Cour d’appel de Paris, le 25 juin 2025, n°22/05755

En matière de contentieux prud’homal, la question de la recevabilité des demandes additionnelles et celle de la preuve des heures supplémentaires constituent deux terrains d’affrontement fréquents entre salariés et employeurs. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, pôle 6, chambre 3, le 25 juin 2025, en offre une illustration significative.

Un salarié avait été engagé le 20 avril 2018 en qualité d’agent de sécurité confirmé par une société de sécurité. Il a démissionné par lettre du 31 décembre 2020, après une ancienneté de deux ans et huit mois. Par requête du 22 avril 2021, il a saisi le Conseil de prud’hommes de Paris aux fins d’obtenir un rappel de salaire pour heures supplémentaires et des dommages et intérêts pour non-respect de la durée du travail. Le 23 juillet 2021, il a formulé des demandes additionnelles portant sur la requalification de sa démission en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que sur diverses indemnités de rupture et une indemnité pour travail dissimulé.

Par jugement du 28 mars 2022, le Conseil de prud’hommes a accueilli la fin de non-recevoir opposée par l’employeur concernant les demandes relatives à la rupture, condamné la société au paiement des heures supplémentaires et des congés payés afférents, alloué une somme au titre de l’exécution déloyale du contrat et débouté le salarié du surplus de ses demandes. Le salarié a interjeté appel principal ; l’employeur a formé appel incident.

Devant la cour, le salarié soutenait que ses demandes additionnelles étaient recevables en raison du lien existant entre la contestation de la rupture et l’exécution déloyale du contrat. Il demandait confirmation de la condamnation au titre des heures supplémentaires et infirmation du quantum des dommages et intérêts pour exécution déloyale. L’employeur concluait à l’irrecevabilité des demandes relatives à la rupture, contestait devoir des heures supplémentaires et sollicitait l’infirmation de la condamnation pour exécution déloyale.

La Cour d’appel de Paris devait déterminer si les demandes additionnelles portant sur la rupture du contrat présentaient un lien suffisant avec les demandes initiales relatives à l’exécution, si les heures supplémentaires réclamées étaient établies, et si le salarié démontrait un préjudice résultant de l’exécution déloyale alléguée.

La cour a confirmé l’irrecevabilité des demandes relatives à la rupture, confirmé la condamnation au titre des heures supplémentaires et infirmé le jugement en déboutant le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale, faute de caractérisation du préjudice.

L’arrêt invite à examiner successivement l’encadrement procédural des demandes additionnelles en matière prud’homale (I), puis le régime probatoire applicable aux heures supplémentaires et à l’exécution déloyale (II).

I. L’encadrement procédural des demandes additionnelles en matière prud’homale

La cour rappelle l’exigence d’un lien suffisant entre demandes initiales et demandes additionnelles (A), avant d’en tirer les conséquences sur la recevabilité des prétentions relatives à la rupture (B).

A. L’exigence d’un lien suffisant entre demandes initiales et demandes additionnelles

L’article 70 du code de procédure civile dispose que « les demandes additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ». Cette règle, d’application générale, gouverne l’ensemble des contentieux et trouve en matière prud’homale une résonance particulière compte tenu de la procédure orale et de l’évolution fréquente des demandes en cours d’instance.

La cour a relevé que le salarié avait saisi le conseil par une requête du 22 avril 2021 « dans laquelle il demandait un rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées non rémunérées et des dommages et intérêts pour non-respect de la durée du travail ». Ce n’est que le 23 juillet 2021 qu’il a formulé des demandes portant sur « les indemnités liées à la rupture du contrat de travail et des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ».

La distinction opérée par la cour entre l’exécution et la rupture du contrat revêt une portée méthodologique. Les demandes initiales concernaient exclusivement la phase d’exécution, à savoir le temps de travail et sa rémunération. Les demandes additionnelles portaient sur la qualification et les conséquences de la rupture. Malgré l’argument du salarié selon lequel la contestation de la rupture découlait de l’exécution déloyale, la cour a estimé qu’il n’existait pas de « lien suffisant » entre ces deux catégories de prétentions.

B. L’absence de lien suffisant entre demandes d’exécution et demandes de rupture

La cour a retenu « que les demandes additionnelles de M. [C] portant sur la rupture du contrat de travail n’ont pas de lien suffisant avec les demandes initiales qui ne portait que sur l’exécution du contrat et notamment sur la durée du travail ». Cette formulation traduit une conception stricte du lien suffisant qui mérite discussion.

