Cour d’appel de Paris, le 25 juin 2025, n°21/05712

La Cour d’appel de Paris, Pôle 4 – Chambre 2, 25 juin 2025, statue sur la prescription quinquennale d’une action en responsabilité délictuelle née de désordres causés à un immeuble voisin par un chantier. Une société de construction a obtenu en 2011 une expertise sur le fondement de l’article 145. L’expert a adressé plusieurs notes en 2012 et 2013 décrivant fissures, infiltrations et détériorations. Un rapport a été déposé en 2018. Les copropriétaires et leur syndicat ont assigné en 2019 pour indemnisation. Le tribunal judiciaire de Créteil, le 22 février 2021, a déclaré l’action irrecevable comme prescrite. Les appelants invoquaient l’impossibilité de quantifier le préjudice avant le rapport, ainsi que les discussions amiables. L’intimée soutenait que le dommage était connu depuis 2012-2013, de sorte que le délai avait expiré avant l’assignation.

La question posée concernait le point de départ du délai de l’article 2224 du code civil en présence d’un dommage évolutif et d’une expertise préventive: faut-il retenir la connaissance du fait dommageable ou l’évaluation de l’étendue du préjudice, voire un refus d’indemniser. La Cour confirme que seul compte le jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits générateurs. Elle écarte la thèse du report au dépôt du rapport, juge inopérantes les démarches amiables, et confirme la prescription acquise. L’arrêt énonce ainsi: «Contrairement à ce que soutiennent le syndicat et les copropriétaires, il résulte de ces dispositions que le point de départ du délai de prescription est non pas le jour où le titulaire d’un droit a eu ou aurait dû avoir connaissance de l’étendue de ses droits, mais le jour où il a connu où aurait dû connaître le fait, en l’espèce dommageable, ayant généré à son profit des droits, en l’espèce un droit à réparation ou indemnisation.» Elle ajoute: «Ils sont par conséquent mal fondés à soutenir que le jour du dépôt du rapport d’expertise […] constitue le point de départ du délai de prescription.» Et précise encore: «Il est indifférent que le chiffrage des préjudices ait été proposé par l’expert dans son rapport final[.]» Enfin, s’agissant des pourparlers: «Il est également indifférent que les appelants aient présenté des demandes de règlement amiable […], celles-ci n’ayant pas d’effet interruptif ou suspensif de prescription.»

I. Le sens de l’arrêt: la primauté de la connaissance du fait dommageable
A. La détermination du point de départ du délai
La Cour adopte une lecture classique de l’article 2224, centrée sur l’événement dommageable et la connaissance raisonnable par la victime. Elle retient comme déclencheur la manifestation des désordres révélés par les notes d’expertise. L’arrêt réaffirme que la connaissance du quantum ne diffère pas la prescription. La formule est explicite: «Contrairement à ce que soutiennent le syndicat et les copropriétaires […] le point de départ […] est […] le jour où [le titulaire] a connu […] le fait […] dommageable[.]» Le rappel du texte légal ne suffit pas; la Cour l’articule à l’espèce avec sobriété et constance.

B. L’application aux désordres de voisinage et à l’expertise préventive
Les constatations techniques de 2012 et 2013 suffisaient à faire courir le délai, indépendamment du dépôt ultérieur du rapport. La Cour refuse d’ériger l’achèvement de l’expertise en préalable procédural. Elle précise, d’une manière cohérente, que «le chiffrage des préjudices» par l’expert ne retarde pas la prescription. Les tentatives amiables de 2018 ne suspendent ni n’interrompent le délai. L’affirmation selon laquelle «les demandes de règlement amiable […] n’ayant pas d’effet interruptif ou suspensif» ferme toute brèche fondée sur l’idée d’un gel conventionnel non formalisé.

II. La valeur de la solution: conformité, limites et enseignements
A. Conformité au droit positif et cohérence du raisonnement
La solution s’accorde avec la finalité de l’article 2224, qui vise la sécurité des relations et la diligence procédurale. Elle prévient les reports artificiels fondés sur l’évaluation tardive du préjudice. Le raisonnement distingue nettement connaissance du fait et détermination du montant, sans confondre imputabilité et évaluation. La Cour adopte une approche pragmatique: la réception des notes aux parties rendait le dommage suffisamment certain pour agir. L’arrêt se tient ainsi au plus près de l’économie du texte, sans céder aux aléas de la mesure in futurum.

B. Portée pratique et zones d’attention pour les victimes
L’enseignement principal commande d’anticiper les actes interruptifs dès les premières manifestations techniques. Les victimes doivent préserver la preuve, mais surtout interrompre la prescription, y compris pendant l’expertise. L’arrêt rappelle utilement que les pourparlers n’ont aucun effet sur le cours du délai. Il incite à envisager des assignations conservatoires, ou des interventions volontaires, lorsque l’expertise révèle un dommage actuel. Restent des marges étroites pour l’argument d’aggravation autonome; il suppose des désordres nouveaux, distincts et révélés tardivement. À défaut d’éléments de nouveauté, la prescription se rattache au dommage initial, comme retenu ici.

«Ils sont par conséquent mal fondés à soutenir que le jour du dépôt du rapport d’expertise […] constitue le point de départ du délai de prescription.» La Cour d’appel de Paris consolide ainsi une ligne claire: la prescription court dès la révélation suffisante du dommage, la quantification pouvant suivre sans différer l’action. «Par conséquent, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a déclaré l’action […] irrecevable comme étant prescrite.»

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Hassan KOHEN
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