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La question de la contestation des honoraires d’avocat après leur paiement constitue un sujet récurrent devant le juge de l’honoraire. Elle met en tension la liberté contractuelle et le pouvoir de modération reconnu au magistrat. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 24 juin 2025 illustre avec précision les contours de cette problématique.
Une cliente avait confié trois missions distinctes à un cabinet d’avocats entre octobre et décembre 2022. Ces missions portaient sur le règlement d’une succession, l’analyse d’un modificatif de copropriété et la gestion d’un litige relatif à un bail commercial. Trois conventions d’honoraires au temps passé furent signées, prévoyant un taux horaire de 480 euros hors taxes pour l’avocat associé et de 280 euros pour les collaborateurs. La cliente régla l’intégralité des factures émises, représentant un total de 57 170 euros hors taxes.
Contestant ultérieurement le montant des honoraires versés, la cliente saisit le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris. Par décision du 3 juin 2024, celui-ci fixa les honoraires à 53 930 euros hors taxes et condamna le cabinet à rembourser un trop-perçu de 3 240 euros. La cliente forma un recours devant le Premier président de la cour d’appel, sollicitant la fixation des honoraires à 10 040 euros hors taxes et le remboursement de 56 556 euros toutes taxes comprises. Le cabinet forma un recours incident, demandant la confirmation du paiement intégral des sommes facturées.
La question posée à la cour était double. D’une part, le juge de l’honoraire peut-il réduire des honoraires intégralement réglés après service rendu sur la base de factures détaillées. D’autre part, comment apprécier le caractère suffisant du détail des diligences lorsqu’une facture porte sur plusieurs dossiers sans distinction.
La Cour d’appel de Paris retient que le juge de l’honoraire ne peut réduire des honoraires acceptés après service rendu lorsque les factures détaillent les diligences accomplies conformément aux exigences légales. Elle précise toutefois que ce principe ne s’applique qu’aux factures suffisamment détaillées permettant de rattacher chaque diligence à un dossier précis. Elle fixe les honoraires à 48 650 euros hors taxes et condamne le cabinet à rembourser 8 520 euros hors taxes majorés de la taxe sur la valeur ajoutée.
Cette décision invite à examiner successivement la limite posée au pouvoir de modération du juge de l’honoraire en présence d’un paiement après service rendu (I), puis les exigences de transparence conditionnant l’opposabilité des factures au client (II).
I. L’irrecevabilité de la contestation des honoraires réglés après service rendu
La cour rappelle le principe selon lequel le paiement volontaire d’honoraires facturés après l’accomplissement des prestations emporte acceptation définitive (A). Elle précise cependant les conditions strictes auxquelles cette fin de non-recevoir est subordonnée (B).
A. Le paiement après service rendu comme mode d’acceptation des honoraires
La Cour d’appel de Paris affirme que « si le juge de l’honoraire apprécie souverainement, d’après les conventions des parties et les circonstances de la cause, le montant de l’honoraire dû à l’avocat, il ne lui appartient pas de le réduire dès lors que le principe et le montant de l’honoraire ont été acceptés par le client après service rendu ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation en matière de taxation d’honoraires.
Le fondement de cette règle réside dans le caractère contractuel de la relation entre l’avocat et son client. Lorsque ce dernier règle une facture après avoir bénéficié des prestations correspondantes, il manifeste son accord sur le quantum des honoraires réclamés. Cette acceptation tacite produit les effets d’une convention qui s’impose aux parties.
La cour applique ce principe à la première convention du 18 octobre 2022. Elle constate que trois factures détaillées furent émises et intégralement réglées pour un total de 27 850 euros hors taxes. Elle en déduit que « la somme de 27 850 euros HT réglée par Madame [H] ne peut plus être contestée ». Le paiement échelonné sur plusieurs mois n’affecte pas la qualification d’acceptation après service rendu.
