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La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 20 juin 2025, a statué sur une requête en retranchement formée par un assureur à l’encontre d’un arrêt rendu le 8 novembre 2024 dans le cadre d’un litige relatif à des travaux de rénovation immobilière.
Un particulier avait engagé des travaux de rénovation d’un appartement et d’un studio. Plusieurs intervenants avaient participé au chantier : une décoratrice d’intérieur, une entreprise chargée de multiples lots de travaux, des fournisseurs de parquet et un fabricant de parquet. Des désordres ayant affecté les travaux, le maître d’ouvrage avait obtenu une expertise judiciaire puis assigné les différents intervenants ainsi que l’assureur de l’entreprise de travaux. Le tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 5 novembre 2019, avait retenu la responsabilité de l’entreprise de travaux mais écarté la garantie de l’assureur. Un appel avait été interjeté et, par arrêt du 8 novembre 2024, la Cour d’appel de Paris avait infirmé partiellement le jugement, prononçant notamment diverses condamnations in solidum à l’encontre de plusieurs parties, dont l’assureur. Or cet assureur estimait avoir été condamné au titre de désordres pour lesquels sa garantie n’avait jamais été sollicitée.
En première instance, le tribunal avait écarté la garantie de l’assureur. En appel, le maître d’ouvrage avait demandé la condamnation de l’assureur uniquement au titre des désordres du parquet et des travaux d’électricité. Néanmoins, l’arrêt du 8 novembre 2024 avait condamné l’assureur, in solidum avec la décoratrice, à verser une somme au titre des « autres désordres », soit une catégorie de dommages pour laquelle la garantie n’avait pas été requise.
La question posée à la Cour était la suivante : une juridiction peut-elle retrancher de sa décision une condamnation prononcée à l’encontre d’une partie alors que cette condamnation n’avait pas été sollicitée par le demandeur ?
La Cour d’appel de Paris a fait droit à la requête en retranchement. Elle a jugé qu’en condamnant l’assureur au titre des « autres désordres », l’arrêt du 8 novembre 2024 avait statué ultra petita, et a ordonné le retranchement de cette condamnation.
I. Le fondement juridique de la requête en retranchement
A. Le cadre normatif de l’excès de pouvoir juridictionnel
L’article 464 du code de procédure civile dispose que les règles de l’article 463 du même code sont applicables « si le juge s’est prononcé sur des choses non demandées ou s’il a été accordé plus qu’il n’a été demandé ». Ce texte consacre un mécanisme de correction des décisions entachées d’ultra petita, permettant à la juridiction ayant rendu la décision de procéder elle-même à sa rectification.
La Cour rappelle ce fondement textuel en citant intégralement l’article 463, lequel prévoit que la juridiction « peut également compléter son jugement sans porter atteinte à la chose jugée quant aux autres chefs ». Cette référence normative pose le cadre procédural de la requête. Le délai d’un an prévu par le texte court à compter du passage en force de chose jugée ou, en cas de pourvoi, à compter de l’arrêt d’irrecevabilité. La requête, introduite le 21 novembre 2024, soit treize jours après l’arrêt du 8 novembre 2024, respectait manifestement ce délai.
Le retranchement constitue ainsi une voie de recours spécifique, distincte de l’appel ou du pourvoi en cassation, qui permet de corriger une décision sans remettre en cause l’ensemble du litige. Cette procédure traduit le souci d’économie procédurale et évite qu’une partie doive former un pourvoi pour la seule correction d’un excès de pouvoir du juge.
B. La délimitation du principe dispositif
Le principe dispositif, consacré par l’article 5 du code de procédure civile, interdit au juge de se prononcer au-delà de ce qui lui est demandé. L’arrêt commenté illustre parfaitement la sanction de ce principe. La Cour relève qu’« il résulte des termes clairs de ces conclusions que la garantie de la société BPCE IARD n’était pas demandée en cas de fixation au passif de la société TTR 95, en liquidation judiciaire, d’une indemnisation au titre des autres désordres ».
Cette analyse révèle une lecture stricte du périmètre des demandes. Le maître d’ouvrage avait circonscrit sa demande de garantie aux « désordres consécutifs à la mise en œuvre de la chape Efiperl » et aux « travaux d’électricité ». Les « autres désordres » constituaient une catégorie distincte, expressément exclue du champ de la garantie sollicitée. En prononçant une condamnation sur ce chef, la Cour avait excédé sa saisine.
II. La mise en œuvre du retranchement et ses implications procédurales
A. L’identification de l’ultra petita et ses conséquences
La caractérisation de l’ultra petita supposait une comparaison entre le dispositif des conclusions du demandeur et le dispositif de l’arrêt. La Cour procède à cette analyse en deux temps. Elle cite d’abord les conclusions du maître d’ouvrage, qui demandait de « condamner la société BPCE IARD à garantir la société TTR 95 des condamnations mises à sa charge au titre des désordres consécutifs à la mise en œuvre de la chape Efiperl (travaux de reprise du parquet notamment) et aux travaux d’électricité ». Elle constate ensuite que l’arrêt du 8 novembre 2024 avait condamné l’assureur au titre des « autres désordres », catégorie non visée par cette demande.
La conséquence est clairement énoncée : « en condamnant la société BPCE IARD, in solidum avec Mme [W], à verser à M. [N] la somme de 5 674,50 euros au titre des autres désordres, la cour a donc statué ultra petita ». Cette formulation traduit l’automaticité de la sanction une fois l’excès caractérisé. Le retranchement s’impose dès lors que la condamnation excède les limites de la demande.
L’arrêt ne se prononce pas sur le bien-fondé de la condamnation retranchée. Il ne recherche pas si l’assureur aurait pu être tenu sur un autre fondement ou si la garantie aurait pu être mobilisée. La seule question pertinente tenait à l’existence d’une demande en ce sens, et non à la pertinence de la condamnation au fond.
B. Le régime des frais et la portée de la décision
La solution retenue pour les dépens mérite attention. La Cour décide que « les dépens de la présente instance resteront à la charge du Trésor public ». Cette solution, justifiée par le caractère « bien fondé » de la requête, traduit l’idée que l’erreur commise par la juridiction ne doit pas être supportée par les parties. Lorsque le juge excède ses pouvoirs, les frais de la procédure de correction incombent à l’institution judiciaire elle-même.
Cette règle présente une portée pratique significative. Elle garantit que la partie victime de l’ultra petita peut obtenir la correction de l’erreur sans supporter de frais supplémentaires. Elle responsabilise également la juridiction, dont les excès de pouvoir génèrent un coût pour le service public de la justice.
Le dispositif ordonne par ailleurs que « la décision rectificative sera mentionnée en marge de la minute de l’arrêt ». Cette formalité assure la publicité de la correction et permet à tout lecteur de l’arrêt initial de connaître l’existence du retranchement. L’arrêt du 8 novembre 2024 et l’arrêt du 20 juin 2025 forment ainsi un ensemble indissociable, le second venant amputer le premier d’une condamnation irrégulière.
La décision commentée illustre le bon fonctionnement des mécanismes de correction des décisions de justice. Elle rappelle que le juge, même souverain dans l’appréciation des faits et du droit, demeure lié par les termes de sa saisine. Le principe dispositif constitue une garantie fondamentale pour les parties, qui conservent la maîtrise de l’objet du litige.