Cour d’appel de Paris, le 26 juin 2025, n°23/00096

La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 26 juin 2025, s’est prononcée sur le recours formé par un débiteur contre un jugement du tribunal de proximité de Villejuif ayant refusé de prononcer l’effacement de ses dettes et renvoyé le dossier à la commission de surendettement.

Un particulier avait saisi la commission de surendettement du Val-de-Marne le 4 avril 2022. Celle-ci avait déclaré sa demande recevable le 24 mai 2022 puis orienté le dossier vers une mesure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire le 19 juillet 2022. Deux créanciers avaient contesté cette orientation. Par jugement du 10 février 2023, le juge des contentieux de la protection avait estimé que la situation du débiteur n’était pas irrémédiablement compromise et renvoyé le dossier à la commission. Le débiteur avait interjeté appel le 25 février 2023.

Devant la cour, le débiteur modifiait ses prétentions. Il ne sollicitait plus l’effacement de ses dettes mais demandait l’établissement d’un plan de désendettement sur trente-six mois, la mise à l’écart de certaines créances qu’il estimait forcloses ou prescrites, et l’actualisation de son passif. Un créancier, bailleur social, contestait la bonne foi du débiteur. Un autre créancier, avocat, sollicitait le paiement rapide de sa créance et une indemnité au titre des frais irrépétibles.

La question posée à la cour était triple : le débiteur était-il de bonne foi au sens du droit du surendettement, certaines créances devaient-elles être écartées du passif en raison de la forclusion ou de la prescription, et quelles mesures convenait-il d’adopter pour traiter la situation de surendettement ?

La Cour d’appel de Paris confirme partiellement le jugement. Elle rejette le moyen tiré de la mauvaise foi, écarte deux créances pour cause de forclusion et de prescription, constate l’extinction de deux autres dettes, fixe le passif à la somme de 20 843,12 euros et établit un plan conventionnel de redressement sur onze mois avec effacement du solde des dettes à l’issue de l’échéancier.

Cet arrêt illustre le contrôle judiciaire des créances dans le cadre du surendettement des particuliers (I) et la mise en œuvre des mesures de traitement adaptées à la capacité de remboursement du débiteur (II).

I. Le contrôle judiciaire des créances dans la procédure de surendettement

Le juge exerce un double contrôle portant sur la bonne foi du débiteur, condition de recevabilité de la procédure (A), et sur l’exigibilité des créances déclarées au passif (B).

A. Le maintien de la présomption de bonne foi du débiteur

La cour rappelle le régime probatoire applicable à la bonne foi. Elle énonce qu’il « résulte de l’article L.711-1 du code de la consommation que la recevabilité de la demande de traitement de la situation de surendettement est subordonnée à la bonne foi du débiteur, conçue comme une absence de mauvaise foi ». Elle précise ensuite que « la bonne foi est présumée et qu’il appartient au créancier d’apporter la preuve de la mauvaise foi du débiteur ».

Cette présomption de bonne foi constitue une protection essentielle du débiteur. Elle impose au créancier contestant la recevabilité de la procédure de rapporter la preuve d’éléments caractérisant une intention frauduleuse. La cour distingue nettement la mauvaise foi de la simple imprudence en indiquant que « la simple imprudence ou imprévoyance n’est pas constitutive de mauvaise foi » et que « la négligence du débiteur ne suffit pas à caractériser la mauvaise foi en l’absence de conscience de créer ou d’aggraver l’endettement en fraude des droits des créanciers ».

En l’espèce, le bailleur social soutenait que le débiteur était de mauvaise foi car il ne communiquait pas de pièces récentes sur sa situation et ne justifiait pas de son divorce. La cour rejette ce moyen après avoir constaté que le débiteur avait « fourni des bulletins de paie récents, ses bulletins de pension, ses relevés de compte où apparaissent des paiements pour se loger, son ordonnance de non-conciliation fixant la pension alimentaire pour ses enfants ».

Cette appréciation in concreto de la bonne foi témoigne de la volonté du juge de ne pas priver le débiteur du bénéfice de la procédure sur le fondement de griefs insuffisamment caractérisés. Le créancier doit établir des faits précis démontrant une intention de nuire à ses droits.

B. L’éviction des créances atteintes par la forclusion ou la prescription

La cour procède à un examen minutieux des fins de non-recevoir opposées par le débiteur à plusieurs créances. Elle rappelle préalablement qu’« il est possible de soulever la forclusion ou la prescription d’une action, s’agissant de fins de non-recevoir, à tout moment de la procédure ».

