Cour d’appel de Paris, le 24 juin 2025, n°21/09876

Par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 24 juin 2025, il a été statué sur les conséquences d’un licenciement pour inaptitude, prononcé après une longue incapacité, ainsi que sur le non-versement d’indemnités de prévoyance. Le litige s’inscrit dans le contexte d’une procédure collective, la juridiction énonçant d’emblée que « en raison de la procédure de liquidation judiciaire, les créances du salarié ne pourront donner lieu, le cas échéant, qu’à une inscription au passif ». Les faits tiennent à l’embauche d’un salarié de la restauration, placé en arrêt, puis déclaré inapte sur son poste, mais apte à un emploi administratif et/ou sédentaire. L’employeur notifie un licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement, tandis que le salarié réclame le versement d’indemnités de prévoyance, un rappel de salaire sur une période déterminée, le reliquat d’indemnité de congés payés, ainsi que des dommages-intérêts pour défaut de reclassement et, initialement, pour absence de proposition d’un dispositif de sécurisation de l’emploi. Saisi après un jugement prud’homal de rejet, l’appel conduit la cour à fixer plusieurs créances au passif, à débouter des demandes liées au préavis et au contrat de sécurisation professionnelle, et à indemniser la violation de l’obligation de reclassement.

La question de droit recouvrait, d’une part, la portée de l’obligation de reversement des prestations de prévoyance et la charge de la preuve de leur paiement, et, d’autre part, le régime de la rupture pour inaptitude non professionnelle, incluant l’exclusion de l’indemnité de préavis, l’inapplicabilité du dispositif de sécurisation de l’emploi et l’intensité du contrôle judiciaire de l’obligation de reclassement. La Cour d’appel de Paris retient que, faute de preuve du paiement des sommes de prévoyance et des accessoires salariaux revendiqués, les créances doivent être fixées conformément aux justificatifs versés. Elle confirme l’exclusion de l’indemnité compensatrice de préavis en cas d’inaptitude non professionnelle et l’absence d’obligation de proposer le dispositif réservé au licenciement économique. Elle sanctionne enfin le défaut de reclassement effectif et motivé, en allouant des dommages-intérêts et en ordonnant le remboursement d’un mois d’allocations, au visa du texte applicable.

I. Le rétablissement des droits nés de l’exécution du contrat

A. L’obligation de reversement des indemnités de prévoyance et la charge probatoire

La cour rappelle d’abord le cadre conventionnel applicable, citant que « en cas d’arrêt de travail consécutif à une maladie ou un accident (…) le salarié bénéficie d’une indemnité journalière de 70 % du salaire brut de référence sous déduction des prestations versées par la Sécurité sociale ». Elle constate que des versements avaient été effectués au début de l’arrêt, puis interrompus, que le salarié a relancé l’employeur avec pièces à l’appui, et que celui-ci n’a ni répondu ni justifié des diligences auprès de l’organisme assureur. La motivation s’adosse à une distribution claire de la preuve, selon laquelle « l’employeur qui a la charge de rapporter la preuve qu’il s’est acquitté de l’obligation de reversement de ces indemnités de prévoyance est défaillant à rapporter la preuve d’un paiement ». L’abstention prolongée de verser les prestations et de répondre aux sollicitations est ainsi qualifiée de faute génératrice d’un préjudice financier. La juridiction en déduit que « la créance (…) sera fixée au passif (…) à la somme exacte et non utilement contestée » réclamée, en retenant un calcul corrélé aux attestations d’indemnités journalières et aux bulletins de paie.

La portée de cette solution dépasse l’espèce. Le mécanisme conventionnel de prévoyance implique un rôle actif de l’employeur dans la mise en paiement des compléments, qui ne saurait être neutralisé par l’inertie du gestionnaire ou l’absence de démarches directes du salarié. Le juge centre l’office probatoire sur la réalité des reversements opérés, sans présumer de la régularité des traitements internes. La décision offre un signal de sécurité juridique en contexte collectif: la liquidation influe sur les modalités d’exécution des condamnations, non sur l’existence des créances, « qui (…) ne pourront donner lieu (…) qu’à une inscription au passif ». Elle rappelle enfin l’utilité contentieuse des référés antérieurs, dont l’inexécution nourrit la démonstration du défaut de paiement.

