Cour d’appel de Paris, le 26 juin 2025, n°24/05170

Rendue par la Cour d’appel de Paris, Pôle 6, chambre 2, le 26 juin 2025, la décision tranche un contentieux prud’homal né d’une liquidation judiciaire. Un salarié, après une demande de résiliation judiciaire et une prise d’acte, sollicitait en référé l’avance des créances fixées par des jugements antérieurs. Le premier juge l’avait renvoyé à mieux se pourvoir. L’appel portait à la fois sur la qualification procédurale de l’ordonnance de référé et sur l’office du juge des référés face au mécanisme de garantie salariale.

Les faits tiennent en peu de points utiles. Engagé en 2010, le salarié a saisi en 2016 la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation. En mars 2017, il a pris acte de la rupture. La liquidation judiciaire de l’employeur est intervenue en mai 2017. Un jugement de 2018 a prononcé la résiliation aux torts de l’employeur, puis un jugement de 2023 a fixé les créances au passif et déclaré la décision opposable à l’institution de garantie.

La procédure est dense mais claire. En 2024, une instance de référé a été introduite pour obtenir l’avance des créances. Par ordonnance d’août 2024, le conseil de prud’hommes a renvoyé le salarié à mieux se pourvoir. Deux appels ont été interjetés, l’un contre l’institution de garantie, l’autre contre l’organe de la procédure collective. La cour a ultérieurement révoqué les clôtures, ordonné les mises en cause utiles, puis joint les instances avant de statuer.

La question centrale comportait deux volets. D’une part, déterminer si l’ordonnance de référé statuait exclusivement sur la compétence, entraînant l’« appel compétence » à jour fixe, ou si une voie d’appel ordinaire s’imposait. D’autre part, apprécier dans quelle mesure le juge des référés peut, à la lumière des articles L. 3253-8 et L. 3253-15 du code du travail, ordonner l’avance des créances fixées par décision exécutoire malgré la clôture de la liquidation et les délais de garantie. La cour répond que l’appel ordinaire était recevable et dévolutif. Sur le fond, elle retient l’existence d’un trouble manifestement illicite et ordonne l’avance des créances selon relevé complémentaire, après avoir fixé la date de rupture au jour de la prise d’acte antérieure à la liquidation.

I – Le traitement processuel de l’ordonnance de référé et ses conséquences

A – L’ordonnance ne statuait pas exclusivement sur la compétence

La cour refuse de qualifier l’ordonnance comme une décision se prononçant uniquement sur la compétence au sens des articles 83 et suivants du code de procédure civile. Elle relève que le dispositif se borne à un renvoi à mieux se pourvoir, sans désigner une juridiction de renvoi, ce qui caractérise l’absence des conditions du référé plutôt qu’une incompétence. Elle énonce ainsi, en des termes clairs, que « Ainsi, et sans qu’il soit nécessaire de suivre plus avant les parties dans le détail de leur argumentation, l’ordonnance de référé du conseil de prud’hommes relève donc de la procédure ordinaire d’appel et ne peut être soumis aux dispositions des articles 83 et suivants du code de procédure civile qui disposent pour les seuls jugements statuant exclusivement sur la compétence. »

Cette qualification ferme l’argumentation tenant à la procédure d’« appel compétence » et à l’absence d’effet dévolutif. L’appel ordinaire conserve ici son office naturel, la cour étant saisie des chefs expressément critiqués, avec réformation possible du renvoi à mieux se pourvoir.

B – Jonction des instances et effet utile de la régularisation

La cour ordonne la jonction des deux appels formés contre la même ordonnance, dans un souci d’économie et de cohérence. L’énoncé est net : « Dès lors, dans le souci d’une bonne administration de la justice, il convient d’ordonner la jonction des deux instances dans les termes du dispositif. » La mise en cause de l’organe de la procédure collective a été régularisée en temps utile, neutralisant toute cause de nullité ou de caducité.

Cette approche processuelle, sobre et rigoureuse, sécurise l’office de la cour. Elle permet l’examen du fond du référé sans obstacle formel, tout en rappelant que l’effet dévolutif dépend de la critique des chefs de dispositif clairement identifiés par l’appelant.

II – L’office du juge des référés face à la garantie salariale

A – Le périmètre de l’urgence et l’absence d’action directe au paiement

Le juge des référés ne peut suppléer les conditions d’une action directe contre l’institution de garantie lorsque l’obligation est sérieusement contestée. La cour rappelle l’exacte mesure du trouble manifestement illicite en référé, dans une formule didactique et utile au praticien : « En application de la disposition précitée, le trouble manifestement illicite résulte d’un fait matériel ou juridique qui constitue une violation évidente d’une norme obligatoire dont l’origine peut être contractuelle, législative ou réglementaire, l’appréciation du caractère manifestement illicite du trouble invoqué, relevant du pouvoir souverain du juge des référés. »

En ce sens, elle écarte la demande principale de paiement direct, appréciant l’existence d’une contestation sérieuse et rappelant la jurisprudence qui refuse au salarié une action directe au paiement contre l’institution de garantie. Cette ligne est conforme à la solution de la chambre sociale du 18 novembre 2020 (n° 19-19.795), qui cantonne l’intervention de la garantie au relevé établi par le mandataire ou à l’exécution d’une décision exécutoire, hors action directe autonome.

B – La date de rupture, le trouble illicite et l’avance selon l’article L. 3253-15

La solution positive naît d’un double mouvement, à la fois factuel et normatif. D’abord, la cour détermine la date de la rupture. Elle rappelle le principe, dans une formule de portée générale qui s’impose avec constance : « En cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la prise d’effet ne peut être fixée qu’à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu’à cette date le contrat de travail n’a pas été rompu et que le salarié est toujours au service de son employeur. » Or, le salarié avait pris acte de la rupture en mars 2017, de sorte que le contrat n’existait plus lors du jugement de 2018. La date de rupture est donc fixée au jour de la prise d’acte, antérieurement au jugement d’ouverture de la liquidation.

Ensuite, la cour articule cette chronologie avec la mécanique de la garantie. Elle rappelle que l’institution doit avancer les sommes correspondant à des créances établies par une décision exécutoire, y compris lorsque les délais de garantie sont expirés, et que ces décisions sont de plein droit opposables à l’association de garantie. L’intervention ne s’opère cependant pas par paiement direct en dehors du circuit légal, mais par la voie du relevé complémentaire. La solution prend ainsi la forme d’une injonction fonctionnelle : l’institution de garantie est tenue d’avancer, sur relevé complémentaire du mandataire ad hoc, les sommes fixées par le jugement de 2023 déclaré opposable, intérêts au taux légal courant à compter de l’arrêt.

Cette démarche ménage l’équilibre entre l’office restreint du juge des référés et l’impératif d’effectivité de la garantie salariale. La reconnaissance du trouble manifestement illicite repose sur le refus persistant d’avancer des créances judiciairement établies, alors même que la date de rupture retenue situe la naissance des créances dans le périmètre légal de la garantie. La cour refuse l’astreinte, faute de circonstances compromettant l’exécution, et écarte les dommages-intérêts pour résistance abusive en l’absence de mauvaise foi avérée.

L’arrêt illustre enfin l’utilité d’un contrôle substantiel des décisions antérieures. Le juge des référés ne réécrit pas la fixation des créances ; il la fait vivre, dans le strict cadre de l’article L. 3253-15, grâce à un relevé complémentaire propre à surmonter la clôture de la liquidation. L’ordonnance déférée est infirmée en conséquence, les dépens étant supportés par l’institution de garantie, sans application de l’article 700 du code de procédure civile.

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Hassan KOHEN
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