Cour d’appel de Paris, le 2 juillet 2025, n°25/00829

Cour d’appel de Paris, 2 juillet 2025. Saisie d’un déféré contre une ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour tranche la recevabilité de deux déclarations d’appel formées dans un litige prud’homal. Le litige initial oppose un salarié à son employeur, le premier ayant sollicité la requalification d’une prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par jugement, les demandes du salarié ont été rejetées et ce dernier a été condamné au paiement d’une indemnité de préavis et aux dépens.

Le salarié a interjeté appel par une première déclaration électronique, puis a déposé une seconde déclaration visant à rectifier l’identité de l’intimé. L’employeur a soulevé des incidents aux fins d’irrecevabilité, soutenant notamment que l’appel initial était dirigé contre une personne non partie en première instance et que la seconde déclaration était tardive. Le conseiller de la mise en état a rejeté les incidents, ordonné la jonction, et considéré que l’erreur relevait d’un vice de forme régularisable.

Sur déféré, l’employeur a demandé la réformation, soutenant que l’erreur portait non sur la qualité de l’intimé, mais sur son identité, ce qui affecte l’action elle-même. Le salarié a fait valoir l’extension du délai d’appel en raison d’un jour férié, ainsi que la possibilité d’une régularisation par déclaration rectificative dans le délai pour conclure prévu à l’article 908 du code de procédure civile.

La question était double. D’une part, déterminer si un appel dirigé contre une personne qui n’était pas partie en première instance relève de l’irrecevabilité, plutôt que d’une nullité de forme régularisable. D’autre part, apprécier les effets d’une telle irrecevabilité sur les délais, notamment quant à l’éventuelle efficacité d’une seconde déclaration formée dans le délai pour conclure.

La cour répond affirmativement au premier point, jugeant irrecevable l’appel dirigé contre un non‑parti. Elle souligne, au visa de l’article 547 du code de procédure civile, que « en matière contentieuse, l’appel ne peut être dirigé que contre ceux qui ont été parties en première instance ». Elle en déduit, dans la droite ligne d’une jurisprudence constante, que « l’appel autrement dirigé encourt l’irrecevabilité ». Quant au second point, la cour retient que l’irrecevabilité ne produit aucun effet interruptif sur le délai de forclusion, de sorte que la seconde déclaration d’appel, déposée postérieurement au délai d’un mois, est tardive. Elle écarte l’application des solutions relatives à l’erreur de qualité ou à l’erreur de plume, jugées intransposables à une erreur d’identité de l’intimé. La solution, qui infirme l’ordonnance déférée, s’inscrit dans une logique de stricte identité des parties entre les deux degrés de juridiction.

I — L’exigence d’identité des parties en appel

A — Le principe de l’article 547 du code de procédure civile

La décision rappelle avec netteté la portée de l’article 547 du code de procédure civile, lequel restreint l’instance d’appel aux personnes qui étaient parties en première instance et dans la même qualité. La formulation citée par la cour est classique et sans ambiguïté: « en matière contentieuse, l’appel ne peut être dirigé que contre ceux qui ont été parties en première instance ». Elle ajoute immédiatement, dans un considérant de principe, que « l’appel autrement dirigé encourt l’irrecevabilité ». Le raisonnement part ainsi du texte pour consacrer une sanction processuelle qui atteint l’action, et non l’acte, lorsque l’intimé n’est pas identique.

La qualification d’irrecevabilité répond à une logique de cohérence horizontale entre le litige tranché en premier ressort et son contrôle en appel. L’objet du litige ne saurait être transporté devant la juridiction du second degré en y introduisant un nouveau défendeur, sous peine d’altérer la fonction même de l’appel, qui demeure un recours de réformation. En ce sens, l’affirmation de l’irrecevabilité permet de prévenir les dévoiements de la phase d’appel en l’érigeant contre toute substitution d’intimé qui ne correspond pas à une simple rectification formelle.

