Cour d’appel de Paris, le 20 juin 2025, n°22/04597

L’arrêt rendu le 20 juin 2025 par la Cour d’appel de Paris, pôle 4, chambre 6, s’inscrit dans le contentieux récurrent des ventes d’immeubles en l’état futur d’achèvement et des désordres affectant l’ouvrage après sa livraison. Cette décision offre une illustration des régimes de responsabilité applicables aux différents intervenants à l’acte de construire.

Des acquéreurs ont fait l’acquisition, par acte authentique du 25 février 2014, d’une maison vendue en l’état futur d’achèvement. Le vendeur, également maître de l’ouvrage, avait confié la réalisation des travaux à une société intervenue en qualité d’entreprise générale et de maître d’œuvre. Le bien a été livré le 18 mars 2014. Après la livraison, les acquéreurs ont constaté plusieurs désordres : l’absence de VMC dans le garage, des fissures en façade et l’installation non conforme d’une pompe de relevage. Ils ont obtenu la désignation d’un expert judiciaire qui a déposé son rapport le 8 mars 2017. Par actes du 27 avril 2018, ils ont assigné le vendeur, l’entreprise générale et leurs assureurs respectifs.

Par jugement du 14 décembre 2021, le Tribunal judiciaire de Paris a retenu la responsabilité solidaire du vendeur et de l’entreprise générale pour l’ensemble des désordres et les a condamnés, avec leurs assureurs, à indemniser les acquéreurs. Le vendeur et l’entreprise générale ont interjeté appel.

La question centrale soumise à la cour était de déterminer les conditions dans lesquelles les différents régimes de responsabilité des constructeurs pouvaient être mobilisés, au regard notamment de l’effet purgatoire de la réception et de la distinction entre désordres apparents et cachés.

La Cour d’appel de Paris a partiellement infirmé le jugement. Elle a confirmé la responsabilité du vendeur au titre de la garantie des défauts de conformité apparents pour l’absence de VMC. Elle a toutefois écarté la responsabilité de l’entreprise générale sur ce point, estimant que la réception sans réserve avait purgé ce vice apparent. Pour les fissures, elle a confirmé l’application de la garantie décennale à l’encontre des deux sociétés, les désordres compromettant la solidité de l’ouvrage. Concernant la pompe de relevage, elle a retenu la seule responsabilité du vendeur pour manquement à son obligation de délivrance conforme, rejetant la demande dirigée contre l’entreprise générale.

Cette décision invite à examiner, d’une part, l’articulation des régimes de responsabilité du vendeur d’immeuble à construire et de l’entreprise générale au regard de l’effet purgatoire de la réception (I), et d’autre part, les critères de qualification des désordres au titre de la garantie décennale et leurs conséquences indemnitaires (II).

I. L’effet purgatoire de la réception et la responsabilité des intervenants à la construction

L’arrêt précise utilement les contours de l’effet purgatoire de la réception, tant à l’égard des rapports entre le vendeur et l’acquéreur (A) qu’entre ce dernier et l’entreprise générale (B).

A. Le maintien de la garantie du vendeur d’immeuble à construire malgré la réception

La cour rappelle que « le vendeur d’un immeuble à construire ne peut être déchargé ni avant la réception des travaux, ni avant l’expiration d’un délai d’un mois après la prise de possession par l’acquéreur, des défauts de conformité alors apparents ». Ce régime protecteur, issu de l’article 1642-1 du code civil, distingue la situation de l’acquéreur de celle du maître d’ouvrage lors de la réception.

Le vendeur en l’état futur d’achèvement assume une obligation de résultat quant à la conformité du bien livré aux stipulations contractuelles. En l’espèce, l’annexe du contrat de vente mentionnait un branchement en attente pour machine à laver le linge dans le garage. La cour en déduit logiquement que « eu égard à la destination du garage ainsi déterminée d’un commun accord des parties, il incombait au vendeur de prévoir une VMC pour rendre ce local conforme à sa destination ».

Cette solution illustre l’autonomie du régime de la vente d’immeuble à construire par rapport au droit commun de la réception. L’acquéreur bénéficie d’un délai d’un an pour agir, même pour des défauts apparents dénoncés après le délai d’un mois suivant la prise de possession. La protection ainsi accordée à l’acquéreur profane se justifie par l’asymétrie d’information existant entre lui et le vendeur professionnel.