Le salarié faisait valoir que l’exécution déloyale justifiait la requalification de sa démission en prise d’acte. Cette argumentation reposait sur l’idée d’une continuité logique : les manquements de l’employeur dans l’exécution auraient provoqué la rupture. La cour n’a pas suivi ce raisonnement, consacrant une autonomie procédurale entre les demandes d’exécution et les demandes de rupture.

Cette solution peut se justifier par la spécificité de chaque catégorie de demandes. Les demandes relatives aux heures supplémentaires supposent un examen du temps de travail effectif et de sa rémunération. Les demandes relatives à la rupture impliquent une analyse de la volonté du salarié au moment de la démission et des manquements suffisamment graves pour justifier une requalification. Les faits générateurs, les régimes probatoires et les conséquences indemnitaires diffèrent substantiellement.

La portée de l’arrêt réside dans l’affirmation qu’un salarié ne peut, en cours d’instance, transformer un litige portant sur la rémunération en un litige portant sur la rupture, sauf à respecter les règles de recevabilité des demandes additionnelles. Cette rigueur procédurale protège le principe du contradictoire et la stabilité du litige.

II. Le régime probatoire applicable aux heures supplémentaires et à l’exécution déloyale

La cour applique le mécanisme probatoire propre aux heures supplémentaires en retenant l’existence de la créance (A), mais refuse d’indemniser l’exécution déloyale faute de caractérisation du préjudice (B).

A. L’application du mécanisme probatoire propre aux heures supplémentaires

La cour rappelle la jurisprudence constante selon laquelle « il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ». Ce mécanisme, issu de l’article L. 3171-4 du code du travail et de la jurisprudence de la Cour de cassation, organise un partage de la charge probatoire.

Le salarié avait produit « ses plannings de juin à octobre 2019 et du mois de novembre 2019 et un tableau récapitulatif des heures supplémentaires effectuées ». La cour a jugé ces éléments « suffisamment précis » pour permettre à l’employeur de répondre. L’employeur contestait le tableau en le qualifiant de document « établi pour les seuls besoins de la cause » et non corroboré par des éléments objectifs. Il invoquait des pièces numérotées 5 et 7 qui, selon la cour, ne figuraient pas au bordereau de communication.

La cour a relevé que « le bordereau de communication de pièces de la société Samsic Sécurité ne mentionne pas de pièces 5 et 7 ». Cette constatation a pesé dans l’appréciation probatoire. L’employeur, qui dispose du pouvoir de contrôle des heures de travail, n’a pas produit d’éléments permettant de contredire utilement les plannings et le tableau du salarié. La cour a donc confirmé la condamnation au paiement des heures supplémentaires et des congés payés afférents.

Cette solution illustre l’effectivité du mécanisme probatoire des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail. L’employeur qui ne produit pas les éléments de contrôle dont il dispose s’expose à ce que la conviction du juge se forme au bénéfice du salarié.

B. Le rejet de la demande pour exécution déloyale faute de caractérisation du préjudice

Le salarié invoquait l’exécution déloyale du contrat de travail en se fondant sur le non-respect de la durée légale, le non-paiement des heures supplémentaires et la communication tardive des plannings. Il sollicitait initialement 5 000 euros de dommages et intérêts ; le conseil de prud’hommes lui avait alloué 750 euros.

La cour a infirmé le jugement sur ce point en relevant que le salarié « ne formule aucun moyen pour caractériser le préjudice » et « n’articule dans ses conclusions aucun moyen permettant de caractériser le préjudice découlant, selon lui, de l’exécution déloyale de son contrat de travail, ni dans son principe, ni dans son quantum ».

Cette exigence de caractérisation du préjudice s’inscrit dans le droit commun de la responsabilité civile. L’article 9 du code de procédure civile impose à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention. Le salarié qui invoque une faute de l’employeur doit établir non seulement cette faute, mais également le préjudice qui en résulte et le lien de causalité.

La solution retenue mérite attention. Le non-paiement des heures supplémentaires constitue incontestablement un manquement de l’employeur à ses obligations contractuelles. Le rappel de salaire répare le préjudice financier direct. En revanche, le préjudice distinct résultant de l’exécution déloyale suppose une démonstration autonome. Le salarié aurait pu invoquer, par exemple, l’atteinte à sa vie personnelle résultant de la surcharge de travail, le stress lié à l’incertitude des plannings ou toute autre conséquence dommageable. En l’absence d’articulation de tels moyens, la cour a logiquement rejeté la demande.

Cette décision rappelle que la condamnation au paiement d’heures supplémentaires n’emporte pas automatiquement allocation de dommages et intérêts pour exécution déloyale. Le salarié doit caractériser un préjudice distinct de celui réparé par le rappel de salaire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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