Cour d’appel de Paris, le 26 juin 2025, n°23/06307

Le droit de la sécurité privée impose aux agents de surveillance la détention permanente d’une carte professionnelle valide. La perte de cette autorisation administrative constitue un obstacle légal à la poursuite de l’activité, mais les conditions de cette perte déterminent la légitimité de la rupture du contrat de travail.

Un salarié occupait les fonctions d’agent de sécurité cynophile depuis le transfert de son contrat de travail à une société de sécurité en janvier 2011. Sa carte professionnelle, délivrée le 15 mai 2017 pour une durée de cinq ans, arrivait à expiration le 15 mai 2022. L’intéressé avait adressé sa demande de renouvellement au Conseil National des Activités Privées de Sécurité le 12 janvier 2022. Cet organisme lui avait réclamé des précisions concernant une affaire ancienne, auxquelles le salarié avait répondu par courrier du 26 janvier 2022. L’employeur avait alerté le salarié par courriers des 15 mars et 15 avril 2022 sur la nécessité de présenter sa nouvelle carte professionnelle. Faute de réponse, la société avait suspendu le contrat de travail le 16 mai 2022 et procédé au licenciement le 6 juillet suivant.

Le conseil de prud’hommes de Paris, par jugement du 25 juillet 2023, avait débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes.

Le salarié soutenait en appel que le retard dans le renouvellement de sa carte professionnelle provenait exclusivement de l’inertie administrative du CNAPS, qu’il avait accompli toutes les diligences nécessaires et que l’employeur avait refusé de lui accorder des congés payés dans l’attente d’une décision. L’employeur répondait que malgré plusieurs relances, le salarié ne lui avait jamais communiqué le récépissé de sa demande de renouvellement et qu’au jour du licenciement, aucun document ne lui permettait d’exercer légalement son activité.

La question posée à la cour d’appel de Paris était de déterminer si le licenciement d’un agent de sécurité privée, fondé sur l’absence de carte professionnelle valide à la date de rupture, repose sur une cause réelle et sérieuse lorsque le salarié a sollicité le renouvellement de son titre mais n’a pas obtenu le récépissé prévu par les textes réglementaires.

Par arrêt du 26 juin 2025, la cour d’appel de Paris confirme le jugement entrepris. Elle retient que « le salarié qui n’était détenteur ni d’une carte professionnelle en cours de validité, ni d’un récépissé de renouvellement de carte délivré par le CNAPS, conformément aux dispositions de l’article R.612-17 du code de la sécurité intérieure, ne pouvait plus exercer son activité professionnelle ». Elle constate également que le salarié « n’a sollicité la délivrance d’une carte provisoire que par courrier du 27 juin 2022, soit postérieurement à l’expiration de sa carte professionnelle ».

I. La carte professionnelle comme condition légale d’exercice de l’activité de sécurité privée

A. L’exigence réglementaire d’une autorisation permanente

Le code de la sécurité intérieure soumet l’exercice des activités de surveillance humaine à la détention d’une carte professionnelle. L’article L.612-20 de ce code énumère les conditions auxquelles nul ne peut être employé pour participer à une activité de sécurité privée. Le respect de ces conditions « est attesté par la détention d’une carte professionnelle délivrée selon des modalités définies par décret en Conseil d’État ».

Cette exigence légale se double d’une interdiction faite aux employeurs. L’article R.631-15 du même code prescrit aux entreprises et à leurs dirigeants de s’interdire « d’employer ou de commander, même pour une courte durée, des personnels de sécurité et de recherches ne satisfaisant pas aux conditions de qualification professionnelle ou ne possédant pas les autorisations valides requises ». La cour rappelle cette interdiction pour souligner que l’employeur ne disposait d’aucune marge d’appréciation face à l’absence de titre valide.

La convention collective des entreprises de prévention et de sécurité tire les conséquences de ce cadre légal. Son article 11-05 dispose que les salariés dont l’activité est « subordonnée impérativement à la délivrance d’une habilitation ou d’un agrément » et qui ne pourraient l’obtenir « ne peuvent de ce fait être maintenus sur leur poste, ce qui pourra entraîner la rupture de leur contrat de travail ». La solution retenue par la cour s’inscrit dans la logique de ces dispositions conventionnelles.