S’agissant de la créance d’un établissement bancaire, la cour relève que « le premier incident de paiement non régularisé » pouvait être fixé au 14 août 2019, date à laquelle la banque avait annulé le compte et l’avait mis en recouvrement. Elle en déduit que « le délai biennal de forclusion prévu par l’article L.218-2 du code de la consommation était expiré » à la date de saisine de la commission le 4 avril 2022, le créancier ne démontrant pas « avoir intenté une action en justice dans le délai de 2 ans ».

Pour la créance d’un opérateur de téléphonie, la cour applique le délai de prescription annale prévu par l’article L.34-2 du code des postes et communications électroniques. Elle fixe le premier incident de paiement à décembre 2020 et constate que ce délai « était donc expiré à la date de saisine de la commission de surendettement ».

En revanche, la cour maintient au passif une créance de crédit à la consommation dont la déchéance du terme avait été prononcée le 16 octobre 2020, estimant que « le délai biennal de forclusion n’était donc pas expiré » à la date de saisine de la commission.

Cette analyse différenciée des délais applicables selon la nature des créances démontre l’importance du contrôle juridictionnel dans la détermination du passif. Le juge du surendettement ne se contente pas d’entériner les déclarations de créances mais vérifie leur exigibilité au regard des règles de prescription et de forclusion propres à chaque catégorie de dettes.

II. L’élaboration d’un plan de désendettement adapté à la situation du débiteur

La cour fixe le passif après actualisation des créances (A) puis établit un échéancier de remboursement tenant compte de la capacité contributive du débiteur (B).

A. La détermination du passif actualisé

La cour procède à une actualisation rigoureuse du passif en tenant compte des paiements intervenus depuis la première instance et des contestations recevables.

Elle constate d’abord l’extinction de certaines dettes. S’agissant de la créance de la caisse d’allocations familiales, le débiteur justifiait par la production d’un document daté du 14 avril 2025 « qu’a été recouvrée une somme totale de 19 050,24 euros, signifiant que plus aucune somme n’est due à ce créancier ». La dette locative initiale de 24 871,36 euros est réduite à 8 651,03 euros selon le décompte actualisé du bailleur.

La cour rejette en revanche certaines demandes du débiteur. Celui-ci sollicitait une réduction de la dette locative pour des surloyers qu’il estimait injustifiés. La cour écarte cette prétention au motif que « les demandes de réduction du montant de la dette pour 3 212,39 euros seront rejetées comme ne reposant pas sur un décompte ou un calcul précis ». Elle refuse également de prendre en compte une contestation tardive d’une créance en rappelant que « aux termes de l’article R.723-8 du code de la consommation, le débiteur peut contester l’état du passif dressé par la commission dans un délai de vingt jours » et qu’à l’expiration de ce délai, « il ne peut plus formuler une telle demande ».

Le passif est finalement arrêté à la somme de 20 843,12 euros, soit une réduction considérable par rapport aux 51 111,02 euros initialement retenus en première instance. Cette diminution résulte à la fois des paiements effectués, des saisies pratiquées et de l’éviction des créances forcloses ou prescrites.

B. L’établissement d’un échéancier fondé sur la capacité de remboursement

La cour calcule la capacité de remboursement du débiteur conformément aux dispositions réglementaires. Elle rappelle que selon l’article R.731-1 du code de la consommation, « la part des ressources mensuelles du débiteur à affecter à l’apurement de ses dettes est calculée par référence au barème prévu à l’article R.3252-2 du code du travail ».

Le débiteur perçoit une pension militaire de 1 468,21 euros et un salaire d’agent de sécurité de 2 496,72 euros, soit un total de 3 964,93 euros correspondant à une quotité saisissable de 2 398,17 euros. Ses charges s’élèvent à 1 486 euros mensuels, comprenant la pension alimentaire pour ses filles de 510 euros et des frais d’hébergement en location temporaire de 400 euros auxquels s’ajoutent les forfaits de charges courantes. La capacité de remboursement est ainsi fixée à 2 478,93 euros.

La cour établit un plan sur onze mois avec des mensualités de 1 936,06 euros pour les dix premiers mois et de 1 483,42 euros pour le dernier mois. Elle précise que « l’intérêt est fixé à 0% » et que « à l’issue de cet échéancier, le solde des dettes est effacé ».

Cette solution s’écarte de celle retenue par le premier juge qui avait renvoyé le dossier à la commission estimant que le débiteur pouvait diminuer ses charges en prenant un logement plus petit. La cour prend acte de l’évolution de la situation du débiteur, désormais expulsé et hébergé de manière précaire, et tire les conséquences de sa capacité contributive réelle pour établir un plan permettant l’apurement effectif du passif dans un délai raisonnable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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