Cour d’appel de Paris, le 2 juillet 2025, n°23/11607

La cession de créances bancaires et le régime du cautionnement en cas de liquidation judiciaire du débiteur principal constituent des questions récurrentes du contentieux commercial. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 2 juillet 2025 en offre une illustration significative, à travers le prisme de la titrisation et de ses effets sur les garants personnels.

Une société par actions simplifiée exploitant un restaurant s’était vu consentir, le 2 avril 2015, un prêt d’un montant de 354 708 euros remboursable sur sept années. Deux personnes physiques, respectivement président de la société et tiers, avaient cautionné cet engagement dans les limites de 26 000 euros et 13 000 euros par actes du 26 juin 2015. La société débitrice a été placée en liquidation judiciaire le 28 septembre 2015. La banque créancière a déclaré ses créances, lesquelles ont été admises le 1er septembre 2016. Après perception de dividendes issus de la procédure collective et clôture pour insuffisance d’actif le 30 janvier 2017, la banque a cédé sa créance à un fonds commun de titrisation le 3 août 2020. Le cessionnaire a assigné les cautions en paiement le 25 janvier 2022.

Le tribunal de commerce de Meaux, par jugement du 28 mars 2023, a condamné les deux cautions à payer les sommes garanties avec intérêts. Ces dernières ont interjeté appel en soulevant plusieurs moyens : le défaut de qualité à agir du fonds, la prescription de l’action, l’absence d’exigibilité des sommes non échues et le caractère injustifié des montants réclamés.

La question posée à la Cour d’appel de Paris était de déterminer si le fonds cessionnaire pouvait valablement poursuivre les cautions en paiement, nonobstant les contestations relatives à la cession de créance et à la prescription quinquennale.

La cour confirme le jugement en ses dispositions principales. Elle retient que le bordereau de cession, comportant les références du numéro de compte et du numéro de prêt, établit suffisamment la qualité de cessionnaire du fonds. Elle juge que la déclaration de créance au passif a interrompu la prescription, dont le nouveau délai n’a recommencé à courir qu’à compter de la clôture de la procédure collective. Elle considère enfin que l’admission de la créance est revêtue de l’autorité de la chose jugée à l’égard des cautions.

Cet arrêt appelle une analyse en deux temps. Il convient d’examiner la régularité de la transmission de la créance au fonds cessionnaire (I), avant d’envisager le régime de l’obligation des cautions à l’égard du nouveau créancier (II).

I. La transmission régulière de la créance au fonds de titrisation

La cour se prononce sur la validité de la cession de créance au regard des exigences du code monétaire et financier (A), puis écarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription (B).

A. La suffisance des mentions du bordereau de cession

Les cautions contestaient la qualité à agir du fonds en soutenant que le bordereau de cession ne permettait pas d’identifier la créance transmise. La cour rejette cette argumentation en relevant que l’annexe de l’acte de cession mentionne « non seulement le nom de la société débitrice principale » mais également « les références du numéro de compte tel qu’il figure sur le contrat d’ouverture et du numéro de prêt tel qu’il figure sur les pièces de la Société Générale antérieures à ladite cession ».

Cette solution s’inscrit dans le cadre des articles L. 214-169 et suivants du code monétaire et financier qui organisent le régime simplifié de la cession de créances aux organismes de titrisation. Le bordereau de cession emporte transfert de plein droit de la créance avec ses accessoires, au nombre desquels figurent les cautionnements. La cour adopte une conception souple de l’identification de la créance cédée, conforme à la finalité du dispositif légal qui vise à faciliter la mobilisation des actifs bancaires.

Cette position rejoint la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui admet que l’identification puisse résulter de références permettant de rattacher la créance aux documents contractuels d’origine. L’exigence d’une description exhaustive dans le bordereau lui-même n’est pas requise dès lors que les mentions permettent un rapprochement certain avec les pièces justificatives.