B. Le mécanisme du récépissé comme palliatif temporaire

Le législateur a prévu un dispositif permettant d’éviter les ruptures brutales d’activité liées aux délais administratifs. L’article R.612-17 du code de la sécurité intérieure organise la procédure de renouvellement et prévoit que « lorsque la demande est complète, le Conseil national des activités privées de sécurité en délivre récépissé ». Ce récépissé « permet, jusqu’à l’intervention d’une décision expresse, une poursuite régulière de l’activité professionnelle ».

Ce mécanisme suppose toutefois que la demande soit présentée « trois mois au moins avant sa date d’expiration ». Le salarié avait respecté ce délai en adressant sa demande le 12 janvier 2022. Mais la cour relève qu’« aucun récépissé de renouvellement de carte ne lui a manifestement été délivré par le CNAPS ». L’absence de ce document prive le salarié du bénéfice du régime transitoire.

La solution peut paraître sévère au regard de la situation du salarié, qui avait accompli les démarches initiales dans les délais. Toutefois, la cour observe qu’il « n’a sollicité la délivrance d’une carte provisoire que par courrier du 27 juin 2022 », soit après l’expiration de sa carte professionnelle. Cette carence procédurale du salarié explique qu’il se soit trouvé dépourvu de tout titre au jour du licenciement.

II. L’appréciation du comportement respectif des parties dans la perte de l’autorisation

A. L’obligation d’information du salarié méconnue

Le code de la sécurité intérieure impose aux salariés du secteur de la sécurité privée une obligation d’information envers leur employeur. L’article R.631-26 dispose que « les salariés ont l’obligation d’informer sans délai leur employeur des modifications, suspension ou retrait de leur carte professionnelle ». Cette obligation s’étend logiquement aux difficultés rencontrées dans le renouvellement du titre.

La cour constate que l’employeur « a alerté à plusieurs reprises le salarié, qui est resté taisant, sur la nécessité de procéder au renouvellement de sa carte professionnelle ». Les courriers des 15 mars, 15 avril et 16 mai 2022 sont demeurés sans réponse. Ce silence du salarié sur l’état de ses démarches administratives constitue un manquement à son obligation d’information.

Le salarié soutenait avoir adressé sa demande de renouvellement dans les délais et avoir répondu aux interrogations du CNAPS. Ces diligences ne l’exonéraient pas de son obligation de tenir l’employeur informé. La cour retient implicitement que le salarié aurait dû communiquer à l’employeur les éléments dont il disposait sur l’avancement de sa demande, notamment l’absence de récépissé malgré le dépôt d’un dossier complet.

B. La légitimité du comportement de l’employeur

L’employeur a respecté une démarche progressive face à l’expiration prochaine de la carte professionnelle de son salarié. La cour relève qu’il « a alerté celui-ci sur la date d’expiration de sa carte professionnelle et la nécessité de lui faire parvenir une copie de la décision de renouvellement de la carte professionnelle émise par le CNAPS, par courriers des 15 mars et 15 avril 2022 ». Cette attitude préventive témoigne de la bonne foi de l’employeur.

Après l’expiration du titre, l’employeur a suspendu le contrat de travail plutôt que de procéder immédiatement au licenciement. Il « a attendu, pendant plus de deux mois, que le salarié fournisse une carte professionnelle ou un récépissé du CNAPS ». Ce délai d’attente démontre que l’employeur n’a pas agi avec précipitation et a laissé au salarié le temps de régulariser sa situation.

La cour écarte également le grief d’exécution déloyale du contrat de travail. Le salarié prétendait que l’employeur avait refusé ses demandes de congés payés dans l’attente d’une décision du CNAPS. Mais la cour constate qu’« aucune des pièces de la procédure ne révèle qu’il aurait formulé une demande de congés à son employeur ». Cette affirmation non étayée ne peut fonder une condamnation.

La solution retenue par la cour d’appel de Paris s’inscrit dans une jurisprudence constante sur les conditions légales d’exercice de certaines professions réglementées. Elle rappelle que la détention des autorisations administratives requises relève de la responsabilité première du salarié. L’employeur qui accomplit les diligences d’information et accorde un délai raisonnable de régularisation ne peut être tenu pour responsable de l’impossibilité ultérieure de poursuivre la relation de travail.

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Hassan KOHEN
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