Cour d’appel de Paris, le 28 août 2025, n°22/16868

Rendue par la Cour d’appel de Paris le 28 août 2025, la décision commente la liquidation et le partage d’une communauté dissoute à la suite d’un divorce. Les ex‑époux possèdent un bien immobilier indivis et contestent la valeur de plusieurs postes d’actif et de passif ainsi que diverses créances, notamment celles liées au prêt immobilier, aux impôts locaux, à l’assurance habitation et à l’occupation des lieux. Le juge aux affaires familiales, par jugement du 30 juin 2022, avait fixé la valeur du bien, arrêté plusieurs créances croisées, rejeté la licitation et écarté les demandes d’indemnité d’occupation. L’appelante sollicite la licitation, l’indemnité d’occupation et la révision de plusieurs postes; l’intimé conclut à une baisse de la valeur du bien, à l’augmentation de ses créances et à une indemnité d’occupation à l’encontre de l’appelante.

L’enjeu central tient à la date pertinente d’évaluation des éléments du patrimoine et au régime juridique des créances d’indivision nées postérieurement à la dissolution de la communauté. S’y ajoutent la définition de la jouissance privative fondant l’indemnité d’occupation et la délimitation de l’office du juge liquidateur, incluant l’irrecevabilité de demandes non soulevées devant le notaire, ainsi que l’opportunité d’ordonner la licitation. La cour réforme le jugement sur plusieurs points décisifs: elle retient une valeur de 100 000 euros pour le bien, fixe une indemnité d’occupation de 31 200 euros à la charge de l’intimé, admet une créance de remboursement du prêt en sa faveur portée à 49 331,21 euros, accueille partiellement une créance de l’appelante pour des échéances récentes, infirme des postes d’impôts locaux, déboute des attributions préférentielles et ordonne la licitation avec une mise à prix de 60 000 euros. Elle appuie son raisonnement sur des normes claires: « Il résulte de l’article 829 du code civil que les biens doivent être estimés à la date de la jouissance divise, laquelle est la plus proche possible du partage »; « Selon l’article 815-13 du code civil, il doit être tenu compte à l’indivisaire des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens »; « Conformément à la jurisprudence, constitue une jouissance privative du bien la privation de droit ou de fait des autres indivisaires de jouir concurremment du bien indivis ».

I. L’encadrement des évaluations et des créances d’indivision

A. La date pertinente des évaluations et l’articulation communauté/indivision
La cour rappelle que l’évaluation des biens en vue du partage obéit au critère légal de la jouissance divise. Elle le dit explicitement: « Il résulte de l’article 829 du code civil que les biens doivent être estimés à la date de la jouissance divise, laquelle est la plus proche possible du partage. » L’état dégradé du bien, objectivé par constats et avis de valeur convergents, justifie la fixation à 100 000 euros, la cour énonçant qu’« il convient de retenir pour le bien indivis une valeur de 100 000 euros, et de réformer le jugement en ce sens ». Le rejet d’une valeur théorique antérieure ou d’estimations obsolètes renforce l’exigence d’actualisation et de réalisme économique.

Le traitement du passif communautaire est dissocié, conformément au principe de la dissolution. Le capital restant dû du prêt est arrêté à la date de l’ordonnance de non‑conciliation, ce qui évite de confondre évaluation des biens et extinction d’une dette née sous le régime communautaire. L’approche préserve l’égalité, l’excédent de remboursement après dissolution relevant des comptes d’indivision. L’articulation ainsi retenue éclaire la frontière entre communauté liquidée et indivision post‑communautaire, sans faire peser sur un seul indivisaire le risque d’un double compte.

B. La jouissance privative et l’indemnité d’occupation: preuve et quantum
La cour définit la jouissance privative en se référant à la privation corrélative des autres indivisaires: « Conformément à la jurisprudence, constitue une jouissance privative du bien la privation de droit ou de fait des autres indivisaires de jouir concurremment du bien indivis. » Les éléments produits établissent l’absence durable d’accès de l’appelante, tandis que l’intimé a conservé les clés ou organisé des visites sans concertation. Cette privation de fait suffit, même en l’absence d’occupation matérielle continue.

Quant au montant, la méthode suivie est pragmatique. La cour retient une valeur locative mensualisée de 600 euros, applique l’abattement usuel de 20 % lié à la précarité, puis fixe « une indemnité mensuelle […] à 480 euros, soit pour la période la somme totale de 31 200 euros ». La réduction par rapport à l’évaluation notariale initiale tient à la dégradation des lieux, ce qui manifeste un usage circonstancié de l’appréciation souveraine. En miroir, les prétentions adverses d’indemnité d’occupation sont déclarées irrecevables faute d’avoir été soulevées devant le notaire, garantissant une discipline procédurale cohérente.

II. L’office du juge liquidateur et la conduite du partage

A. La discipline de l’instance et les irrecevabilités attachées à l’article 1374 CPC
La décision réaffirme l’unicité de l’instance de partage et la nécessaire concentration des demandes devant le notaire commis. Elle cite: « Conformément à l’article 1374 du code de procédure civile, […] Toute demande distincte est irrecevable à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne soit révélé que postérieurement à l’établissement du rapport par le juge commis. » Les demandes nouvelles sur l’indemnité d’occupation, non présentées dans le procès‑verbal de difficultés, sont donc irrecevables.

Cette rigueur s’étend à la portée de la saisine de la cour, limitée au dispositif des écritures, et au rappel selon lequel le juge ne statue pas par voie d’attribution hors des cas d’attribution préférentielle. Le cadre garantit la lisibilité des opérations: au juge le règlement des désaccords de consistance et de créances; au notaire la liquidation chiffrée et la ventilation finale, sous contrôle du juge en cas de contestation ciblée.

B. La licitation judiciaire et l’échec des attributions préférentielles
Les demandes d’attributions préférentielles, généralisées à l’ensemble des postes d’actif et même à des passifs, sont écartées car étrangères aux cas limitativement prévus par les articles 831 à 834 du code civil. Le rappel des conditions protège la finalité de l’institution, qui ne saurait couvrir des comptes bancaires, une indemnité d’assurance, un solde débiteur ou l’extinction d’un prêt, et suppose en outre un usage effectif du logement ou une nécessité professionnelle réelle.

La cour ordonne la vente judiciaire en se référant au texte: « Aux termes de l’article 1377 du code de procédure civile, le tribunal ordonne dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent facilement être partagés. » La mise à prix est motivée par une considération économique explicite: « Le montant de celle-ci doit être suffisamment attractif pour attirer un nombre suffisant d’enchérisseurs […] sans toutefois faire encourir le risque d’une vente du bien à vil prix. » Fixée à 60 000 euros, elle concilie l’attrait des enchères et la protection contre une aliénation dévalorisée, après fixation d’une valeur vénale actualisée à 100 000 euros.

L’ensemble compose une solution structurée. La valeur du bien et la date d’évaluation suivent l’article 829, tandis que le passif communautaire est arrêté à la dissolution, les remboursements postérieurs basculant en créances d’indivision fondées sur l’article 815‑13. La notion de jouissance privative est appliquée avec réalisme probatoire. La discipline de l’instance, fidèle à l’article 1374, évite des dérives contentieuses. Enfin, la licitation rétablit la fluidité du partage lorsque l’attribution préférentielle est inadaptée et que l’indivision ne peut plus prospérer.

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Hassan KOHEN
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