B. L’interruption de la prescription par la déclaration de créance

Les cautions invoquaient la prescription quinquennale des articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil, en faisant valoir que le premier impayé remontait au 28 juillet 2015. La cour écarte cette fin de non-recevoir en rappelant qu’« il est de jurisprudence constante que le délai de la prescription quinquennale de l’action du créancier à l’égard de la caution est interrompu par la déclaration de créance au passif du débiteur principal en procédure collective et que cet effet se prolonge jusqu’à la clôture de la procédure collective ».

Le raisonnement de la cour repose sur l’effet interruptif de la déclaration de créance, consacré par l’article 2241 du code civil dans sa lecture jurisprudentielle. Cette déclaration, assimilée à une demande en justice, produit un effet interruptif qui bénéficie au créancier dans ses rapports avec la caution. Le nouveau délai de prescription n’a donc recommencé à courir qu’à compter du jugement de clôture pour insuffisance d’actif du 30 janvier 2017.

L’assignation ayant été délivrée le 25 janvier 2022, soit moins de cinq années après cette date, l’action n’était pas prescrite. Cette solution traduit la volonté de ne pas pénaliser le créancier qui a accompli les diligences nécessaires à la conservation de ses droits dans le cadre de la procédure collective.

II. L’étendue de l’obligation des cautions envers le cessionnaire

La cour précise les conditions d’exigibilité de la dette cautionnée (A) et détermine le montant de la condamnation des garants (B).

A. L’exigibilité de la créance garantie

Les cautions soutenaient que le prêt n’ayant pas été résilié avant le prononcé de la liquidation judiciaire, les créances non échues n’étaient pas exigibles à leur encontre. La cour écarte cet argument par un motif lapidaire : « Dès lors que le terme du prêt est désormais entièrement échu depuis le mois de novembre 2021, c’est vainement que les cautions font valoir que les sommes dues pour son exécution ne seraient pas exigibles. »

Cette réponse pragmatique évite de trancher la question délicate de l’effet de la liquidation judiciaire sur l’exigibilité de la dette à l’égard des cautions. La jurisprudence admet généralement que la déchéance du terme prononcée contre le débiteur principal en procédure collective ne s’étend pas automatiquement aux cautions. Toutefois, l’écoulement du temps ayant rendu la totalité de la dette exigible selon le tableau d’amortissement contractuel, le débat devenait sans objet.

La cour relève également que les cautionnements avaient été consentis pour couvrir « l’ensemble des engagements du client », englobant tant le prêt que le solde débiteur du compte courant. Cette rédaction large de l’acte de cautionnement justifiait que les cautions fussent tenues de l’intégralité des dettes de la société, quelle qu’en fût l’origine.

B. La détermination du quantum de la condamnation

Les cautions contestaient le montant des sommes réclamées en faisant valoir que le fonds ne justifiait pas des paiements reçus de la liquidation judiciaire. La cour leur oppose l’autorité de la chose jugée attachée à l’admission de la créance : « L’admission de la créance au passif du débiteur principal est revêtue, quant à sa nature et à son quantum, de l’autorité de la chose jugée à l’égard des cautions, sauf à ces dernières à opposer au créancier des moyens de réduction de la dette qui leur sont propres. »

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence établie qui reconnaît l’opposabilité aux cautions de la décision d’admission. La caution, tiers à la procédure collective, ne peut remettre en cause l’existence ou le montant de la créance admise, mais conserve la faculté d’invoquer des exceptions qui lui sont personnelles.

La cour constate en outre que l’encours de la dette en capital excède les limites des engagements des cautions, même après imputation des dividendes perçus. Elle en déduit que les considérations relatives au défaut d’information des cautions sont « indifférentes à la solution du litige », cette sanction se limitant à la privation des intérêts conventionnels. La condamnation des cautions dans les limites de leurs engagements respectifs est donc confirmée, seul le point de départ des intérêts légaux étant rectifié pour être fixé à la date de la mise en demeure du 11 janvier 2022.

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 2 juillet 2025 confirme la rigueur du régime applicable aux cautions confrontées à la liquidation judiciaire du débiteur principal et à la cession de la créance garantie. Il rappelle l’efficacité des mécanismes de titrisation dans la transmission des créances bancaires et l’opposabilité aux garants des décisions rendues dans le cadre de la procédure collective.

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Hassan KOHEN
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