Cour d’appel de Paris, le 2 juillet 2025, n°22/14809

La qualification juridique du dépositaire d’un véhicule réquisitionné par les forces de l’ordre et la détermination du débiteur des frais de garde constituent des questions récurrentes, à la croisée du droit des contrats spéciaux et du droit administratif. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 2 juillet 2025, apporte une réponse éclairante sur ces difficultés.

Une société de dépannage et remorquage avait été réquisitionnée le 30 mars 2016 par la gendarmerie afin de procéder à l’enlèvement et au stockage d’un camping-car retrouvé calciné. Le véhicule appartenait à une particulière et était assuré auprès d’une mutuelle d’assurance. La société de dépannage a adressé à l’assureur des factures correspondant aux frais de remorquage et de gardiennage, lesquelles sont demeurées impayées malgré deux mises en demeure.

Par acte du 3 avril 2018, la société de dépannage a assigné l’assureur devant le tribunal de commerce aux fins de le voir condamner au paiement de la somme de 43 495,50 euros. Après renvoi devant le tribunal judiciaire pour incompétence, cette juridiction a, par jugement du 4 avril 2022, débouté la demanderesse de l’intégralité de ses prétentions, retenant qu’elle ne rapportait ni la preuve d’un transfert de propriété du véhicule au profit de l’assureur, ni celle d’un dépôt contractuel. La société de dépannage a interjeté appel. En cours d’instance, elle a été placée en liquidation judiciaire, son liquidateur étant intervenu volontairement à la procédure.

La question posée à la cour était la suivante : l’assureur du propriétaire d’un véhicule placé sous scellés puis confié à un dépositaire sur réquisition des autorités publiques peut-il être tenu au paiement des frais de garde, en l’absence de tout contrat et de tout transfert de propriété à son profit ?

La cour d’appel de Paris confirme le jugement entrepris. Elle adopte les motifs des premiers juges et retient que « la société SDR ne rapporte ni la preuve de la subrogation alléguée ni la preuve du transfert de propriété du véhicule au profit de la SA FILIA MAIF ». Elle précise que « la subrogation, qu’elle soit légale ou conventionnelle, n’emporte pas le transfert de propriété d’un bien mobilier distinct de la créance objet de la subrogation ». Elle constate enfin que la société de dépannage ne démontre pas que « le dépôt nécessaire s’est transformé en dépôt contractuel ».

Cette décision permet d’examiner successivement la qualification du dépôt nécessaire et ses conséquences sur l’identification du débiteur des frais de garde (I), puis l’impossibilité d’engager la responsabilité de l’assureur en l’absence de lien contractuel ou de transfert de propriété (II).

I. Le dépôt nécessaire par réquisition : une qualification excluant l’assureur du rapport d’obligation

La cour procède à une qualification rigoureuse du dépôt résultant de la réquisition administrative (A), avant d’en tirer les conséquences quant à l’identification du débiteur des frais de conservation (B).

A. La caractérisation d’un dépôt nécessaire au sens de l’article 1949 du code civil

La cour adopte les motifs du tribunal qui avait retenu que « l’acte de remorquage et la rétention du véhicule litigieux sur le site de la société SDR doit s’analyser en un dépôt à l’origine nécessaire au sens de l’article 1949 du code civil ». Cette qualification s’imposait en l’espèce : le véhicule avait été confié au dépositaire non par la volonté du propriétaire ou de son assureur, mais par l’effet d’une réquisition de la gendarmerie. Le dépôt nécessaire se distingue ainsi du dépôt volontaire prévu aux articles 1921 et 1922 du code civil en ce qu’il naît d’une contrainte extérieure, en l’occurrence l’intervention de l’autorité publique.

Cette qualification emporte des conséquences déterminantes. Les articles 1947 et 1948 du code civil, applicables au dépôt nécessaire par renvoi de l’article 1951, prévoient que le dépositaire peut obtenir le remboursement de ses dépenses de conservation et dispose d’un droit de rétention jusqu’à complet paiement. Ces dispositions supposent toutefois d’identifier correctement le débiteur de cette obligation.

