Cour d’appel de Paris, le 28 août 2025, n°24/10901

La cessation des paiements constitue le critère déterminant de l’ouverture des procédures collectives. La fixation de sa date revêt une importance considérable puisqu’elle conditionne l’étendue de la période suspecte durant laquelle certains actes peuvent être annulés. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 28 août 2025, apporte des précisions sur l’appréciation de cet état et sur l’incidence des apports en compte courant d’associé.

Une société exerçant une activité de mise en relation via une application web et exploitant des instituts de beauté a fait l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire prononcé le 2 février 2022 par le Tribunal de commerce de Paris. Ce jugement fixait provisoirement la date de cessation des paiements au 18 janvier 2022, correspondant à la déclaration de cessation des paiements. Le liquidateur judiciaire a sollicité le report de cette date au 2 août 2020, invoquant l’existence de créances impayées antérieures. Par jugement du 6 juin 2024, le tribunal a fait droit à cette demande. La société débitrice a interjeté appel, contestant la réalité de l’état de cessation des paiements à la date retenue. Elle invoquait notamment les apports réguliers en compte courant effectués par son associée unique et l’existence de litiges avec certains créanciers. Le liquidateur sollicitait la confirmation du jugement, faisant valoir que l’actif disponible était insuffisant pour faire face au passif exigible.

La question posée à la Cour était de déterminer si une société dont le passif exigible excède l’actif disponible peut échapper à l’état de cessation des paiements lorsque son associé procède à des apports réguliers en compte courant sans pour autant régler les dettes exigibles.

La Cour d’appel de Paris confirme le jugement et retient la date du 2 août 2020 comme date de cessation des paiements. Elle constate que le passif exigible s’élevait à 39 244,60 euros contre un actif disponible de 24 392,33 euros. Elle juge que les apports en compte courant, bien que substantiels, n’ont pas permis de régler les dettes exigibles et ne constituent donc pas une réserve de crédit au sens de l’article L. 631-1 du Code de commerce.

Cette décision mérite attention tant dans sa méthode de caractérisation de la cessation des paiements (I) que dans son appréciation des moyens invoqués pour y échapper (II).

I. La caractérisation rigoureuse de l’état de cessation des paiements

La Cour procède à une application méthodique du critère légal (A) avant de vérifier la persistance de cet état dans le temps (B).

A. L’application du critère légal de comparaison actif-passif

La Cour rappelle la définition légale issue de l’article L. 631-1 du Code de commerce selon laquelle la cessation des paiements se définit comme « l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ». Cette définition, qui résulte de la loi du 26 juillet 2005, a substitué au critère économique de l’entreprise en difficulté un critère comptable plus objectif.

L’arrêt procède à une analyse précise des éléments d’actif et de passif. Concernant l’actif disponible, la Cour retient la somme de 24 392,33 euros constituée des soldes bancaires. Elle écarte l’argumentation de la société débitrice qui contestait l’existence d’un solde créditeur sur l’un des comptes bancaires. La juridiction fait preuve de pragmatisme en retenant les éléments fournis par le liquidateur, démontrant que la charge de la preuve de l’inexistence du passif ou de l’existence d’un actif supérieur incombe au débiteur qui conteste l’état de cessation des paiements.

Concernant le passif exigible, la Cour procède à un recensement minutieux des créances. Elle retient notamment une créance de loyers de 17 667,09 euros, diverses factures de travaux et de prestations. L’arrêt précise que « sans même retenir les factures » d’un créancier avec lequel existait un litige, le passif exigible s’élevait à 39 244,60 euros. Cette précision méthodologique révèle la prudence de la Cour qui fonde sa décision sur les seules créances incontestables.

B. La vérification de la persistance de l’état de cessation des paiements

La Cour ne se contente pas de constater l’insuffisance d’actif à une date donnée. Elle vérifie que cet état s’est prolongé dans le temps, écartant ainsi l’hypothèse d’une difficulté ponctuelle de trésorerie. L’arrêt relève que « l’absence de paiement du passif détaillé ci-dessus comme étant dû au 2.08.2020 ainsi que l’apparition de nouvelles dettes postérieurement au 2.08.2020 démontre que l’état de cessation des paiements s’est poursuivi postérieurement au 2.08.2020 et n’était pas une situation ponctuelle ».

Cette exigence de continuité répond à une préoccupation jurisprudentielle constante. La cessation des paiements doit présenter un caractère durable et non constituer un simple incident de trésorerie. La Cour relève notamment l’apparition de créances sociales impayées auprès de l’URSSAF à compter d’août 2020 pour un établissement et d’octobre 2020 pour l’autre. L’accumulation des impayés corrobore le caractère structurel des difficultés.

Cette approche dynamique de la cessation des paiements permet d’éviter deux écueils : qualifier de cessation des paiements une simple gêne momentanée ou au contraire retenir une date tardive qui ne refléterait pas la réalité économique de l’entreprise.

II. Le rejet des moyens invoqués pour échapper à la cessation des paiements

La Cour écarte successivement l’argument tiré des apports en compte courant (A) et celui fondé sur l’existence de litiges avec les créanciers (B).

A. L’insuffisance des apports en compte courant d’associé

L’article L. 631-1 du Code de commerce prévoit que le débiteur n’est pas en cessation des paiements s’il « établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible ». La société débitrice invoquait les apports substantiels de son associée principale dont le compte courant était créditeur de 422 442,07 euros au 1er août 2020 et atteignait 560 980,05 euros au 31 décembre 2020.

La Cour rejette cet argument par une motivation particulièrement éclairante. Elle constate que « ces apports continus n’ont pas permis de régler les dettes dues par la société avant le 2.08.2020 ». La notion de réserve de crédit suppose une capacité effective à mobiliser des fonds pour honorer le passif exigible. Des apports, aussi importants soient-ils, qui ne sont pas affectés au paiement des créanciers ne constituent pas une réserve de crédit au sens du texte.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui distingue les réserves de crédit mobilisables des simples possibilités théoriques de financement. Un compte courant d’associé créditeur ne constitue pas en soi une réserve de crédit dès lors que les fonds ne sont pas utilisés pour désintéresser les créanciers. L’arrêt illustre ainsi la différence entre l’existence d’une source de financement et son utilisation effective pour faire face au passif.

B. L’absence de moratoire résultant des litiges avec les créanciers

La société débitrice soutenait également que certains créanciers étaient en litige avec elle. La Cour écarte cet argument de manière circonstanciée. Concernant la créance de loyers, elle relève que si la société avait engagé une action en référé pour obtenir notamment la suspension des loyers, « il résulte de l’ordonnance produite en date du 16.09.2021 après une audience de plaidoirie s’étant tenue le 8.07.2021 qu’elle a renoncé à la demande de suspension des loyers ». La Cour en déduit que la débitrice « ne dispose donc d’aucun moratoire justifiant l’absence de paiement des loyers ».

Concernant un autre créancier avec lequel existait un litige, la Cour observe que « la société Loox ne conteste pas devoir cette somme » et que ce créancier avait engagé une action pour obtenir un titre exécutoire. L’existence d’un différend ne suffit pas à priver une créance de son caractère exigible dès lors que le débiteur ne conteste pas sérieusement en devoir le montant.

Cette approche s’inscrit dans la conception objective de l’exigibilité retenue par la jurisprudence. Une créance est exigible lorsque le terme est échu, indépendamment des contestations que le débiteur peut élever. Seuls les moratoires expressément accordés par les créanciers ou résultant de décisions judiciaires peuvent être pris en compte. La simple existence d’un contentieux ne suspend pas l’exigibilité.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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