a signé à cette date ». Cette solution repose sur le principe selon lequel le contrat se forme par l’échange des consentements. La date de signature par le salarié constitue ainsi le moment de la rencontre des volontés. La cour s’appuie également sur des éléments concordants : le courrier de l’employeur du 24 mars 2020 mentionnant que la période d’essai « a débuté le 9 mars 2020 », le bulletin de paie et l’attestation destinée à Pôle emploi indiquant une période de paie du 9 au 18 mars 2020.
Cette analyse pragmatique permet d’éviter une nullité de la période d’essai fondée sur une simple erreur matérielle dans la datation du document contractuel.
B. Les conséquences sur la validité de la période d’essai
En retenant la date du 9 mars 2020 comme point de départ du contrat, la cour valide par là même le commencement de la période d’essai à cette date. Elle énonce que le contrat « contenait une clause stipulant une période d’essai de deux mois, laquelle a nécessairement commencé le 9 mars 2020 ».
Cette solution est conforme à l’article L. 1221-23 du code du travail qui exige que la période d’essai soit expressément stipulée dans le contrat de travail ou la lettre d’engagement. En l’espèce, cette exigence était satisfaite. La cour rappelle utilement l’article L. 1221-19 du même code selon lequel « la période d’essai permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent ».
La validité de la période d’essai étant acquise, la cour pouvait examiner le grief tiré du caractère abusif de sa rupture.
II. La charge de la preuve de l’abus et son appréciation contextuelle
La cour applique le régime probatoire applicable à la rupture de la période d’essai avant de procéder à l’appréciation concrète des éléments soumis par les parties.
A. Le principe de la charge de la preuve pesant sur le salarié
La cour énonce le principe gouvernant la rupture de la période d’essai : « l’employeur peut, pendant cette période mettre fin au contrat de travail, sauf abus qu’il appartient à la salariée de prouver ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle la liberté de rupture pendant l’essai ne peut être remise en cause que par la démonstration d’un abus.
L’abus peut résulter de différentes circonstances : légèreté blâmable dans l’appréciation des compétences, motifs étrangers à la finalité de l’essai ou encore détournement de la période d’essai à des fins économiques. En l’espèce, la salariée invoquait précisément un tel détournement en soutenant que la rupture avait été décidée « par précipitation suite aux annonces du confinement ».
Cette argumentation était d’autant plus plausible que la rupture était intervenue le 16 mars 2020, date de l’annonce des mesures de confinement. Le contexte sanitaire pouvait légitimement faire naître un doute sur les véritables motivations de l’employeur.
B. L’appréciation in concreto des éléments de preuve
La cour procède à un examen attentif des éléments produits par chaque partie. La salariée faisait attester par un ancien supérieur hiérarchique de la réalité de ses compétences. L’employeur répondait par des attestations de responsables des ventes affirmant que l’intéressée « n’avait ni le savoir-faire ni le savoir-vivre utiles à une maison comme la maison Lenôtre, qu’elle n’intégrait pas les consignes malgré les recadrages de la direction, qu’elle a généré des tensions dans l’équipe ».
La cour relève que ces attestations contredisent le justificatif produit par la salariée. Elle accorde manifestement une force probante supérieure aux attestations émanant de personnes ayant directement encadré le travail de la salariée au sein de l’entreprise concernée.
La cour retient un élément particulièrement probant : « l’employeur produit les justificatifs d’embauche de salariés le 1er avril 2020 soit pendant la période de confinement ». Ce constat ruine l’argument central de la salariée. Si l’employeur avait rompu la période d’essai pour des raisons économiques liées au confinement, il n’aurait pas procédé à des embauches deux semaines plus tard. Cette embauche contemporaine du confinement démontre que l’activité n’était pas interrompue et que la rupture obéissait bien à des considérations tenant à la personne de la salariée.
La cour en conclut que « l’abus de rupture de la période d’essai n’étant pas justifié, la demande de la salariée ne peut aboutir ». Cette formulation confirme que la charge de la preuve de l’abus incombait à la salariée et que celle-ci n’a pas été satisfaite. L’arrêt illustre ainsi la rigueur de l’exigence probatoire pesant sur le salarié qui entend contester la rupture de sa période d’essai.