Cour d’appel de Paris, le 28 août 2025, n°23/08459

Par un arrêt du 28 août 2025, la Cour d’appel de Paris a statué sur le partage judiciaire des intérêts patrimoniaux de deux anciens époux mariés sous le régime de la séparation de biens. Cette décision aborde la question des créances entre indivisaires et celle de l’indemnité d’occupation due par l’un d’eux.

Les faits sont les suivants. Deux personnes se sont mariées le 29 mai 1993 sous le régime de la séparation de biens. Une ordonnance de non-conciliation a été rendue le 3 juillet 2014, suivie d’une seconde le 24 août 2017 après caducité de la première. Le divorce a été prononcé par jugement du 7 mai 2019. Par acte du 18 mai 2021, l’un des ex-époux a assigné l’autre aux fins de liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux.

Par jugement du 23 mars 2023, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Paris a ordonné le partage judiciaire et désigné un notaire pour y procéder. Il a reconnu au profit de l’ex-époux une créance de 22 012,85 euros au titre du remboursement de l’emprunt contracté pour un bien situé en province. Il a également jugé que l’ex-épouse était redevable envers l’indivision d’une indemnité d’occupation fixée à 80 % de la valeur locative d’un appartement, depuis la seconde ordonnance de non-conciliation.

L’ex-épouse a interjeté appel le 4 mai 2023. Elle a sollicité la reconnaissance de créances à son profit au titre d’échéances de prêt, de loyers perçus par son ancien conjoint et de contrats d’assurance-vie nantis en garantie des emprunts. Elle a également contesté tant la créance de son ex-époux que l’indemnité d’occupation mise à sa charge. L’intimé a conclu à l’irrecevabilité des demandes nouvelles et à la confirmation du jugement.

Plusieurs questions se posaient à la cour. Des demandes formulées pour la première fois en appel dans le cadre d’un partage judiciaire sont-elles recevables au regard de l’article 564 du code de procédure civile ? Un indivisaire peut-il revendiquer une créance au titre de capitaux placés sur des contrats d’assurance-vie souscrits par l’autre indivisaire, lorsque ces contrats ont été nantis en garantie d’emprunts indivis ? Enfin, dans quelles conditions un indivisaire est-il redevable d’une indemnité d’occupation au sens de l’article 815-9 du code civil ?

La Cour d’appel de Paris a déclaré recevables les demandes nouvelles de l’appelante, tout en les rejetant au fond. Elle a confirmé la créance de l’intimé et le principe de l’indemnité d’occupation, mais a réduit celle-ci de 80 % à 70 % de la valeur locative du bien.

La question de la recevabilité des demandes nouvelles en matière de partage mérite une attention particulière, la cour ayant fait application des règles propres à cette matière (I). L’examen au fond révèle une application rigoureuse du régime de l’indivision, tant pour les créances entre indivisaires que pour l’indemnité d’occupation (II).

I. La recevabilité des demandes nouvelles en matière de partage

L’exception au principe de prohibition des demandes nouvelles trouve son fondement dans la nature particulière de l’instance en partage (A), ce qui conduit la cour à admettre des prétentions formulées pour la première fois en appel (B).

A. Le fondement de l’exception tirée de la nature de l’instance en partage

La cour rappelle le principe posé par l’article 564 du code de procédure civile selon lequel les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, sauf exceptions limitativement énumérées. Elle écarte toutefois son application stricte en invoquant l’article 1374 du code de procédure civile propre au partage.

Cette disposition prévoit que « les demandes faites entre les mêmes parties, qu’elles émanent du demandeur ou du défendeur, ne constituent qu’une seule instance ». La cour en déduit qu’en matière de partage, « les parties sont respectivement demanderesses et défenderesses quant à l’établissement de l’actif et du passif ».

Cette conception unitaire de l’instance en partage repose sur l’idée que la liquidation d’une indivision forme un tout indivisible. Chaque copartageant a vocation à faire valoir ses droits sur la masse commune et à contester ceux de l’autre. La détermination définitive des créances et dettes réciproques ne peut intervenir qu’au terme des opérations de partage.

La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Elle permet d’éviter que le jeu de l’effet dévolutif de l’appel ne prive un indivisaire de la possibilité de faire valoir une créance découverte ou évaluée tardivement. La souplesse procédurale ainsi consacrée apparaît conforme à la finalité même du partage, qui est d’aboutir à une répartition équitable des droits de chacun.