B. L’extinction de la responsabilité contractuelle de l’entreprise générale par la réception sans réserve

La cour adopte une position différente s’agissant de l’entreprise générale. Elle rappelle que « l’acquéreur d’un immeuble a qualité à agir contre les constructeurs, même pour les dommages nés antérieurement à la vente, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun qui accompagne l’immeuble en tant qu’accessoire ». Cette action, transmise avec l’immeuble, demeure toutefois soumise à l’effet purgatoire de la réception.

Les acquéreurs « ne peuvent se prévaloir à l’encontre de la société [entreprise générale] d’une faute contractuelle résultant de l’erreur commise dans la conception des plans, dès lors que la réception sans réserve des travaux purge l’ouvrage de ses vices apparents ». Cette solution est conforme à une jurisprudence constante. Le caractère apparent s’apprécie en la personne du maître d’ouvrage réceptionnaire, ici le vendeur, professionnel de la construction.

La cour applique le même raisonnement au désordre relatif à la pompe de relevage. Elle relève que « la non-conformité du local dans lequel a été installée la pompe de relevage ne pouvait être ignorée de la société [vendeur], professionnel de la construction, lors des opérations de réception de l’ouvrage ». La qualité de professionnel du maître d’ouvrage rend le désordre apparent par définition, faisant obstacle à toute action contre l’entrepreneur après réception sans réserve.

Cette distinction entre les deux régimes de responsabilité révèle la dualité de protection offerte par le droit de la construction. L’acquéreur conserve un recours contre son vendeur direct, tandis que l’action transmise contre l’entreprise générale se heurte à l’acceptation des travaux par le maître d’ouvrage initial.

II. La qualification décennale des désordres et le régime indemnitaire applicable

L’arrêt offre également une illustration des critères de la garantie décennale (A) et précise le régime indemnitaire applicable aux condamnations prononcées (B).

A. La caractérisation du désordre compromettant la solidité de l’ouvrage

La cour confirme la qualification décennale des fissures affectant les façades. Elle relève qu’« il résultait de l’expertise que certaines fissures fragilisaient la structure même des murs et nécessitaient des agrafes afin que les murs des vides sanitaires continuent de jouer leur rôle de transmetteur des efforts aux fondations ». Le critère retenu est celui de l’atteinte à la solidité, distincte de l’impropriété à destination.

La cour écarte l’argument tiré de la nature des travaux de reprise. Elle énonce que « le fait que les désordres puissent être réparés sans reprendre la structure même de l’immeuble ne suffit pas à établir que les désordres constatés par l’expert ne seraient pas de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ». Cette position mérite approbation. Le critère décennal s’apprécie au regard de la gravité du désordre lui-même et non des moyens techniques de sa réparation.

La cour rappelle également que la garantie décennale est une responsabilité de plein droit. Il n’est pas « nécessaire d’établir l’existence d’une faute imputable à ces sociétés ». Cette solution découle directement de l’article 1792 du code civil qui institue une présomption de responsabilité à l’encontre de tout constructeur.

Concernant le caractère caché des désordres, la cour observe que « la cause des désordres étant des tassements différentiels, il est établi que les fissures ne pouvaient pas être apparentes dans toute leur ampleur ni lors de la réception ni lors de la livraison ». L’évolutivité du phénomène technique exclut par nature l’apparence du désordre, ouvrant la voie à la garantie décennale.

B. L’affirmation du principe de réparation intégrale et ses implications

L’arrêt se distingue par une application rigoureuse du principe de réparation intégrale. La cour rejette la demande de subordonner l’indemnisation à la production de factures acquittées. Elle vise expressément un arrêt récent selon lequel « le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime exclut le contrôle de l’utilisation des fonds alloués à la victime, qui en conserve la libre disposition ».

Cette solution rompt avec une pratique qui consistait parfois à conditionner le versement de l’indemnité à la justification de l’exécution des travaux. La cour aligne ainsi le contentieux de la construction sur le droit commun de la responsabilité civile, où la victime dispose librement des sommes qui lui sont allouées.

La cour rejette également la demande de limitation de la condamnation à 90 % du préjudice au motif qu’un tiers pourrait être partiellement responsable. Elle rappelle que « chacun des responsables d’un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, sans qu’il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il est procédé entre eux ». L’obligation in solidum protège la victime contre l’insolvabilité éventuelle de l’un des coresponsables.

Enfin, la cour admet l’indemnisation des frais d’étude géotechnique exposés à la demande de l’expert. Ces frais constituent un préjudice matériel directement lié au désordre dont les constructeurs ont été déclarés responsables. Cette solution s’inscrit dans une conception extensive du préjudice réparable, englobant l’ensemble des conséquences dommageables du désordre.

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Hassan KOHEN
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