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Cour d’appel de Paris, 28 août 2025. Le litige naît d’un concubinage entamé en 2006, vécu dans un immeuble propre à l’une des parties, avec compte joint, travaux et emprunts communs. Le concubin s’est suicidé en 2014. Son héritier réclame la restitution de diverses sommes virées ou affectées pendant la vie commune, la moitié d’un remboursement d’assurance emprunteur, une quote-part de plus-value, ainsi que le salaire du mois précédant le décès.
Tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes, 13 février 2023, déboutant la demande principale de restitution et la reconventionnelle en dommages-intérêts, avec condamnation au titre de l’article 700. Appel formé par l’héritier, sollicitant 118 573,30 euros au titre de l’enrichissement injustifié et des dommages-intérêts, l’intimée concluant à la confirmation, avec appel incident en réparation morale. La question posée tient au régime de l’enrichissement injustifié entre concubins, à la qualification d’une créance salariale payée après le décès, et à la responsabilité délictuelle alléguée. La cour confirme l’essentiel, rejette les prétentions relatives aux travaux, aux emprunts, à l’assurance et à la plus-value, mais accueille la demande portant sur le salaire de juin, à hauteur de 1 864,30 euros, tout en écartant les demandes de dommages-intérêts.
I – Le sens de la décision: enrichissement injustifié et concubinage
A – Conditions et charge de la preuve
La cour réaffirme d’abord la lettre et l’économie de l’action. Elle rappelle que « Aux termes de l’article 1303 du code civil, en dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement ». Elle enchaîne par le quadriptyque classique: « Il résulte tant des textes que de la jurisprudence que, tant avant qu’après la réforme introduite par l’ordonnance du 10 février 2016, un enrichissement sans cause ou injustifié n’est caractérisé que si sont établis par la partie qui l’invoque un enrichissement du défendeur, un appauvrissement du demandeur, une corrélation entre ces derniers et une absence de fondement ou de justification ».
S’agissant de la contribution aux charges de la vie commune, la solution se place dans la continuité. La cour cite que « il est constant qu’aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d’eux doit, en l’absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a exposées (notamment: Cass. civ. 1re, 28 novembre 2006, n° 04-15480) ». Dès lors, les virements sur compte joint, sur lesquels le concubin conservait la libre disposition, ne suffisent pas à établir un appauvrissement corrélatif. L’analyse écarte aussi les paiements de travaux d’amélioration, le juge rappelant qu’« il est admis que ne constitue pas un enrichissement sans cause le fait pour un concubin d’avoir, dans son intérêt personnel, financé des travaux de rénovation dans le bien immobilier appartenant à sa compagne avec l’intention de s’installer dans l’immeuble avec elle » (Cass. civ. 1re, 24 septembre 2008, n° 07-11928). Le bénéfice personnel tiré de l’occupation gratuite du logement commun fait ici contrepartie suffisante.
B – Prêts, assurance et plus-value
La cour distingue utilement entre les échéances d’emprunt, le jeu de l’assurance emprunteur et la plus-value à la revente. Pour les échéances, elle reprend une formule éprouvée: « il est admis, en cas d’emprunt immobilier souscrit par deux concubins pour l’acquisition d’un bien immobilier par l’un d’eux, que dès lors que les paiements effectués par le concubin non propriétaire trouvent leur contrepartie dans l’hébergement gratuit dont il a bénéficié chez son concubin, le premier n’est pas fondé à réclamer une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause » (Cass. civ. 1re, 6 novembre 2013, n° 12-26568). L’occupation gratuite constitue la justification, neutralisant l’exigence de restitution.
Concernant le remboursement du capital restant dû par l’assureur, la cour constate l’absence d’appauvrissement, la prestation étant affectée à l’extinction de la dette auprès de la banque et ne diminuant pas le patrimoine successoral. Elle le dit sans détour: « En l’absence d’appauvrissement, cette prétention doit également être rejetée ». La demande relative à une fraction de plus-value est enfin écartée, le bien étant demeuré personnel, sans corrélation démontrée avec un appauvrissement du concubin non propriétaire.
La solution se dégage ainsi avec constance: en concubinage, la logique de contrepartie prime, et la preuve stricte des quatre conditions reste décisive.
II – Valeur et portée: créance salariale, responsabilité délictuelle et enseignements
A – Créance salariale post mortem et restitution
L’arrêt retient une solution nette sur le salaire de juin payé tardivement sur le compte joint le jour du décès. Le versement, bien qu’issu d’un travail antérieur, est qualifié de créance personnelle existant à l’ouverture de la succession; son inscription au crédit du compte commun ne modifie ni sa nature ni son titulaire. Le maintien de cette somme par l’ancienne concubine caractérise un enrichissement injustifié, en raison de l’appauvrissement corrélatif de la succession et de l’absence de cause valable. La condamnation à restitution pour 1 864,30 euros illustre une frontière claire: lorsque la créance est née au profit du défunt et exigible à la date du décès, son montant entre à l’actif successoral.
Cette solution est opportune. Elle protège l’intégrité du gage des héritiers contre les effets de trésorerie d’un compte joint, sans remettre en cause la neutralité générale des flux de vie commune. Elle trace une ligne de partage pragmatique entre obligations communes et droits patrimoniaux strictement personnels.
B – Enseignements et limites: responsabilité morale et frais irrépétibles
Sur la responsabilité délictuelle alléguée, la cour rappelle la trinité classique. « Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Et encore: « Pour l’application de ce texte, doivent être établis une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la première et le second ». À défaut d’éléments probants d’une faute imputable et d’un lien direct avec le présent contentieux, la demande de dommages-intérêts est rejetée. La rupture d’un concubinage ne constitue pas, en elle-même, un fait fautif, sauf circonstances démontrées.
Enfin, la décision sur les dépens et les frais non compris s’inscrit dans une appréciation d’équité. La cour retient que « Eu égard à l’équité et aux circonstances du litige, il n’y pas lieu de faire droit, au profit de l’une ou l’autre des parties, à leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ». Ce choix conforte la tonalité mesurée de l’arrêt: fermeté quant aux conditions de l’enrichissement injustifié; prudence sur la mise en jeu d’une responsabilité morale.
Ainsi s’esquisse une jurisprudence cohérente. Elle confirme le régime exigeant de l’enrichissement injustifié entre concubins, tout en garantissant la restitution des créances successorales indûment conservées, selon une logique de corrélation et d’absence de cause.