Cour d’appel de Paris, le 26 juin 2025, n°25/00689

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 26 juin 2025 s’inscrit dans le contentieux des procédures collectives et illustre les conditions d’ouverture du redressement judiciaire par opposition à la liquidation judiciaire immédiate. Une société à responsabilité limitée exploitant un garage automobile avait fait l’objet d’une inscription de privilège du Trésor Public pour un montant de 117 112 euros. Le procureur de la République avait saisi le tribunal de commerce aux fins d’ouverture d’une procédure collective.

Par jugement réputé contradictoire du 11 décembre 2024, le Tribunal de commerce de Bobigny avait prononcé l’ouverture d’une liquidation judiciaire sans maintien d’activité, fixant provisoirement la date de cessation des paiements au 13 mai 2024. La société débitrice, qui n’était ni présente ni représentée à l’audience, a interjeté appel de cette décision le 19 décembre 2024. Elle contestait à titre principal l’état de cessation des paiements et sollicitait à titre subsidiaire l’ouverture d’un redressement judiciaire. Le liquidateur demandait la confirmation du jugement tandis que le ministère public, modifiant sa position initiale, préconisait l’ouverture d’un redressement judiciaire.

La question posée à la Cour était double : la société se trouvait-elle en état de cessation des paiements au sens de l’article L. 631-1 du code de commerce et, dans l’affirmative, son redressement était-il manifestement impossible au sens de l’article L. 640-1 du même code ?

La Cour d’appel de Paris infirme le jugement. Elle retient que « le passif exigible de la société […] s’établit à la somme de 106 561 euros » et que « la société […] ne justifie d’aucun actif disponible », de sorte que « l’état de cessation des paiements est caractérisé ». Elle juge néanmoins que « son redressement n’est pas manifestement impossible » au regard des éléments comptables produits et des démarches entreprises par la débitrice, ordonnant en conséquence l’ouverture d’un redressement judiciaire.

Cette décision invite à examiner successivement la caractérisation de la cessation des paiements comme condition d’ouverture de toute procédure collective (I) puis l’appréciation de la possibilité de redressement comme critère de choix entre les procédures (II).

I. La caractérisation de la cessation des paiements comme condition préalable

La Cour confirme l’existence de l’état de cessation des paiements en appliquant rigoureusement la définition légale (A), tout en procédant à une actualisation de l’appréciation du passif exigible (B).

A. L’application rigoureuse de la définition légale

L’article L. 631-1 du code de commerce définit la cessation des paiements comme « l’impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ». La Cour rappelle que « cet état [est] apprécié au jour où la juridiction statue ». Cette précision temporelle revêt une importance particulière en appel, le juge devant tenir compte des éléments nouveaux intervenus depuis le jugement de première instance.

En l’espèce, la société débitrice contestait se trouver en cessation des paiements en invoquant la progression de son chiffre d’affaires, passé de 208 161 euros en 2021 à 327 203 euros en 2023. Elle faisait également valoir que son bilan d’avril 2025 « fait apparaître un bénéfice avant impôts de 4 749 euros témoignant d’une exploitation à nouveau rentable ». La Cour écarte cette argumentation. La notion d’actif disponible ne se confond pas avec la rentabilité de l’exploitation. Un chiffre d’affaires en croissance ou un résultat bénéficiaire ne constituent pas des liquidités immédiatement mobilisables pour éteindre un passif échu. La société « ne justifie d’aucun actif disponible », ce qui suffit à caractériser l’impossibilité de faire face au passif exigible.

B. L’actualisation du passif exigible

La Cour procède à une réévaluation du passif exigible par rapport aux éléments retenus en première instance. Elle constate que ce passif « s’établit à la somme de 106 561 euros », inférieur aux 111 131 euros avancés par le liquidateur, « tenant compte du paiement de la somme de 4 569,72 euros ». Cette prise en considération d’un paiement intervenu en cours de procédure illustre le caractère dynamique de l’appréciation de la cessation des paiements.