B. Les accessoires salariaux: rappel de salaire circonscrit et solde de congés payés

Sur le rappel de salaire d’une période délimitée, la cour relève que les pièces de virement global ne couvrent pas le segment visé et que « il incombe à l’employeur de rapporter la preuve du paiement du salaire ». La fixation au passif intervient pour le seul solde non réglé, après déduction des sommes reconnues. Concernant les congés payés résiduels, l’employeur admettait un solde de jours, mais ne justifiait pas des paiements allégués par de simples mentions sur bulletins. Il est donc jugé qu’« il appartient à ce dernier de rapporter la preuve du paiement effectué à ce titre », défaut qui conduit, là encore, à la fixation de la créance.

La solution s’inscrit dans une ligne de rigueur probatoire, cohérente avec la logique protectrice du droit du travail. Le juge écarte les écritures et récapitulatifs non corroborés par des preuves de paiement, privilégiant les pièces bancaires et les bulletins concordants. Elle incite les employeurs à une traçabilité financière serrée, spécialement dans les périodes de rupture ou de procédure collective, sous peine de voir les créances salariales fixées sur la seule foi des justificatifs du salarié.

II. Le contrôle de la rupture pour inaptitude et l’exigence de reclassement

A. L’exclusion du préavis et l’inapplicabilité du dispositif de sécurisation de l’emploi

La cour énonce, avec clarté, la règle spécifique au licenciement pour inaptitude non professionnelle: « il résulte de l’article L. 1226-4 du code du travail, que le salarié n’est pas fondé à solliciter une indemnité compensatrice de préavis ». Peu importe, au demeurant, les mentions erronées ou ambiguës figurant sur les documents de fin de contrat. De même, au sujet du dispositif de sécurisation de l’emploi, la motivation précise que « il résulte de l’article L. 1233-66 du code du travail que l’employeur n’est tenu de proposer le bénéfice du [dispositif] qu’au salarié dont le licenciement est envisagé pour motif économique ». La demande à ce titre est donc rejetée, en adéquation avec la nature du motif de rupture.

Cette partie de l’arrêt consolide deux évidences du droit positif. D’une part, le régime d’inaptitude non professionnelle s’écarte du droit commun du préavis, ce qui exclut toute indemnité compensatrice. D’autre part, l’offre du dispositif de sécurisation reste indissolublement liée au motif économique. La leçon pratique est connue: la cohérence des mentions contractuelles et l’alignement des documents de fin de contrat avec le motif réel sont indispensables, sans toutefois pouvoir modifier la qualification juridique de la rupture.

B. Le manquement à l’obligation de reclassement: exigence de réalité, preuve et sanction

La cour décrit la condition de régularité du licenciement pour inaptitude en citant que « l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi (…) en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail ». Or, il est reproché à l’employeur de n’avoir proposé aucun emploi ni établi l’impossibilité, ni même « justifié de la nature des emplois disponibles », par des pièces objectives telles que le registre du personnel. La motivation écarte l’argument tiré de l’activité de restauration, observant que « la circonstance selon laquelle [l’entreprise] avait une activité de restauration ne permet pas d’exclure, de ce seul fait, l’absence de poste administratif et/ou sédentaire ». La conclusion tombe: « partant, l’employeur a manqué à son obligation de reclassement ».

La sanction suit. La cour fixe des dommages-intérêts en tenant compte de l’ancienneté, de l’âge, des revenus et des conséquences du licenciement. Elle complète par une mesure financière au profit de l’organisme d’indemnisation, en ce que « conformément aux dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail », est ordonné le remboursement d’un mois d’allocations. La construction est classique: faute de reclassement loyal, concret et documenté, la rupture est fautive et ouvre droit à réparation calibrée, ainsi qu’à la sanction économique attachée.

La décision accentue, en pratique, les exigences probatoires qui pèsent sur l’employeur. L’énoncé des motifs s’opposant au reclassement doit être écrit, circonstancié, et précédé d’une recherche effective, interne et, le cas échéant, externe dans le groupe ou les entités liées. La documentation des postes disponibles devient la clef du litige. L’arrêt confirme une tendance au contrôle serré de la réalité des démarches, y compris dans les structures modestes ou spécialisées, où des fonctions administratives peuvent exister à temps partiel ou sous des formes adaptées. L’équilibre normatif ressort net: absence d’indemnité de préavis et d’offre du dispositif économique, mais réparation pleine de la carence dans le reclassement, afin de préserver la cohérence du régime de l’inaptitude non professionnelle sans affaiblir la protection du salarié inapte.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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