Cour d’appel de Paris, le 28 août 2025, n°23/07891

La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 28 août 2025, tranche une question classique du droit des successions relative à la caducité d’un legs particulier lorsque le bien légué a été aliéné par le tuteur du testateur. Une testatrice avait, par testament authentique du 7 décembre 2011, institué une association légataire universelle et légué à une autre association sa maison, à charge pour celle-ci de participer à la rénovation d’une école. Cette maison fut vendue en 2019 par la tutrice de la testatrice, sur autorisation du juge des tutelles, afin de subvenir aux frais de son séjour en établissement. Le produit de la vente demeura sur ses comptes bancaires jusqu’à son décès en 2020. Le testament prévoyait également un legs particulier des avoirs bancaires au profit de deux autres associations.

La légataire universelle et les exécuteurs testamentaires assignèrent les légataires des avoirs bancaires en exécution du testament. Ils soutenaient que le legs de la maison n’était pas caduc et devait s’exercer par subrogation réelle sur le solde du prix de vente. Le Tribunal judiciaire de Créteil, par jugement du 10 mars 2023, leur donna raison, considérant que la volonté de la testatrice était de financer des travaux et que le solde du prix de vente pouvait remplacer le legs sur la maison. Les légataires des avoirs bancaires interjetèrent appel.

La question posée à la cour était de déterminer si le legs d’un immeuble vendu par le tuteur du testateur, de son vivant, peut produire effet sur le prix de vente par le mécanisme de la subrogation réelle. La cour infirme le jugement. Elle juge que le legs particulier de la maison est caduc par application de l’article 1042 du Code civil, la vente par la tutrice équivalant à la perte de la chose léguée. Elle refuse toute subrogation réelle sur le prix de vente.

La solution retenue par la cour s’inscrit dans une jurisprudence constante refusant au légataire particulier tout droit sur le prix de l’immeuble aliéné par le représentant du testateur (I). Elle confirme par ailleurs l’interdiction de dénaturer les clauses testamentaires claires en recherchant une volonté supposée du testateur (II).

I. Le refus de tout droit du légataire sur le prix de l’immeuble aliéné par le tuteur

La cour applique rigoureusement les règles gouvernant la caducité des legs (A) et écarte expressément le mécanisme de la subrogation réelle (B).

A. L’application orthodoxe de la caducité pour perte de la chose léguée

La Cour d’appel de Paris rappelle que selon l’article 1042 du Code civil, « le legs sera caduc si la chose léguée a totalement péri pendant la vie du testateur ». Elle énonce ensuite qu’« il est de longue date établi que l’aliénation régulière par le tuteur d’un majeur protégé d’un bien immobilier que celui-ci avait légué par un testament antérieur à la mesure de protection, si elle ne peut être considérée comme opérant révocation du legs, enlève du moins tout effet à ce legs par un retranchement de la succession équivalent à la perte de la chose léguée au sens de l’article 1042 du code civil, et le légataire ne peut obtenir aux lieu et place de l’immeuble légué le prix de cet immeuble ».

Cette solution distingue nettement l’aliénation par le tuteur de celle opérée par le testateur lui-même. L’article 1038 du Code civil prévoit que l’aliénation par le testateur emporte révocation du legs. La jurisprudence considère que cette révocation traduit une volonté de reprendre ce qui avait été donné. Le tuteur, en revanche, agit pour les besoins du majeur protégé et non pour exprimer une quelconque intention révocatoire. La cour précise que « la testatrice, majeure placée sous tutelle au moment de la vente, n’a pas pu manifester une quelconque intention révocatoire ». La vente n’emporte donc pas révocation mais produit un effet identique quant au sort du legs.

La cour se fonde explicitement sur deux arrêts de la Cour de cassation. Elle cite l’arrêt du 30 juin 2004 selon lequel « du fait de la disparition du bien au jour du décès du testateur par suite de sa vente par son représentant légal, le legs, portant sur un corps certain et non sur sa contre-valeur en argent, ne peut produire effet ». Elle mentionne également l’arrêt du 19 décembre 2012 qui qualifie expressément le legs de caduc. Cette constance jurisprudentielle interdit toute hésitation sur la solution applicable.

B. Le rejet du mécanisme de la subrogation réelle

Le tribunal de première instance avait admis que le legs de la maison « s’exercera à titre de subrogation réelle sur le solde du produit de sa vente ». Il avait considéré que la volonté de la testatrice était de permettre le financement de travaux et que le solde du prix pouvait « efficacement remplacer le legs sur la maison en raison de la nature de la charge adossée à ce legs ». La cour infirme cette analyse.

