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La Cour d’appel de Paris, 25 juin 2025, statue sur un litige né d’une succession de contrats à durée déterminée conclus dans le secteur du spectacle vivant. Le salarié, engagé depuis 2015 comme personnel de placement, saisit la juridiction prud’homale afin d’obtenir la requalification en contrat à durée indéterminée et des rappels de salaires. Le premier juge, Conseil de prud’hommes de Paris, 5 mai 2023, accueille l’essentiel des demandes, requalifie la relation et indemnise la rupture, tout en se déclarant incompétent sur les prélèvements de cotisations. L’employeur interjette appel pour obtenir l’infirmation des chefs principaux, tandis que le salarié forme un appel incident sur la compétence et certaines demandes accessoires.
Le litige concentre plusieurs questions déterminantes, articulées autour de la régularité du recours aux contrats à durée déterminée, de la présomption de temps complet, de la recevabilité des demandes additionnelles en procédure prud’homale et de la compétence du juge du travail pour les contestations liées au précompte de cotisations. Sont également débattues l’exécution déloyale, le travail dissimulé et les conséquences indemnitaires de la rupture. La cour confirme la requalification en contrat à durée indéterminée à temps plein, retient l’ancienneté à compter de novembre 2015, confirme l’essentiel des indemnités, infirme sur la compétence et rejette la demande de rappel de salaires corrélée aux cotisations. Elle écarte l’allégation de travail dissimulé, mais indemnise distinctement l’exécution déloyale.
I. Requalification et consécration du temps complet
A. L’absence de raisons objectives rendant illicite la succession des CDD
La cour contrôle d’abord la justification du recours successif aux contrats à durée déterminée. L’employeur invoque la variabilité de la programmation et les aléas d’affluence, caractéristiques du secteur. La motivation écarte l’argument, faute de démonstration d’un besoin réellement temporaire et d’un usage constant adapté à l’emploi occupé. La solution est nette: « Par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens, le recours à l’utilisation des contrats à durée déterminée successifs litigieux n’est pas justifié par des raisons objectives, de sorte c’est à juste titre que la juridiction prud’homale a requalifié la relation de travail en contrat à durée indéterminée, celle-ci remontant toutefois au 21 novembre 2015 et non au 31 octobre 2015. » Cette formule confirme une lecture exigeante des motifs de recours, même dans un secteur autorisant des contrats d’usage. Le raisonnement s’inscrit dans une jurisprudence constante sur la prohibition des emplois durables pourvus par CDD. La décision refuse d’ériger la seule variabilité de la programmation en raison objective, ce qui valorise le critère fonctionnel du besoin pérenne au sein de l’organisation.
Cette appréciation sur le fondement est opportune, car elle évite un morcellement de contrôles subsidiaires parfois redondants. Elle irrigue l’ensemble des conséquences, notamment la fixation de l’ancienneté et l’assiette des droits. L’option retenue clarifie la ligne applicable aux entreprises culturelles, sans dénier la spécificité du secteur lorsque l’usage est établi et pertinent.
B. La présomption de temps complet et l’imprévisibilité du rythme de travail
La requalification s’étend au temps plein, faute d’écrit régulier et d’organisation prévisible. La cour constate des contrats lacunaires et des plannings non annexés, malgré leur mention. Elle relève que « En l’espèce, les contrats litigieux ne mentionnent aucune durée mensuelle ou hebdomadaire mais se bornent à préciser que l’employé exercera ses fonctions du lundi au dimanche, dans le cadre d’un planning mensuel « joint en annexe » qui n’est pas produit par l’employeur et dont le salarié indique qu’ils n’ont jamais été annexés au contrat de travail, allégations que ne permettent pas de contredire les exemples de planning produits par la société. » De surcroît, la clause suivante illustre l’instabilité imposée au salarié: « la répartition des heures dans le cadre de la semaine ne constituant pas une clause substantielle au présent contrat, elle pourra être modiée par l’employeur à tout moment selon la nécessité du service ».