B. Les conditions de l’opposabilité du paiement au client contestataire
L’irrecevabilité de la contestation suppose toutefois la réunion de conditions précises. La cour exige que « les règlements sont intervenus librement sur la production d’une facture conforme à l’article L 441-3 du code de commerce détaillant les diligences effectuées et le temps consacré à chacune de ces diligences ». Trois éléments cumulatifs sont ainsi requis.
Le paiement doit d’abord être intervenu librement, sans contrainte ni erreur viciant le consentement du client. Il doit ensuite avoir été effectué sur présentation d’une facture régulière au sens du droit commercial. La facture doit enfin détailler les diligences accomplies et le temps qui leur fut consacré. Cette dernière exigence permet au client de vérifier la réalité et la consistance des prestations facturées avant de procéder au règlement.
La cour vérifie ces conditions pour chaque convention. Elle relève que les trois factures relatives à la première mission « remplissent ces conditions, en ce qu’elles détaillent les diligences accomplies, les taux horaire appliqués et le temps qui leur a été consacré ». L’acceptation est alors cristallisée et le juge de l’honoraire perd son pouvoir de modération sur ces sommes.
II. L’exigence de transparence dans la facturation des diligences
La cour reconnaît néanmoins son pouvoir d’appréciation lorsque les factures ne permettent pas d’individualiser les prestations par dossier (A). Elle procède alors à une évaluation souveraine des honoraires dus au regard des pièces produites (B).
A. L’insuffisance de la facturation globale portant sur plusieurs dossiers
La deuxième et la troisième convention posent une difficulté particulière. Une facture unique du 26 avril 2023 mentionne des diligences pour 4 680 euros hors taxes portant sur deux locaux distincts relevant de conventions différentes. La cour observe que « cette facture ne distingue pas la part des diligences accomplies respectivement au titre de chacun des locaux ».
Cette absence de ventilation empêche le client de contrôler la réalité des prestations facturées pour chaque mission. Elle fait obstacle à l’application du principe d’irrecevabilité. La cour en tire la conséquence qu’il lui « convient en conséquence de retenir la somme proposée par Madame [H] à hauteur de 2 560 euros HT, dès lors que les diligences ne sont pas détaillées par la Selarl ». Le défaut de précision se retourne contre l’avocat qui supporte la charge de justifier ses honoraires.
Cette solution s’inscrit dans la logique de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971. Ce texte impose à l’avocat d’informer son client des modalités de détermination des honoraires. L’obligation de transparence perdure tout au long de la relation contractuelle et trouve son prolongement dans la facturation des prestations.
B. L’exercice du pouvoir souverain d’appréciation du juge de l’honoraire
Pour la troisième convention, la cour exerce pleinement son pouvoir de modération. Elle constate que « bien que la Selarl [M] [P] détaille ses diligences dans les factures […] force est de constater que les pièces produites ne permettent pas au juge de l’honoraire d’apprécier la difficulté de l’affaire et la réalité des diligences alléguées qui sont comptabilisées pour la somme totale de 56 heures ».
La cour procède alors à sa propre évaluation. Elle retient « recherches et suivi juridique pendant 10 heures, échanges de mails et entretiens téléphoniques pendant 10 heures, rédaction de consultation pendant 8 h50, lecture du rapport d’expertise pendant 2h40, analyse des pièces transmises, de l’avenant au bail, du congé pendant 6h30 ». Le temps total est ramené à 38 heures contre 56 heures facturées.
Cette réduction de près d’un tiers du temps facturé illustre l’étendue du contrôle exercé par le juge de l’honoraire. Celui-ci apprécie souverainement la réalité des diligences au regard des pièces communiquées. L’avocat qui ne justifie pas suffisamment de la consistance de son travail s’expose à une réfaction significative de ses honoraires. La cour fixe ainsi les honoraires de ce dossier à 18 240 euros hors taxes au lieu des 22 120 euros réclamés.