B — La distinction décisive entre erreur de qualité et erreur d’identité

Pour opérer cette qualification, la cour distingue l’erreur portant sur la qualité de la partie de celle qui touche à l’identité de l’intimé. La première est susceptible de relever d’un vice de forme, apte à régularisation lorsque l’identité de la personne présente aux deux degrés est constante. La seconde, au contraire, modifie le sujet du procès. C’est la raison pour laquelle la cour juge intransposable la jurisprudence de l’assemblée plénière relative à l’erreur manifeste dans la désignation de l’intimé au regard de l’objet du litige, dont la portée se limite à la rectification de qualité. L’arrêt de référence énonce en effet: « Viole les articles 4, 547 et 901 du nouveau Code de procédure civile, ainsi que l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour d’appel qui, pour déclarer un appel irrecevable comme ayant été dirigé contre une personne qui n’était pas partie en première instance, retient que la qualité mentionnée dans la déclaration d’appel ne pouvait résulter d’une erreur due à la rédaction de l’entête du jugement et que les événements procéduraux postérieurs à l’acte d’appel n’avaient pas pu modifier les conditions dans lesquelles l’acte d’appel avait été formé, alors que l’erreur manifeste dans la désignation de l’intimé, au regard de l’objet du litige tel que déterminé par les prétentions des parties devant les juges du fond, n’est pas de nature à entraîner l’irrecevabilité de l’appel ».

La cour d’appel refuse, à bon droit, d’étendre ce tempérament lorsque l’appel est dirigé contre une personne qui n’a pas figuré en première instance. Elle écarte également la référence à une simple erreur de plume, souvent admise lorsqu’il s’agit d’une dénomination approximative ou d’une forme sociale mal libellée. L’espèce ne présentait ni continuité d’identité, ni confusion légitime. Elle relevait d’une désignation erronée d’un intimé juridiquement distinct, ce qui suffit à emporter l’irrecevabilité, sans recherche d’un grief.

II — Les effets procéduraux de l’irrecevabilité et l’impossibilité de régularisation

A — L’absence d’effet interruptif et la tardiveté de la seconde déclaration

Ayant qualifié l’appel dirigé contre un non‑parti d’irrecevable, la cour en tire les conséquences processuelles quant aux délais. L’irrecevabilité, qui touche l’action, ne produit aucun effet interruptif sur la forclusion. La seconde déclaration, déposée au‑delà du délai d’un mois courant à compter de la notification du jugement, ne peut régulariser l’irrégularité initiale et se révèle tardive. La précision selon laquelle « il importe peu qu’aucun grief n’en ait résulté » confirme la nature de la sanction, insusceptible d’être neutralisée par l’absence d’atteinte concrète aux droits de la défense.

La solution neutralise, par ricochet, l’argument tiré du report du délai d’appel en raison d’un jour férié, qui ne profitait qu’à la première déclaration. Surtout, elle refuse de faire jouer, au bénéfice d’une seconde déclaration, la mécanique des délais pour conclure de l’article 908 du code de procédure civile. Le délai de trois mois pour conclure ne saurait devenir un délai subsidiaire pour « recommencer » un acte d’appel irrecevable, car il régit l’instruction du recours valablement introduit, non sa naissance.

B — Portée et appréciation de la solution au regard du droit positif

La décision s’insère dans une ligne jurisprudentielle distinguant strictement nullité de forme de l’irrecevabilité, et confirmant que seule la première se régularise dans le délai de l’article 908. Les décisions admettant une déclaration rectificative pendant ce délai visent des hypothèses où l’acte initial, bien que défectueux, liait valablement l’instance d’appel. À l’inverse, l’irrecevabilité, en raison de l’atteinte portée aux conditions d’existence de l’action, ne laisse prise à aucune régularisation ultérieure, même rapide.

Cette rigueur présente un double intérêt. Elle garantit la stabilité des contours subjectifs du litige et la loyauté de la contradiction, en évitant l’introduction d’un intimé nouveau devant le second degré. Elle assure également la lisibilité des délais, en refusant de confondre délai d’appel et délai pour conclure. L’exigence peut paraître sévère pour l’appelant qui se méprend sur l’identité de son adversaire, mais elle préserve la finalité de l’appel et la sécurité des procédures. Dans cette perspective, la décision commente utilement la portée des précédents relatifs à l’erreur de qualité et à l’erreur de plume, en circonscrivant leurs effets aux seules hypothèses où l’identité des parties demeure constante.

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 2 juillet 2025 rappelle ainsi, avec clarté, que la régularisation n’est pas un instrument de substitution d’intimé. Il confirme la sanction de l’irrecevabilité pour un appel dirigé contre un non‑parti et, par voie de conséquence, la tardiveté d’une seconde déclaration déposée hors délai d’appel. La solution, à la fois fidèle au texte et cohérente avec la logique du recours, s’impose comme un repère de méthode pour la pratique de l’appel.

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