- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
L’attribution préférentielle constitue un mécanisme essentiel du droit des successions, permettant à un héritier de se voir attribuer certains biens de la masse successorale en contrepartie d’une soulte. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 25 juin 2025, a eu l’occasion de préciser les conditions d’application de ce droit au regard de l’exigence de résidence effective posée par l’article 831-2 du code civil.
En l’espèce, à la suite du décès d’un homme survenu en 1993, puis de celui de son épouse dont il était séparé de corps en 1998, et enfin de celui de leur fils en 2011, deux héritiers se sont trouvés coïndivisaires de trois parcelles de terre situées dans le Morbihan. L’une des héritières, fille des deux premiers défunts, avait entrepris des travaux de réhabilitation d’une construction existante sur l’une des parcelles et y avait fixé sa résidence principale depuis 1994. L’autre héritier, demi-frère issu d’une autre relation, saisit le tribunal judiciaire de Paris d’une demande d’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage des trois successions ainsi que d’une demande de licitation des deux parcelles indivises.
Par jugement du 24 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Paris ordonna la licitation des deux lots indivis, fixant les montants des mises à prix respectives. La soeur interjeta appel de cette décision. Après qu’une expertise eut été ordonnée par arrêt avant dire droit du 23 mars 2022, le rapport fut déposé le 7 mars 2023. Devant la cour d’appel, l’appelante formula pour la première fois une demande d’attribution préférentielle des deux parcelles sur le fondement de l’article 831-2 du code civil, faisant valoir qu’elle occupait les lieux depuis 1994 et y avait établi sa résidence principale.
La question posée à la cour était de savoir si un héritier peut bénéficier de l’attribution préférentielle d’un bien immobilier sur le fondement de l’article 831-2 du code civil lorsqu’il n’y résidait pas à l’époque du décès de l’un des de cujus mais y avait établi sa résidence à la date du décès d’un autre défunt dont la succession est également en cause, et si cette attribution peut s’étendre à une parcelle contiguë non habitée.
La Cour d’appel de Paris infirme partiellement le jugement entrepris. Elle accueille la demande d’attribution préférentielle pour la parcelle sur laquelle est édifiée la maison d’habitation, considérant que les conditions de l’article 831-2 du code civil sont remplies au regard des successions de la mère et du frère. Elle rejette en revanche la demande concernant la parcelle contiguë non bâtie, estimant que la condition d’habitation n’est pas satisfaite pour ce bien.
L’intérêt de cette décision réside dans l’articulation qu’elle opère entre les conditions d’ouverture du droit à l’attribution préférentielle et la pluralité des successions en cause (I), ainsi que dans la délimitation du périmètre du bien attribuable au regard de l’exigence d’habitation effective (II).
I. La recevabilité de l’attribution préférentielle dans le cadre de successions multiples
La cour examine successivement la recevabilité procédurale de la demande nouvelle en appel (A) avant d’apprécier la condition de résidence au regard de la chronologie des décès (B).
A. L’admission de la demande nouvelle fondée sur la spécificité du contentieux successoral
La cour rappelle un principe bien établi du contentieux du partage : « en matière de partage, les parties étant respectivement demanderesses et défenderesses à la reconstitution de l’actif successoral, toute demande constitue une défense à une demande adverse ». Cette règle, dérogatoire au droit commun de la procédure civile, permet de contourner l’interdiction des demandes nouvelles en appel posée par l’article 564 du code de procédure civile.
Le tribunal avait relevé que l’héritière « évoque une future demande d’attribution préférentielle, sans toutefois la formuler ». La cour admet néanmoins cette demande formulée pour la première fois en appel. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante reconnaissant la nature particulière de l’instance en partage. Chaque prétention relative à la composition des lots ou à la dévolution des biens participe de la défense aux prétentions adverses sur ces mêmes biens.
B. L’appréciation distributive de la condition de résidence selon les successions
L’article 831-2 du code civil subordonne l’attribution préférentielle à la condition que le demandeur ait eu sa résidence dans le local « à l’époque du décès ». La cour procède à une analyse distributive de cette condition au regard des trois successions en cause.
S’agissant de la succession du père décédé en 1993, la cour constate que l’héritière « n’habitait pas dans la maison édifiée sur la parcelle ». La condition de résidence n’est donc pas remplie pour cette succession. En revanche, « à la date du décès de [la mère] elle y avait établi sa résidence principale et a continué à y habiter jusqu’à ce jour ». La cour en déduit que l’héritière « répond donc aux conditions prévues par l’article 831-2 du code civil pour se voir attribuer à titre préférentiel le bien indivis composant la parcelle AB [Cadastre 7] dans le cadre de la succession de sa mère et de son frère ».
Cette analyse révèle la complexité de l’appréciation des conditions de l’attribution préférentielle lorsque plusieurs successions sont confondues dans une même indivision.
II. La délimitation stricte du périmètre du bien attribuable
La cour distingue nettement le sort des deux parcelles, accueillant l’attribution pour le bien habité (A) tout en refusant son extension à la parcelle contiguë (B).
A. L’attribution du bien servant effectivement à l’habitation
Pour la parcelle supportant la construction habitée, la cour fait droit à la demande d’attribution préférentielle. Elle relève que l’expertise a établi que les deux parcelles « sont détachables » et qu’« aucun élément ne venant contredire les constatations de l’expert, elles seront donc tenues pour exactes ». Le caractère détachable des parcelles permet d’envisager une attribution préférentielle limitée à la seule parcelle habitée.
La cour précise cependant qu’« il est prématuré de fixer le montant de la soulte dont elle pourrait être redevable alors que les opérations de comptes liquidation partage n’ont pas encore démarré ». Cette solution respecte la chronologie logique des opérations de partage : l’attribution préférentielle ne constitue qu’une modalité de répartition des biens qui ne peut être définitivement chiffrée qu’à l’issue de la liquidation complète.
B. Le refus d’extension aux biens contigus non habités
S’agissant de la parcelle contiguë, la cour adopte une interprétation stricte de l’exigence d’habitation. Elle relève que ce terrain « est un terrain non bâti comprenant une grande pièce d’eau qui en occupe la majorité de la superficie ». Elle en déduit que « ce bien indivis étant, comme il a été vu, détachable de la parcelle AB [Cadastre 7], il ne peut être considéré que l’habitation par [l’appelante] du bien indivis se rapportant à la parcelle AB [Cadastre 7] s’étend à la parcelle AB [Cadastre 11] ».
Cette solution exclut toute conception extensive du local d’habitation qui engloberait les dépendances ou terrains d’agrément adjacents. La condition d’habitation effective posée par l’article 831-2, 1° du code civil doit s’apprécier parcelle par parcelle lorsque les biens sont juridiquement et matériellement détachables.
La cour refuse néanmoins d’ordonner immédiatement la licitation de cette parcelle, rappelant que « le partage en nature étant à privilégier, cette parcelle AB [Cadastre 11] peut entrer dans la composition d’un lot ». Cette solution préserve les droits de l’héritière déboutée de sa demande d’attribution préférentielle, qui pourra éventuellement se voir attribuer ce bien dans le cadre du partage amiable à intervenir devant le notaire.