La présomption de temps complet s’applique alors pleinement, la preuve contraire n’étant pas rapportée. La cour retient une impossibilité de prévoir le rythme de travail et une mise à disposition constante, ce qui corrobore une ligne ferme en matière de temps partiel. Les effets en découlent: indemnité de requalification d’un mois, rappel de salaires sur la période non prescrite et calcul des autres indemnités sur la base du temps plein. La prescription triennale est retenue au 8 septembre 2017 pour les créances salariales, sans affecter l’économie générale des rappels, fixés à 26 922 euros bruts, outre congés payés afférents.
II. Recevabilité, compétence prud’homale et portée des demandes accessoires
A. L’office du juge prud’homal: demandes additionnelles et compétence pour les cotisations
La cour rappelle d’abord le régime de la procédure orale et la règle du lien suffisant. Elle souligne que « Il en résulte qu’en matière prud’homale, la procédure étant orale, le requérant est recevable à formuler contradictoirement des demandes additionnelles qui se rattachent aux prétentions originaires, devant le juge lors des débats, ou dans ses dernières conclusions écrites réitérées verbalement à l’audience lorsqu’il est assisté ou représenté par un avocat. » Cette base textuelle valide la recevabilité des prétentions additionnelles liées à l’exécution déloyale, au travail dissimulé et au bénéfice de la complémentaire santé, rattachées à la cause initiale.
S’agissant de la compétence, la cour distingue le contentieux du recouvrement, attribué au contentieux social, et la demande de rappel de salaires dirigée contre l’employeur. Elle énonce un principe clair: « Dans le cadre de la relation de travail, l’employeur est toutefois tenu, à l’égard du salarié, de s’acquitter de l’intégralité du salaire dû. » L’objet du litige portant sur la rémunération nette due, le juge prud’homal est compétent, ce qui infirme la solution d’incompétence retenue par les premiers juges. La démarche protège le droit d’accès au juge du travail, sans empiéter sur la compétence de l’organisme de recouvrement des cotisations.
B. Portée indemnitaire: cotisations, mutuelle, exécution déloyale et travail dissimulé
Sur les prélèvements prétendument illicites, la cour retient que la régularisation opérée et le report sur les bulletins sont établis pour la période non prescrite. La motivation est précise: « Il ressort toutefois des pièces versées aux débats que pour la période non prescrite, les cotisations salariales récupérées par l’employeur jusqu’à fin décembre 2018 comme pour la période postérieure, à compter du mois de janvier 2019, correspondaient bien aux montants mentionnés sur les bulletins de paie et à la part salariale appliquée. » La demande de rappel de salaire à ce titre est rejetée, ce qui évite une double indemnisation au regard du rappel déjà alloué pour le temps complet.
La cour confirme l’indemnisation du non-bénéfice de la complémentaire santé, faute de preuve d’une mise en mesure effective. Elle retient parallèlement un manquement de loyauté distinct, indemnisé à hauteur de 1 500 euros, en considérant que « Ces manquements caractérisent un comportement déloyal de l’employeur… » L’articulation entre ces deux postes est soignée, afin d’éviter les chevauchements indemnitaires.
La demande pour travail dissimulé est écartée faute d’intention. La règle est rappelée sans ambiguïté: « Pour allouer une indemnité pour travail dissimulé en application de l’article L. 8221-5 précité du code du travail, le juge doit rechercher le caractère intentionnel de la dissimulation… » L’absence d’éléments probants ferme ici la voie de l’indemnité forfaitaire. Enfin, la cour confirme le quantum des indemnités de rupture, en précisant l’assiette du préavis après requalification: « Par l’effet de la requalification en contrat à durée indéterminée, cette indemnité doit donc être calculée, contrairement à ce qu’indique la société, au regard des sommes que le salarié aurait perçues en application du statut de travailleur permanent qui lui avait été reconnu. » L’ensemble consacre une cohérence d’évaluation, alignée sur le statut requalifié et la période non prescrite.
Par cette décision, la juridiction d’appel réaffirme des principes structurants en droit du travail: contrôle du motif de recours, portée de la présomption de temps complet, office du juge prud’homal sur la recevabilité et la rémunération nette due, tout en modulant les réparations pour éviter les cumuls injustifiés. L’équilibre retenu éclaire la pratique des employeurs du spectacle vivant et consolide les garanties attachées aux trajectoires en contrats discontinus.