Cour d’appel de Paris, le 2 juillet 2025, n°23/16513

Un arrêt rendu le 2 juillet 2025 par la Cour d’appel de Paris, pôle 3, chambre 1, offre une illustration topique des limites du pouvoir de rectification des juridictions. Cette décision traite de la distinction entre la rectification d’erreur matérielle d’un jugement et celle d’un acte de procédure émanant d’une partie.

L’affaire trouve son origine dans une succession ouverte en 2002. Un homme décède, laissant six enfants héritiers. Plusieurs d’entre eux occupent des biens immobiliers indivis situés dans l’Essonne. L’une des cohéritières assigne les occupants devant le tribunal judiciaire d’Evry pour obtenir la fixation d’indemnités d’occupation. Le jugement du 6 mars 2023 fait droit à cette demande et statue à l’égard de chacun des occupants. Ce jugement comporte une erreur dans son préambule : le nom de l’un des défendeurs, prénommé Victor, apparaît deux fois, tandis que celui d’un autre défendeur, prénommé Alain, n’y figure pas, alors que le dispositif statue bien à l’égard de ce dernier.

L’une des cohéritières interjette appel de ce jugement le 20 juillet 2023. Sa déclaration d’appel reproduit la même erreur que le jugement. Elle dépose ensuite une requête en rectification d’erreur matérielle, demandant à la Cour de corriger tant le jugement que sa propre déclaration d’appel.

La question posée à la Cour d’appel de Paris est double : une juridiction peut-elle rectifier une erreur matérielle affectant un jugement qui lui est déféré, et dispose-t-elle du même pouvoir concernant une déclaration d’appel établie par une partie ?

La Cour accueille la demande de rectification du jugement. Elle relève que « ce jugement comporte à l’évidence une erreur matérielle dans son préambule, dans la mesure où les nom et adresse de M. [V] sont répétés en page 2, alors que ceux de M. [A] n’y figurent pas, cependant qu’il est statué à l’égard de ce dernier aux termes du dispositif ». En revanche, la Cour déclare irrecevable la demande concernant la déclaration d’appel, énonçant qu’« il résulte de l’article 462 susvisé qu’une juridiction ne peut procéder à la rectification d’une erreur matérielle que de ses décisions ou de celles qui lui sont déférées ».

Cet arrêt illustre l’étendue et les limites du pouvoir de rectification dévolu aux juridictions (I), tout en rappelant le régime distinct applicable aux actes de procédure des parties (II).

I. Le pouvoir de rectification des erreurs matérielles affectant les décisions juridictionnelles

La Cour d’appel de Paris applique l’article 462 du code de procédure civile pour rectifier le jugement (A), manifestant ainsi l’étendue du contrôle exercé par la juridiction d’appel sur les décisions qui lui sont déférées (B).

A. L’application de l’article 462 du code de procédure civile au jugement déféré

L’article 462 du code de procédure civile dispose que « les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ou par celle à laquelle il est déféré ». La Cour rappelle ce texte in extenso avant de l’appliquer au cas d’espèce.

L’erreur affectant le jugement du 6 mars 2023 consiste en une duplication du nom d’un défendeur et en l’omission corrélative du nom d’un autre. La Cour qualifie cette erreur sans ambiguïté : « ce jugement comporte à l’évidence une erreur matérielle ». La mention du terme « à l’évidence » souligne le caractère flagrant de l’erreur, qui résulte d’une simple méprise de plume et non d’une erreur de jugement.

La rectification porte sur le préambule du jugement et non sur son dispositif. Le tribunal avait statué correctement à l’égard de l’ensemble des parties, de sorte que l’autorité de chose jugée n’est pas affectée dans sa substance. La rectification rétablit la cohérence formelle entre le préambule et le dispositif du jugement.

B. L’exercice du pouvoir de rectification par la juridiction d’appel

La Cour d’appel se reconnaît compétente pour procéder à cette rectification en sa qualité de juridiction à laquelle le jugement est déféré. L’article 462 lui confère expressément ce pouvoir, qui n’est pas réservé à la seule juridiction auteur de la décision.

La Cour ordonne « la mention du présent arrêt rectificatif sur la minute et les expéditions du jugement ». Cette mesure assure la publicité de la rectification et garantit que toute personne consultant le jugement disposera d’une version conforme à la réalité procédurale.

Le mécanisme de rectification préserve l’économie du procès. Plutôt que d’annuler le jugement et de renvoyer l’affaire au premier juge, la Cour corrige l’erreur tout en maintenant intacte la décision sur le fond. Cette solution répond à l’exigence de bonne administration de la justice.

II. L’irrecevabilité de la demande de rectification de la déclaration d’appel

La Cour refuse de rectifier la déclaration d’appel en raison de la nature de cet acte (A), réaffirmant ainsi le principe selon lequel les parties sont seules maîtresses de leurs actes de procédure (B).

A. La distinction entre décision juridictionnelle et acte de procédure d’une partie

La Cour d’appel de Paris énonce que « il résulte de l’article 462 susvisé qu’une juridiction ne peut procéder à la rectification d’une erreur matérielle que de ses décisions ou de celles qui lui sont déférées ». Cette formule délimite avec précision le champ d’application du texte.

La déclaration d’appel constitue un acte de procédure émanant d’une partie et non une décision juridictionnelle. Elle n’émane pas d’un juge et ne tranche aucun litige. L’article 462 du code de procédure civile ne lui est donc pas applicable. La distinction est fondamentale : le juge ne saurait se substituer à la partie pour modifier un acte dont cette dernière est seule auteur.

La Cour appuie son raisonnement sur un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 19 novembre 2020. Cette décision précise que « s’agissant d’une déclaration d’appel nulle, erronée ou incomplète, c’est uniquement à l’appelant, seul auteur de celle-ci, qu’il incombe de la régulariser par une nouvelle déclaration d’appel, dans le délai pour conclure ».

B. Les conséquences pratiques de cette irrecevabilité

L’appelante se trouve confrontée à une situation délicate. Sa déclaration d’appel mentionne deux fois le même intimé et omet l’un des défendeurs de première instance. La Cour ne lui offre pas de remède par la voie de la rectification.

La solution rappelée par la Cour impose à l’appelant de régulariser lui-même son acte d’appel. Cette régularisation doit intervenir dans le délai pour conclure, ce qui suppose une réaction rapide dès que l’erreur est découverte. Le défaut de régularisation peut emporter des conséquences sur la recevabilité de l’appel à l’égard de la partie omise.

La décision présente un intérêt pédagogique pour les praticiens. Elle rappelle l’exigence de rigueur dans la rédaction des actes de procédure et l’impossibilité de s’en remettre au juge pour corriger ses propres erreurs. Le principe dispositif trouve ici une application caractéristique : les parties conduisent l’instance et assument la responsabilité de leurs actes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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