- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La clause de non-concurrence constitue une restriction conventionnelle à la liberté du travail dont la validité est subordonnée au respect de conditions strictes. La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 26 juin 2025, vient préciser les limites du pouvoir du juge des référés lorsque la licéité de cette clause est contestée.
Un salarié, engagé en qualité d’ingénieur d’affaires par contrat à durée indéterminée le 3 août 2020, avait démissionné le 3 juillet 2023. Son contrat comportait une clause de non-concurrence lui interdisant, pendant une année, d’entrer au service de toutes sociétés d’ingénierie et de conseil dans le domaine de la santé sur l’ensemble du territoire français, moyennant une contrepartie financière égale à 50 % de son salaire mensuel fixe moyen.
L’employeur, estimant que son ancien salarié avait rejoint une société concurrente, a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes de Paris le 29 mars 2024. Il sollicitait la cessation de la violation alléguée, le remboursement de la contrepartie financière versée à titre provisionnel et le paiement de la clause pénale contractuelle. Par ordonnance du 10 juin 2024, le conseil de prud’hommes a dit n’y avoir lieu à référé sur l’ensemble des demandes. L’employeur a relevé appel de cette décision le 12 juillet 2024.
L’appelante soutenait que la clause de non-concurrence était licite, qu’elle n’y avait pas renoncé et que le salarié l’avait délibérément violée en rejoignant une entreprise concurrente. Elle demandait la condamnation du salarié au remboursement de la contrepartie financière perçue et au paiement de la clause pénale. À titre subsidiaire, elle sollicitait la communication des contrats de travail et bulletins de paie du nouvel employeur.
L’intimé contestait tant la validité de la clause que sa prétendue violation. Il faisait valoir que la clause était illicite car portant atteinte de manière disproportionnée à sa liberté de travail, que la contrepartie financière était dérisoire et que l’interdiction couvrant l’intégralité du territoire national ne tenait pas compte de la spécificité de son emploi.
La question posée à la cour était de savoir si le juge des référés pouvait accorder des provisions au titre de la violation d’une clause de non-concurrence dont la validité et l’opposabilité étaient sérieusement contestées.
La cour d’appel de Paris confirme l’ordonnance de référé. Elle retient que « la validité et l’opposabilité de la clause, étant souligné que celle-ci interdisait au salarié d’une façon générale de collaborateur sous quelle que forme que ce soit dans toutes sociétés d’ingénierie et de conseil en technologie et de prestation de services dans le domaine de la santé pour y exercer toutes fonctions et ce sur l’intégralité du territoire national, nécessitent son interprétation et sont mises en doute dans le cadre d’une contestation sérieuse ».
La solution retenue appelle une analyse en deux temps. La contestation sérieuse fait obstacle au pouvoir du juge des référés en matière de clause de non-concurrence (I), tandis que le refus du référé probatoire sur le fondement de l’article 142 du code de procédure civile prive l’employeur de tout moyen d’investigation (II).
I. La contestation sérieuse, obstacle au pouvoir du juge des référés
Le juge des référés prud’homal dispose de pouvoirs définis par les articles R. 1455-5 à R. 1455-7 du code du travail. L’existence d’une contestation sérieuse constitue une limite à son intervention (A), limite particulièrement prégnante lorsque la clause de non-concurrence présente des caractéristiques susceptibles d’affecter sa validité (B).
A. Les conditions du référé provision face à la clause de non-concurrence
L’article R. 1455-7 du code du travail permet au juge des référés d’accorder une provision au créancier lorsque « l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». Cette condition constitue le fondement même du référé provision. La cour rappelle implicitement cette exigence en relevant l’existence d’une contestation sérieuse portant sur la validité et l’opposabilité de la clause.
La clause de non-concurrence obéit à des conditions de validité cumulatives dégagées par la jurisprudence. Elle doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporter une contrepartie financière non dérisoire. Le défaut de l’une de ces conditions entraîne la nullité de la clause.