B. L’État comme seul débiteur des frais de conservation

La cour confirme que « la personne qui a fait le dépôt » au sens de l’article 1947 du code civil est celle qui a remis la chose au dépositaire. En l’espèce, cette personne est l’État, représenté par la gendarmerie. C’est donc vers lui que le dépositaire devait se tourner pour obtenir le règlement de ses frais.

L’appelante soutenait que l’autorité publique ne se substitue pas au propriétaire du bien conservé, le dépôt étant réalisé à son unique bénéfice. La cour rejette implicitement cet argument. Le bénéfice indirect que pourrait retirer le propriétaire de la conservation de son bien ne suffit pas à le constituer débiteur des frais de garde. Le rapport d’obligation naît du fait du dépôt lui-même, non de l’utilité éventuelle que le propriétaire pourrait en tirer. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse de faire peser sur le propriétaire d’un véhicule volé puis retrouvé les frais engagés par le garagiste dépositaire.

II. L’absence de fondement contractuel ou translatif de propriété justifiant la mise en cause de l’assureur

La cour écarte successivement les deux fondements invoqués par l’appelante : la subrogation emportant prétendument transfert de propriété (A), et la transformation du dépôt nécessaire en dépôt contractuel (B).

A. Le rejet de la subrogation comme mécanisme translatif de propriété

L’appelante prétendait que l’assureur, ayant indemnisé son assuré, se trouvait subrogé dans ses droits et notamment dans la propriété du véhicule. La cour adopte la motivation du tribunal selon laquelle « la subrogation, qu’elle soit légale ou conventionnelle, n’emporte pas le transfert de propriété d’un bien mobilier distinct de la créance objet de la subrogation ».

Cette affirmation est juridiquement exacte. La subrogation personnelle, qu’elle résulte de l’article L. 121-12 du code des assurances ou des articles 1346 et suivants du code civil, opère un transfert de créance. Elle permet au subrogé d’exercer les droits que le subrogeant détenait contre le débiteur de l’obligation. Elle ne constitue pas un mode d’acquisition de la propriété. Le véhicule demeurait donc la propriété de l’assurée, sauf convention expresse de cession qui n’était pas établie en l’espèce.

L’assureur faisait d’ailleurs valoir qu’il « n’a jamais reconnu être propriétaire du véhicule, ne s’en est jamais prévalu et n’a pas été informé de la situation du véhicule depuis l’origine ». Cette absence de toute manifestation de volonté d’acquérir la propriété rendait impossible la qualification d’un quelconque transfert.

B. L’échec de la démonstration d’une transformation en dépôt contractuel

L’appelante soutenait subsidiairement que le dépôt nécessaire s’était transformé en dépôt contractuel, ce qui aurait permis de rechercher la responsabilité de l’assureur en qualité de propriétaire présumé. La cour confirme que cette preuve n’est pas rapportée. Le tribunal avait retenu que « faute d’apporter la preuve que le remorquage puis le stockage ont été effectués à la demande ou avec l’accord, ou à tout le moins dans l’intérêt de la SA FILIA MAIF, la société SDR ne rapporte pas davantage la preuve qui lui incombe que le dépôt nécessaire s’est transformé en dépôt contractuel ».

Cette exigence probatoire est conforme au droit commun des obligations. La transformation d’un dépôt nécessaire en dépôt volontaire suppose une manifestation de volonté du propriétaire ou de celui qui entend assumer les obligations du déposant. Or l’assureur n’avait jamais été informé de l’existence du dépôt, n’avait formulé aucune demande auprès du dépositaire et n’avait tiré aucun profit de la conservation du véhicule, lequel était entièrement calciné et dépourvu de valeur.

La solution retenue par la cour d’appel de Paris présente une portée pratique significative pour les professionnels du dépannage et du remorquage. Elle rappelle que la réquisition administrative crée un rapport d’obligation entre le dépositaire et l’autorité requérante, non avec le propriétaire du bien ou son assureur. Le dépositaire qui entend obtenir le paiement de ses frais de garde doit donc agir contre l’État, sauf à démontrer l’existence d’un accord ultérieur du propriétaire ou de son assureur pour prendre en charge ces frais.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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