B. L’admission de prétentions formulées pour la première fois en appel

L’intimé soutenait que les demandes de l’appelante au titre des échéances de prêt, des loyers et des assurances-vie constituaient des prétentions nouvelles irrecevables. Il invoquait notamment l’atteinte au double degré de juridiction.

La cour écarte cette argumentation au motif que « toute demande doit être considérée comme une défense à la prétention adverse » en matière de partage. Elle relève au surplus que l’intimé avait lui-même évoqué devant le premier juge une créance potentielle de l’appelante, ce qui établissait que la question avait été débattue.

Cette approche mérite approbation. Le principe du double degré de juridiction ne saurait faire obstacle à l’examen complet des droits des copartageants. La nature déclarative du partage implique que le juge statue sur l’ensemble des éléments de la masse à partager, même soulevés tardivement.

La recevabilité ne préjuge pas du bien-fondé. La cour déclare les trois demandes de l’appelante recevables avant de les rejeter au fond pour défaut de preuve. Cette dissociation entre l’examen de la recevabilité et celui du mérite traduit une rigueur procédurale qui préserve les droits des parties tout en sanctionnant l’insuffisance probatoire.

II. L’application du régime de l’indivision aux créances et à l’occupation

La cour fait une application rigoureuse des règles relatives aux créances entre indivisaires en exigeant une preuve complète (A), puis confirme le principe de l’indemnité d’occupation tout en modulant son quantum (B).

A. L’exigence probatoire appliquée aux créances entre indivisaires

S’agissant des créances revendiquées par l’appelante, la cour rappelle qu’« en application de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

Pour les échéances de prêt, l’appelante « n’apporte aucune preuve du paiement de ses deniers personnels » de la somme alléguée. Pour les loyers, elle « ne formule aucun montant à ses demandes, ni aucun élément de preuve des locations ». Pour les assurances-vie, le rapport définitif du notaire établit que « les capitaux figurant sur ces contrats d’assurance-vie appartiennent personnellement » à l’intimé.

La solution relative aux assurances-vie mérite une attention particulière. L’appelante soutenait que le nantissement de ces contrats en garantie d’emprunts indivis les avait rendus indivis. La cour rejette cette analyse : « le fait que ces contrats aient été nantis par [l’intimé] en garantie d’un prêt indivis pour l’acquisition d’un bien également indivis n’a aucunement pour effet de rendre indivis les capitaux déposés ».

Cette position s’inscrit dans la logique du régime de la séparation de biens. Le nantissement constitue une sûreté qui n’emporte pas transfert de propriété. Les capitaux demeurent personnels au souscripteur, quand bien même ils garantiraient une dette commune. La confusion entre affectation en garantie et appropriation aurait conduit à une dénaturation du régime matrimonial choisi par les époux.

B. La modulation de l’indemnité d’occupation fondée sur l’équité

L’article 815-9, alinéa 2, du code civil dispose que « l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité ». La cour confirme que l’appelante doit cette indemnité depuis la seconde ordonnance de non-conciliation du 24 août 2017.

L’appelante contestait toute occupation personnelle, invoquant un bail consenti à sa mère dès le 24 décembre 2005. La cour écarte cette argumentation après un examen circonstancié des preuves. Elle relève que l’appelante a déclaré se domicilier dans l’appartement tout au long de la procédure de divorce, qu’elle n’a pas contesté le jugement rectificatif rétablissant cette adresse et qu’elle a affirmé dans des courriers qu’elle « n’était pas installée aux USA ».

Les attestations produites sont jugées contradictoires entre elles. Le bail invoqué est considéré insuffisant faute de preuve du versement effectif de loyers à l’indivision. La cour précise utilement que « l’occupation exclusive et privative du bien indivis peut être constatée quand bien même celui-ci ne constitue pas la résidence principale de l’indivisaire occupant ».

La cour réforme néanmoins le jugement sur le quantum. Elle réduit l’indemnité de 80 % à 70 % de la valeur locative « compte tenu des circonstances familiales particulières de l’occupation ». Cette modulation traduit le pouvoir d’appréciation du juge dans la fixation de l’indemnité. La précarité de l’occupation et la situation personnelle de l’indivisaire peuvent justifier un abattement sur la valeur locative théorique.

Cette réduction de dix points, sans être considérable, témoigne d’une prise en compte de l’équité. L’hébergement de la mère de l’appelante dans les lieux, même s’il ne fait pas disparaître l’occupation privative, constitue une circonstance atténuante retenue par la cour.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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