En l’espèce, le salarié contestait plusieurs de ces conditions. La cour relève expressément que la clause « interdisait au salarié d’une façon générale de collaborateur sous quelle que forme que ce soit dans toutes sociétés d’ingénierie et de conseil en technologie et de prestation de services dans le domaine de la santé pour y exercer toutes fonctions et ce sur l’intégralité du territoire national ». Cette rédaction extensive rendait légitime la contestation de sa proportionnalité.
B. L’étendue géographique et matérielle de la clause, source de contestation sérieuse
La clause litigieuse présentait une particularité remarquable quant à son champ d’application. L’interdiction couvrait l’ensemble du territoire français et visait toutes fonctions dans toutes sociétés du secteur concerné. Cette amplitude exceptionnelle justifiait la contestation du salarié.
Le salarié faisait valoir qu’en sa qualité d’ingénieur en biotechnologies de la santé, cette clause l’empêchait d’exercer sa profession. Il soutenait également n’avoir eu de missions qu’en Normandie, dans l’Oise et la région Centre Val de Loire, de sorte que l’extension à l’ensemble du territoire national apparaissait disproportionnée.
La cour ne tranche pas la question de la validité de la clause. Elle constate que cette question « nécessite son interprétation » et relève d’une contestation sérieuse. Cette approche est conforme à l’office du juge des référés qui ne peut trancher une difficulté impliquant l’examen approfondi des conditions de validité d’une stipulation contractuelle.
II. Le rejet du référé probatoire, impasse procédurale pour l’employeur
L’employeur avait formé une demande subsidiaire tendant à la communication de documents. Le choix du fondement juridique s’est révélé déterminant (A), privant l’employeur de toute possibilité d’établir la violation alléguée (B).
A. L’article 142 du code de procédure civile, fondement inadapté au référé
L’employeur sollicitait la communication des contrats de travail et bulletins de paie du salarié pour la période postérieure à sa démission. Il fondait sa demande sur l’article 142 du code de procédure civile, relatif à la production des éléments de preuve détenus par les parties.
La cour observe que « cette demande est formée sur le fondement, non de l’article 145 du code de procédure civile, mais de l’article 142 du même code ». Cette distinction revêt une importance capitale. L’article 145 permet d’ordonner des mesures d’instruction avant tout procès, sur simple requête ou en référé, dès lors qu’existe un motif légitime de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.
L’article 142, en revanche, renvoie aux articles 138 et 139 du même code. L’article 139 prévoit que les juges du fond apprécient souverainement l’opportunité d’ordonner les mesures d’instruction demandées. La cour en déduit que cette demande, « qui n’a pas été formée dans le cadre d’un référé probatoire, sera rejetée dans le cadre de la présente instance ».
B. Les conséquences du choix procédural sur la démonstration de la violation
Le rejet de la demande de communication de pièces place l’employeur dans une situation délicate. Il ne dispose d’aucun moyen juridictionnel d’obtenir, dans le cadre de cette instance, les documents permettant d’établir la violation de la clause de non-concurrence.
L’employeur avait certes produit des attestations affirmant que le salarié travaillait pour une société concurrente. Le salarié contestait cette affirmation. L’employeur se trouvait donc dans l’impossibilité de rapporter une preuve certaine de la violation alléguée.
La portée de cette décision doit être nuancée. L’employeur conserve la faculté d’introduire une nouvelle procédure sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Il peut également saisir le juge du fond et solliciter la communication des pièces dans le cadre de l’instance au fond. Le rejet de la demande dans le cadre du référé ne préjuge pas de la solution au fond.
La décision de la cour d’appel de Paris s’inscrit dans une jurisprudence constante limitant le pouvoir du juge des référés lorsque la validité d’une clause contractuelle est sérieusement contestée. Elle rappelle l’importance du choix du fondement juridique en matière de référé probatoire et invite les praticiens à une vigilance particulière dans la rédaction des clauses de non-concurrence dont l’étendue géographique et matérielle doit demeurer proportionnée aux intérêts légitimes de l’entreprise.