La composition de ce passif mérite attention. Il comprend essentiellement une créance du Pôle Recouvrement Spécialisé d’un montant de 103 191,66 euros, soit une dette fiscale représentant plus de 96 % du passif exigible total. Cette concentration du passif sur un seul créancier public constitue un élément déterminant pour l’appréciation ultérieure des perspectives de redressement. La société tentait de contester l’exigibilité d’une partie de ses dettes fournisseurs, qualifiant celles-ci de « principalement non échues ». La Cour ne retient pas cet argument dans le calcul du passif exigible, les dettes fournisseurs n’étant pas intégrées dans le décompte final.

II. L’appréciation souveraine de la possibilité de redressement

La Cour infirme le jugement en retenant que le redressement n’est pas manifestement impossible, sur le fondement d’éléments comptables favorables (A) et des démarches concrètes entreprises par la débitrice (B).

A. La prise en compte d’éléments comptables favorables

L’article L. 640-1 du code de commerce subordonne l’ouverture de la liquidation judiciaire à la condition que « le redressement [soit] manifestement impossible ». Le caractère manifeste de cette impossibilité impose au juge de ne prononcer la liquidation que lorsque l’échec du redressement apparaît certain et évident. La Cour relève que « le bilan comptable de l’exercice 2024 fait apparaître un excédent de 5 387 euros et un chiffre d’affaires de 308 650 euros ». La pérennité de l’activité économique constitue ainsi un premier indice favorable.

Le ministère public, dont la position avait évolué entre la saisine initiale et l’audience d’appel, soulignait que « les bilans produits […] témoignent de la réalité de son activité et d’une amélioration de son chiffre d’affaires ainsi que de son résultat ». Cette convergence de vues entre le parquet et la société appelante sur la viabilité de l’entreprise a manifestement pesé dans l’appréciation de la Cour. La juridiction observe également que « la société a toujours honoré ses obligations sociales, à l’exception des échéances d’octobre et novembre 2024, dont le prélèvement a été suspendu en raison de l’ouverture de la liquidation judiciaire ». Le respect des obligations sociales avant l’ouverture de la procédure témoigne d’une gestion soucieuse de préserver les droits des salariés et des organismes sociaux.

B. La valorisation des démarches concrètes de régularisation

La Cour accorde une importance particulière aux initiatives prises par la débitrice pour apurer son passif fiscal. Elle relève que celle-ci « a procédé, dès le déblocage de ses comptes, à un virement de 20 000 euros au bénéfice du pôle recouvrement de la Banque de France, outre la mise en place d’un virement permanent de 3 500 euros avec exécution en fin de mois, dans le cadre d’un échéancier accepté par le SIE […], le premier virement étant déjà intervenu ». Ces éléments démontrent une volonté effective de régularisation, dépassant le stade des simples déclarations d’intention.

La Cour mentionne enfin qu’« une demande de dégrèvement de la cotisation foncière des entreprises au titre des années 2020 à 2023 pour un montant de 15 201 euros » a été engagée, en raison d’un incendie ayant endommagé les locaux. Elle estime que « ce dégrèvement, s’il est accordé, permettrait de diminuer la durée du plan envisagé, ce qui conforte la perspective d’un redressement ». Cette prise en compte d’un événement futur et incertain, le dégrèvement n’étant pas encore accordé, traduit une approche bienveillante des perspectives de redressement.

La Cour conclut que « la société […] peut envisager de présenter un plan de continuation à l’issue d’une période d’observation ». Elle infirme le jugement de liquidation et ouvre un redressement judiciaire, renvoyant l’affaire devant le tribunal de commerce pour la suite de la procédure. Cette solution préserve les chances de survie de l’entreprise tout en soumettant celle-ci au contrôle d’un mandataire judiciaire durant la période d’observation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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