La subrogation réelle permet en principe qu’un bien se substitue à un autre dans un patrimoine. Elle joue notamment en matière d’indivision ou de régimes matrimoniaux. Son application aux legs supposerait que le prix de vente prenne la place du bien légué. La cour rejette cette thèse en relevant que le legs portait sur « un corps certain et non sur sa contre-valeur en argent ». Le testament désignait précisément « ma maison située à [Localité] (Val de Marne) ». Il ne visait pas le produit éventuel de sa vente ni une créance quelconque.

La cour énonce que « l’existence de charges n’étant pas de nature à modifier l’objet du legs ». Le fait que la testatrice ait affecté une charge au legs, en l’occurrence la participation à des travaux de rénovation, ne transforme pas le legs d’un corps certain en legs de somme d’argent. La charge demeure accessoire à l’objet principal. Sa nature ne saurait contaminer celle du legs lui-même. Cette distinction entre l’objet du legs et sa charge revêt une importance pratique considérable. Elle empêche de déduire de la finalité économique du legs une modification de son objet juridique.

II. L’interdiction de dénaturer les clauses testamentaires claires

La cour refuse toute interprétation des dispositions testamentaires litigieuses (A) et en tire les conséquences sur la délivrance des legs particuliers (B).

A. Le respect de la lettre du testament authentique

La Cour d’appel de Paris rappelle l’article 1192 du Code civil selon lequel « on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation ». Elle relève que le testament, « établi avec les conseils d’un notaire, ne présente, quant aux legs, aux conditions, aux charges et aux bénéficiaires, ni imprécision, ni ambiguïté ». Elle en déduit que « les clauses discutées de ce testament ne nécessitent aucune interprétation, au risque de leur dénaturation ».

Le tribunal de première instance avait pourtant procédé à une interprétation créatrice. Il avait recherché la « volonté de la défunte » et estimé que le solde du prix de vente pouvait remplacer le legs. La cour censure cette démarche. Elle refuse de « rechercher la volonté supposée de la testatrice sur ce point ». L’interprétation judiciaire ne peut suppléer la clarté des termes testamentaires. Lorsque le testament désigne sans équivoque un corps certain, le juge ne saurait lui substituer une somme d’argent au motif que cette substitution servirait mieux la finalité économique supposée du legs.

Cette rigueur s’explique par la nature même du testament. L’acte de dernières volontés constitue un acte unilatéral dont l’auteur ne peut plus s’expliquer. Seule la lettre du document permet de connaître sa volonté. Admettre une interprétation extensive reviendrait à réécrire le testament sous couvert de respecter l’intention du testateur. Le notaire instrumentaire avait précisément pour mission de traduire la volonté de la testatrice en termes juridiquement exacts. Le juge doit respecter ce travail de formulation.

B. Les conséquences sur la délivrance des legs particuliers

La caducité du legs de la maison produit des effets en cascade sur les autres dispositions testamentaires. Le produit de la vente était demeuré sur les comptes bancaires de la testatrice. Ces comptes faisaient l’objet d’un legs particulier au profit de deux associations. Le tribunal avait ordonné la délivrance des avoirs bancaires « déduction faite de la somme de 406 624,30 euros » correspondant au solde du prix de vente. La cour réforme cette disposition.

La cour énonce que « les associations [légataires des avoirs bancaires] ont formulé leur demande en délivrance de leurs legs » conformément à l’article 1014 du Code civil. Elle ordonne à la légataire universelle de délivrer « l’intégralité des avoirs bancaires » à l’exception du coffre et de la somme de 10 000 euros prévue pour les frais de succession, « mais sans déduction de la somme de 406 624,30 euros ». Le prix de vente, fondu dans les avoirs bancaires, suit le sort de ces derniers.

Cette solution s’impose logiquement. Le legs des avoirs bancaires était clair et complet. Il visait « l’intégralité de mes avoirs bancaires » sous les seules réserves expressément mentionnées. Le produit de la vente de la maison, une fois déposé sur les comptes, est devenu un avoir bancaire comme un autre. Le légataire de la maison n’ayant plus aucun droit sur le prix, ce dernier appartient intégralement aux légataires des comptes. La cour précise qu’à défaut de délivrance dans les deux mois de la signification de l’arrêt, celui-ci tiendra lieu de délivrance. Cette disposition assure l’exécution effective de la décision et protège les légataires contre toute inertie de la légataire universelle.

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Hassan KOHEN
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