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La responsabilité personnelle du dirigeant social ne peut être engagée à l’égard des tiers que s’il a commis une faute détachable de ses fonctions. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 26 juin 2025, rappelle cette exigence en précisant les contours de la preuve attendue lorsque le créancier-bailleur reproche au gérant un détournement des biens loués.
En l’espèce, une société de crédit-bail avait conclu deux contrats portant sur un transporteur et une chargeuse avec une société à responsabilité limitée. À la suite d’impayés, le bailleur a résilié les contrats en septembre 2016. La société locataire a été placée en liquidation judiciaire le mois suivant. Le commissaire-priseur chargé de l’inventaire n’a pu retrouver les engins, qui auraient été détruits selon certaines informations. Le bailleur a alors mis en demeure le gérant de restituer le matériel, puis l’a assigné en paiement de dommages et intérêts correspondant à la valeur des biens.
Devant le tribunal de commerce d’Évry, le bailleur soutenait que le gérant avait commis une faute personnelle détachable de ses fonctions en détournant les biens loués, constitutive d’un abus de confiance. Le tribunal, par jugement du 10 novembre 2021, a rejeté cette demande au motif que la preuve d’une faute personnelle d’une particulière gravité n’était pas rapportée.
Le bailleur a interjeté appel. Il faisait valoir que le défaut de restitution des biens caractérisait un abus de confiance imputable au gérant, que celui-ci aurait utilisé une fausse attestation de mise au rebut et qu’il aurait probablement revendu le matériel à son profit. Le gérant, quant à lui, n’a pas constitué avocat en cause d’appel.
La question posée à la cour était de savoir si l’absence de restitution des biens loués par la société locataire suffisait à caractériser une faute personnelle détachable des fonctions du gérant, de nature à engager sa responsabilité civile envers le bailleur.
La Cour d’appel de Paris répond par la négative et confirme le jugement. Elle juge que « l’absence de restitution des engins loués par la société (…) ne suffit pas à caractériser un abus de confiance » commis par le gérant et « ne suffit pas non plus à apporter la preuve de l’implication personnelle » de celui-ci dans un éventuel détournement.
Cette décision invite à examiner d’abord les conditions de la responsabilité personnelle du dirigeant envers les tiers (I), avant d’analyser l’appréciation par la cour de la preuve du détournement reproché (II).
I. Les conditions de la responsabilité personnelle du dirigeant envers les tiers
La responsabilité du dirigeant suppose la démonstration d’une faute détachable de ses fonctions (A), ce qui implique de distinguer les obligations de la société de celles de son représentant légal (B).
A. L’exigence d’une faute détachable des fonctions
La cour rappelle le principe selon lequel « la responsabilité civile personnelle du dirigeant d’une société peut être engagée à l’égard des tiers sur ce fondement s’il a commis une faute détachable de ses fonctions ». Elle précise que cette faute est « la faute commise intentionnellement et d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions de dirigeant ».
Cette définition reprend la formule consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation depuis l’arrêt de la chambre commerciale du 20 mai 2003. Le dirigeant n’est pas le débiteur des obligations sociales. Seule une faute d’une nature particulière, qui s’écarte radicalement de ce qu’un dirigeant peut accomplir dans l’exercice de son mandat, permet de lever l’écran de la personnalité morale.
Le bailleur invoquait l’article 1240 du code civil pour fonder sa demande. La cour admet ce fondement mais en rappelle les limites. Le fait générateur de responsabilité ne peut résider dans la seule inexécution d’une obligation contractuelle incombant à la société. Il doit s’agir d’un comportement personnel du dirigeant, distinct de la gestion sociale ordinaire.
B. La distinction entre l’obligation de la société et celle du dirigeant
La cour souligne que les contrats de crédit-bail ont été conclus entre le bailleur et la société locataire. Le transporteur et la chargeuse « ont été remis à la société (…) et non à son gérant ». En conséquence, « la personne débitrice de l’obligation de restituer ces engins, à la suite de la résiliation des contrats de crédit-bail, est la société (…) et non » son gérant.
Cette analyse distingue soigneusement le plan contractuel du plan délictuel. L’obligation de restitution naît du contrat de crédit-bail. Elle pèse sur la société locataire, seule partie au contrat. Le gérant n’est pas personnellement tenu de cette obligation. Le bailleur ne peut donc lui reprocher le défaut de restitution comme s’il en était lui-même débiteur.
Cette distinction conduit la cour à écarter l’argument tiré de l’abus de confiance. L’article 314-1 du code pénal sanctionne le détournement d’un bien remis à titre précaire. Mais le bien a été remis à la société, non au gérant. L’infraction ne peut donc être automatiquement imputée à ce dernier du seul fait de sa qualité de représentant légal.
II. L’appréciation de la preuve du détournement reproché au dirigeant
La cour examine ensuite les éléments invoqués par le bailleur pour démontrer l’implication personnelle du gérant (A), avant de rejeter les indices qu’elle juge insuffisants (B).
A. L’absence de preuve de l’implication personnelle du gérant
La cour constate que « le sort réservé à ces engins est ignoré ». Le commissaire-priseur avait indiqué que le matériel avait été « mis en destruction selon les informations qu’il avait pu obtenir ». Cette formulation imprécise ne permet pas d’établir ce qu’il est advenu des biens.
Le bailleur produisait une attestation de mise au rebut de la chargeuse émanant d’une société tierce. La cour relève que « l’authenticité de cette attestation est douteuse », le nom du signataire étant mal orthographié et le document étant censé avoir été établi alors que la société émettrice était elle-même en liquidation judiciaire.
Plus encore, la cour observe que « preuve n’est pas rapportée qu’elle aurait été établie par » le gérant « et même utilisée par celui-ci ». Le commissaire-priseur avait transmis cette attestation au bailleur sans indiquer « le nom de la personne qui lui a remis cette attestation ». Le lien entre le gérant et ce document litigieux demeure donc incertain.
B. Le rejet des indices invoqués par le bailleur
Le bailleur faisait valoir que le gérant avait été frappé d’une interdiction de gérer par jugement du tribunal de commerce de Bobigny du 11 mars 2019. La cour écarte cet argument en jugeant que cette sanction « n’est pas la preuve du détournement des biens loués ».
L’interdiction de gérer est une mesure de faillite personnelle, prononcée pour des fautes de gestion distinctes du détournement allégué. Elle ne préjuge pas de la commission d’une infraction pénale ou d’une faute civile détachable. La cour refuse d’opérer un amalgame entre les deux procédures.
Le bailleur invoquait également le classement sans suite de la plainte pénale qu’il avait déposée, en rappelant que l’article 4 du code de procédure pénale permettait au juge civil de statuer indépendamment. La cour ne conteste pas ce principe mais constate simplement qu’aucun élément probant ne vient étayer l’accusation de détournement.
La décision confirme ainsi que la charge de la preuve incombe au demandeur. Le créancier qui entend contourner l’écran de la personnalité morale doit démontrer positivement la faute personnelle du dirigeant. Les soupçons, fussent-ils légitimes, ne suffisent pas à fonder une condamnation.