Cour d’appel de Paris, le 20 juin 2025, n°24/18396

Par un arrêt rendu le 20 juin 2025, la Cour d’appel de Paris confirme une ordonnance de référé-provision prononcée par le tribunal de commerce de Paris. Un exploitant de portails internet réclamait 51.563,07 euros à un annonceur, en exécution d’un bon de commande daté du 21 février 2022. Après une mise en demeure reçue le 8 janvier 2024, l’exploitant a assigné en référé afin d’obtenir une provision correspondant au solde impayé.

Le 9 octobre 2024, le juge des référés a accordé la provision, assortie des intérêts, des frais de recouvrement, et d’une indemnité de procédure. L’appelante soutenait la nullité du contrat pour absence de pouvoir du signataire, contestait l’exigibilité de la créance, et demandait qu’il n’y ait pas lieu à référé-provision. L’intimée sollicitait la confirmation et réclamait des dommages-intérêts pour appel abusif. La question portait sur l’existence d’une contestation sérieuse au regard d’un mandat apparent et d’une ratification ultérieure, au sens de l’article 873 du code de procédure civile. La Cour d’appel de Paris confirme l’ordonnance et rejette la demande indemnitaire, retenant l’absence de contestation sérieuse et une ratification privant d’effet l’exception d’inopposabilité.

I. Le référé-provision face au mandat apparent

A. L’office du juge des référés et la contestation sérieuse
Le texte applicable est rappelé par la cour, qui cite l’article 873, alinéa 2, du code de procédure civile: «dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.» Ce standard concentre le contrôle sur l’évidence de l’obligation, sans préjuger du fond, ni trancher une difficulté probatoire insoluble en référé.

La cour constate la continuité contractuelle et la matérialité de la dette. Des paiements réguliers ont été effectués jusqu’au 31 octobre 2022. Un échéancier signé le 21 février 2024 reconnaissait le montant total réclamé et organisait l’apurement par mensualités. De tels éléments caractérisent une absence de contestation sérieuse, car ils corroborent l’exécution volontaire du contrat et l’aveu d’une dette liquide.

B. Apparence de pouvoir et ratification, sources d’engagement
La contestation portait sur l’absence de pouvoir du signataire du bon de commande. La cour articule sa réponse autour des textes cités dans l’arrêt. D’abord, l’article 1156 du code civil: «L’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.

Lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité.

L’inopposabilité comme la nullité de l’acte ne peuvent plus être invoquées dès lors que le représenté l’a ratifié.» L’arrêt relève que la signature provenait d’un cadre de direction, en charge des fonctions marketing et commerciales, permettant au cocontractant de croire légitimement à l’étendue des pouvoirs.

Ensuite, la cour invoque l’article 1998 du même code: «Le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné.

Il n’est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu’autant qu’il l’a ratifié expressément ou tacitement.» Les paiements partiels, puis l’échéancier de règlement, emportent ratification de l’acte. La combinaison d’une apparence légitime et d’actes non équivoques d’exécution écarte l’inopposabilité, assèche la contestation, et autorise l’allocation d’une provision.

II. Valeur normative et portée pratique de la solution

A. Un rappel ferme du cadre de l’abus d’instance
Saisie d’une demande de dommages-intérêts pour appel abusif, la cour réaffirme une exigence élevée. Elle cite: «L’action en justice, comme l’exercice du droit d’appel, ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d’erreur grossière équipollente au dol ou encore de légèreté blâmable.» En l’espèce, la faiblesse des moyens ne suffit pas à établir la malice ou la mauvaise foi. La sanction pécuniaire est refusée, ce qui préserve le droit d’accès au juge, sans valider pour autant la stratégie procédurale adoptée.

Cette position s’inscrit dans une ligne constante, encadrant strictement la qualification d’abus, afin d’éviter que la menace indemnitaire ne dissuade l’exercice normal des voies de recours. La pédagogie du rappel textuel renforce la sécurité procédurale, tout en décourageant les demandes indemnitaires à visée dissuasive.

B. Enseignements pour la pratique contractuelle et probatoire
La décision éclaire la répartition des risques liée aux pouvoirs de représentation dans les relations d’affaires. La qualité fonctionnelle du signataire, conjuguée au comportement ultérieur, peut fonder une croyance légitime et conduire à une ratification tacite. Les entreprises doivent ainsi organiser la traçabilité des délégations et maîtriser l’usage des titres fonctionnels, qui nourrissent l’apparence aux yeux des tiers.

Sur le terrain probatoire, l’usage d’un échéancier, tout comme des paiements répétés, constitue un indice puissant d’adhésion au contrat. Leur production en référé peut suffire à neutraliser une exception d’inopposabilité, à défaut d’indices contraires sérieux et actuels. L’arrêt conforte, en pratique, le recours au référé-provision lorsqu’un faisceau d’actes positifs atteste l’existence et l’exécution d’un engagement.

En définitive, la solution conforte un équilibre classique: protection du tiers de bonne foi par le mandat apparent, purge des vices de pouvoir par la ratification, et célérité du recouvrement par la voie du référé. Le cadre de l’abus d’instance demeure, parallèlement, strict et résiduel, afin de ne pas entraver le débat judiciaire lorsque des moyens, même faibles, ne franchissent pas le seuil de la malice.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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