Cour d’appel de Paris, le 2 juillet 2025, n°24/07212

La Cour d’appel de Paris, 2 juillet 2025 (pôle 3, chambre 1), statue sur l’appel formé contre un jugement du 3 avril 2024 rendu par le tribunal judiciaire de Paris. Le litige porte sur la désignation d’un mandataire successoral pour administrer provisoirement des biens situés en France.

Le défunt a laissé de nombreux héritiers et un appartement à Paris. Les charges de copropriété ne sont plus acquittées depuis plusieurs années et la propriété de l’appartement est discutée. Selon la juridiction d’appel, « Le non-paiement depuis des années des charges de copropriété afférentes au bien immobilier, qui serait par ailleurs occupé, et qui est la preuve de la carence et de l’inertie des héritiers, non seulement obère la trésorerie du syndicat des copropriétaires mais met en péril les intérêts de la succession par le risque encouru d’une licitation judiciaire au détriment d’une vente amiable plus rémunératrice. »

Saisi selon l’article 1380 du code de procédure civile, le premier juge a nommé un administrateur judiciaire en qualité de mandataire successoral pour deux ans, avec mission limitée aux biens français. L’appelante contestait la nécessité de cette mesure et soutenait l’absence de vacance ainsi que l’absence de complexité. Les intimés sollicitaient la confirmation et, pour l’un d’eux, la mise hors de cause au fond d’un autre héritier.

La question de droit est double. D’abord, les conditions posées par l’article 813-1 du code civil justifient-elles la désignation d’un mandataire successoral en présence d’une mésentente ancienne, d’une carence dans l’administration et d’une situation successorale complexe. Ensuite, le cadre de la procédure accélérée au fond permet-il de statuer sur une demande de mise hors de cause qui touche aux droits substantiels d’un héritier.

La cour répond positivement à la première question et négativement à la seconde. Elle confirme la désignation, retenant l’inertie et la complexité persistante de la succession, et écarte la demande d’éviction au fond pour incompétence du juge saisi. Elle énonce à cet égard que cela « ne relève pas de la compétence du président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond ». Enfin, la cour conclut que « Il y a donc lieu de confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a nommé un mandataire successoral » et que « La demande sera donc déclarée irrecevable ».

I. Les fondements de la désignation d’un mandataire successoral

A. Les critères légaux mobilisés et leur mise en œuvre factuelle

L’article 813-1 du code civil autorise la désignation d’un mandataire successoral en cas d’inertie, de carence, de mésentente ou de complexité de la succession. La cour articule ici ces critères avec des éléments concrets, à savoir l’accumulation de dettes de copropriété, l’occupation non clarifiée du bien et la pluralité d’héritiers en conflit. La phrase selon laquelle « Le non-paiement depuis des années des charges de copropriété […] met en péril les intérêts de la succession » structure la motivation en reliant directement l’inexécution aux risques de réalisation forcée.

La cour relève aussi l’enchevêtrement procédural, nourri par des décisions étrangères et des contestations croisées. Elle y voit la manifestation d’une complexité objective, distincte des prétentions de chaque héritier sur le fond. Cette approche, centrée sur l’administration des biens et la préservation de la masse, épouse la finalité conservatoire du dispositif.

B. L’adaptation de la mesure à la situation et la protection des intérêts en présence

La mission est expressément cantonnée à l’administration des biens situés en France, conformément à l’économie du texte et à l’office du juge saisi en accéléré. Le périmètre retenu est proportionné à l’objectif de sauvegarde, qui privilégie une gestion neutre et diligente au bénéfice de tous, sans trancher les droits substantiels.

L’ordonnance initiale fixait une durée et des pouvoirs d’administration précisément énoncés, tandis que la cour confirme le cadre et l’utilité de l’intervention. L’articulation avec l’action en recouvrement des charges illustre la cohérence du dispositif, afin d’éviter la licitation à vil prix et de favoriser, le cas échéant, une cession amiable mieux-disante.

II. La valeur et la portée de la solution retenue

A. Une motivation pragmatique, respectueuse de la limite de l’office juridictionnel

La cour s’inscrit dans une lecture sobre de l’article 813-1, en privilégiant l’effectivité de l’administration sur la controverse successorale. Elle n’entre pas dans l’attribution des droits ni dans l’examen définitif des titres, qui supposeraient un débat au fond. La neutralité de la mesure limite les effets irréversibles et répond, par une solution de gestion, aux conséquences immédiates de la carence prolongée.

Cette neutralité se retrouve dans le rejet de la demande d’éviction au fond. La cour rappelle que la question « ne relève pas de la compétence du président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond ». La motivation préserve la frontière entre la procédure accélérée, de nature fonctionnelle et conservatoire, et les litiges sur la qualité et l’étendue des droits.

B. Incidences pratiques pour les successions complexes et les créanciers collectifs

La décision conforte la possibilité, pour un syndicat de copropriétaires, de mobiliser l’article 813-1 lorsque des charges structurelles demeurent impayées et que l’inertie compromet l’intérêt collectif. Elle donne un signal de réactivité dans les successions anciennes ou transnationales, en évitant que l’absence de gouvernance ne conduise à des pertes patrimoniales.

Sur le plan procédural, la cour clarifie l’usage de la procédure accélérée au fond. Elle admet un traitement ciblé des difficultés d’administration, tout en renvoyant les débats sur la qualité pour agir et l’exclusion d’un héritier au juge du fond. La portée est nette: sécuriser la gestion courante sans anticiper la solution des droits litigieux. En conséquence, « Il y a donc lieu de confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a nommé un mandataire successoral » et « La demande sera donc déclarée irrecevable », ce qui ordonne utilement les séquences contentieuses.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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